Chapitre 16 : Croisements (partie 1)

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D'un cercle à l'autre, l'âge de la majorité diffère pour les Sorcières. Cela va de quatorze ans à Itera judqu'à vingt ans en Erroubo. Notre gouvernement tente d'homogénéiser tout cela, sans grand succès. Nos différences sont ainsi marquées jusque dans les aspects les plus simples de nos vies. Curieusement, l'âge auquel les Sorcières acquièrent leur artefact de vol reste le même partout : quatorze ans, comme s'il s'agissait là d'une loi plus ancienne, inscrite en nous plutôt que dans nos coutumes.


- Extrait de l'Histoire des Sorcières, d'Oltun Damialle, an 885


Bourier 1151, cercle du Bois Refuge


— Caronn, maintenant, écoute-moi : il faut que nous agissions ensemble, sinon vous allez finir comme nous ! Et avec tout ce bois, crois-moi que les oiseaux et les abeilles ne seront pas ravis que les Hommes foutent le feu ici !

Depuis plus d'une heure, la Reine Izor faisait trembler sa voix grave dans la salle du trône de ses congénères. Mireth se tenait droite sur son siège, immobile, ses petites mains posées sur ses genoux. Caronn avait passé une jambe par-dessus le bras de son fauteuil ; elle s'éventait à l'aide de grandes plumes colorées. Une vraie caricature de despote décadente, par pur esprit de provocation.

— Izor, votre cercle a été ravagé et nous en sommes désolées..., souffla-t-elle. Mais nous ne pouvons pas nous en mêler, sinon les Hommes viendront nous réduire en cendres.

Arlam et Nara observaient cette joute verbale en silence. Aucun d'eux n'avait sa place dans cette négociation, mais ils tenaient le rôle d'émissaires officieux entre leurs deux cercles. L'illusionniste aurait préféré laisser cette tâche à un autre, cependant il avait accompagné son amie, toujours dévastée par la destruction de son foyer.

— Caronn... murmura Mireth.

— Oh, s'il te plaît, ne me dis pas que tu penses sérieusement qu'elle a raison ?

Arlam était toujours surpris d'entendre l'aînée de ses deux Reines parler de façon aussi familière. Ce gouffre qui existait entre les cultures belliciste et illusionniste dans son cercle le fatiguait parfois, il le ressentait dès que Luan lâchait sur lui son caractère explosif.

— J'ai peur qu'elles finissent par s'entretuer, lui chuchota Nara.

Il hocha la tête ; un mince filet de sueur froide se formait dans son dos à mesure que la discussion avançait. Si Mireth paraissait ouverte à la proposition d'Izor, Caronn ne voulait en faire qu'à sa tête. Elle ne se souciait que du bien-être de ses citoyens, du moins l'espérait-il. Pour elle, peu importait le sort des autres cercles.

— Caronn, tu vas avoir trente ans, grandis un peu ! s'exclama la souveraine d'Aïcko.

À la grimace de Nara, Arlam sut qu'elle reconnaissait le ton dans sa voix : sans doute l'avait-elle entendu à plusieurs reprises. Quant à lui, il était certain que cette remarque ne plairait pas à la « Reine aux oiseaux ».

L'exode Aïckois s'était déroulé dans le froid et la douleur. Les enfants ne pouvaient voler, ainsi que les quelques Hommes et Mages qui vivaient parmi elles. Leur extrême fatigue les avait obligées à effectuer de nombreuses pauses et le trajet en avait été sensiblement rallongé. Quand elles avaient atteint le cercle du Bois Refuge, le printemps arrivait, comme pour les soulager et panser leurs âmes. Mais si les Sylvestres avaient bien accueilli leurs consœurs, leurs souveraines respectives peinaient à s'entendre.

Arlam et Nara demeuraient donc immobiles dans un coin de la salle du trône, tandis que Mireth tentait d'apaiser Izor et Caronn qui se lançaient des regards amers. Le reste du groupe se reposait à l'habitarbre de l'illusionniste, qui espérait de tout cœur que personne n'y casserait quoi que ce soit ; et surtout que Lucanos ne s'enflammerait pas.

L'Arbre de Feu - Livre 1 [V2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant