Partie 57

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Le vent qui cogne sur mon dos. Les pleurs de ma mère. Le regard de Louis. Et puis sa dernière phrase. C'est tout ce dont je me souviens de cette soirée. Le soir où tout a basculé pour moi, et où ma mère a découvert ma rechute. Elle a pris connaissance de ma sombre et affligeante vie. Je n'ai jamais ressenti une telle colère, mêlée à une rage presque incontrôlable. Malgré ça, j'étais complément désarmée. Impuissante, je ne pouvais répliquer de façon intelligente. J'étais rongée par la peur, l'angoisse tandis que la vérité s'installait confortablement sous mes yeux.
Depuis, deux semaines se sont écoulées. Et entre temps, mon père est rentré de son voyage d'affaires.

Une nouvelle journée de torture s'offre à moi. Cloîtrée entre quartes murs, assise, les mains posés sur mon jean troué au niveau des genoux, je balaye le plafond des yeux. J'ai la sensation de redécouvrir le cabinet. Tiens, par exemple, je ne me souvenais plus de la laideur du papier peint. Mon Dieu ! Les rideaux ! J'avais pas vu ! Enfin, si mais j'ai complément oublié à quel point ils sont vieux. C'est horrible !

-"Comment est-ce que tu te sens aujourd'hui ?"

Je reste muette, bercée par un profond silence. Mon regard se fige subitement sur le canapé rouge qui me fait face. Monsieur Jobert a les jambes croisés et tient une feuille entre ses mains.

-"Chloé, j'ai besoin de savoir ce que tu ressens"
Insiste-t-il en adoptant un ton calme.

Non. Je n'ai pas envie de lui parler. Je n'ai pas besoin qu'il sache ce que je ressens. Parce que si quelqu'un est amené à entrer dans mon esprit, il serait en larmes. Et autant vous dire que j'en ai assez de voir les gens pleurer pour moi. Depuis des jours, je subis le triste regard de mes parents. D'ailleurs, c'est eux qui me traînent jusqu'au cabinet. Deux fois par semaine, ils s'arrangent pour m'y accompagner. Impossible donc d'y échapper. D'autant plus qu'à cet instant même, ma mère est garée juste devant et m'attends dans la voiture. Je lui en veux tellement. En fait, en ce moment, j'en veux à la Terre entière. Et monsieur Jobert n'est pas épargné. Je suis à mon troisième rendez-vous, et je n'ai toujours pas décroché un mot. Comment lui faire comprendre que je m'en fiche complément de ses questions ? Il devrait le savoir non ? Il me connaît par cœur. Il est bien placé pour savoir que je ne suis pas très bavarde puisque c'est lui s'est occupé de moi après ma rupture avec David. Franchement, j'essaye de m'imaginer ce qui se passe dans sa tête. Il doit vraiment penser que j'ai une vie de merde. En l'entendant griffonner sur sa petite feuille de brouillon, je lève rapidement les yeux en l'air et jette un rapide coup d'œil sur l'horloge.
Dans exactement trois minutes, le rendez-vous prendra fin. Ce sont les minutes les plus longues de ma vie. J'ai le temps de me tourner les pouces plus d'une centaine de fois. Je peux aussi recommencer à me ronger les ongles. En les regardant, je me dis que c'est loin d'être une bonne idée. À moins d'avoir envie de chopper un panaris. Bon. Qu'est-ce que je fais là maintenant. À part l'observer écrire sur son carnet vert, je n'ai rien d'autre pour m'occuper. C'est long. Trop long même. J'ai besoin d'air. D'une part, à cause de cet air anxiogène que je respire depuis bientôt une heure. Et d'autre part, car mes yeux ne supportent plus cette forte lumière artificielle.

-"C'est terminé. On se revoit la semaine prochaine, d'accord ?"

Oui oui, c'est ça ! Allez, il est temps de s'enfuir enfin du parloir. Au moins pour quelques jours...
Tandis qu'il quitte le canapé afin de regagner la chaise de son bureau, je me lève et enfile brusquement mon manteau.

-"Passe une bonne journée Chloé"

Oui, c'est cool. Oh putain, je n'en plus de l'entendre parler. Une vraie machine ! Il ne s'arrête jamais ou quoi ?
Tête baissée, je m'empresse de quitter la pièce en faisant des pas de géant. L'inverse de mon arrivée. Au départ, je suis une vraie tortue. En repartant, je suis un lièvre plus que redoutable.
Une fois dehors, je rejoins la voiture de ma mère et m'y installe. Elle a les yeux rivés sur l'écran de son téléphone portable. Concentrée, elle se mets à tapoter rapidement sur le clavier tactile de son iPhone. Pas besoin de faire une enquête, je sais pertinemment qu'elle échange avec mon psychologue. J'ai de la chance n'est-ce pas ? C'est un ami de mes parents. Le regard livide, j'attache ma ceinture et pose la tête contre la vitre. Les écouteurs dans les oreilles, je ferme délicatement les paupières et me laisse transporter par la musique. C'est parti. Le cabinet se trouve à une dizaine de minute de chez moi. Pourtant, j'ai l'impression que nous allons passer l'après-midi sur les routes. C'est bien ce que je disais : c'est encore une fois trop long que j'en ai mal aux fesses.
Sous une pluie battante, nous pénétrons dans le boulevard des Lilas. Cachée sous ma capuche, je descends du véhicule et me dépêche de rejoindre le seuil de la porte. Durant tout le trajet, je me sentais comme observer par ma mère. Entre elle et moi, le dialogue ne passe plus. Avec mon père non plus d'ailleurs. La seule personne à qui je parle, c'est Emilie. Ma mère lui a informé que j'avais rechuté. L'intervention de Louis, Niall, mes absences à la Fac, mes cicatrices et mes prochains rendez-vous chez le psychologue. Elle lui a tout dit. Comme si ma meilleure amie n'étais pas au courant pour Niall et moi. Ça me fait légèrement rire. Lorsqu'il s'agit d'Emilie, ma mère est d'une naïveté. Quoi qu'il en soit, elle a bien fait de lui annoncer. Jamais je n'aurais eu le courage et la force de lui avouer la seule chose qu'elle ignorait : l'automutilation. Elle était persuadée que j'avais arrêté. Que je n'avais jamais recommencé. Pire encore, elle croyait que j'avais enterré, cette idée de m'autodétruire. Il faut dire que mes talents d'actrices ont fini par convaincre quelqu'un. Malgré mes mensonges à son égard, c'est ma meilleure amie. Alors tous les soirs, elle m'appelle pour s'assurer que je vais mieux. On ne discute que cinq minutes, et selon elle, ce n'est pas assez suffisant. Pour moi, ça l'est. C'est même au-delà de mes capacités en ce moment.
De retour dans ma chambre, je m'enferme et m'installe sur mon lit. La musique tourne en boucle dans mes oreilles. Allongée sur le dos, je ne peux m'empêcher de penser à Niall. Sait-il que je souffre le martyr ? Est-ce qu'il a conscience que j'ai cessé de vivre ? Que je suis en train de foutre ma vie en l'air ? Sait-il que ça me ronge de ne pas avoir de nouvelles de lui ? Parce que même s'il m'a fait beaucoup de mal, sa présence me manque. J'ai mal de ne plus pouvoir le voir. Je souffre de ne plus pouvoir le toucher, l'embrasser... Après ma rupture avec David, jamais je n'aurais imaginé ressentir une chose aussi forte pour un homme. Pourtant, j'avais promis. J'avais promis à mes parents de ne pas laisser un garçon me détruire une fois de plus. Je m'étais promise de ne plus me pourrir la vie. Je venais de sortir des flammes de l'enfer. Bien que j'ai eu du mal à chasser son image de mon esprit, je m'octroyais enfin le pouvoir de vivre, de respirer...
Cependant, le destin en a décidé autrement. Un soir dans un bar, alors que je buvais pour oublier mes peines, mes yeux ont croisés ceux de Niall. Avec du recul, je suis persuadée, qu'en réalité, je suis tombée amoureuse de lui, dès lors qu'il a ouvert la bouche pour parler. J'ai mis du temps à y croire. Aujourd'hui, il est trop tard. Beaucoup trop tard. "Le premier qui tombe amoureux a perdu !"
Pff ! Quelle idée d'avoir jouer à ce stupide jeu. À cause de ça, j'ai tout perdu. Niall, le goût de vivre, l'espoir, mon meilleur ami Louis... Je vis au jour le jour. Enfin, je survis. J'essaye. Je n'ai plus d'avenir. Je ne sais pas où je vais. J'ai lâché la fac pour le moment. C'était la seule chose qui comptait le plus à mes yeux, après l'épisode douloureux vécu avec David. Les études, c'était une revanche ! Oublier mon ex, ma souffrance et mes cicatrices. Me dire qu'après ça, j'aurais pu rejoindre ma famille à l'étranger. Au départ, c'était bien parti.
Merde. J'ai tout fait foiré ! Je me déteste encore plus maintenant. Si on m'avait dit, il y a quelques années plus tôt, que ma vie prendrait cette tournure, je ne me serais jamais battue pour vivre. À la moindre difficulté, j'aurais abandonné. À quoi bon espérer ?
J'ai passé ma vie à mourir. C'est comme ça que je ressens les choses.
Les heures passent. Plus la lumière du jour disparaît, plus l'angoisse me ronge. La nuit m'effraie. Je ne sais pas pourquoi. J'ai peur, c'est tout. Toujours assise entre quatre mur, l'ambiance anxiogène qui règne autour de moi, commence à me peser. Ayant besoin d'air, je m'éclipse sur le balcon et respire profondément. L'air glacial paralyse mon visage. Mes doigts se crispent, tandis que j'essaye de fermer mon long gilet en laine. Le mois de décembre s'annonce terrible. Je suis prête à parier que la neige ne va pas tarder à pointer le bout de son nez. Puis je repense à noël qui approche à grands pas. Ça va être joyeux cette année tiens !
Accoudée sur la rampe en fer de mon balcon, mes yeux se figent sur la vue qui me fait face. Mon esprit s'évade. Je suis bien là. Pour la première fois depuis des semaines, je me sens mieux. Seule, entourée des feuilles mortes qui roulent sous mon regard, mon âme semble s'apaiser. Je trouve mon réconfort dans la solitude. J'ai toujours été comme ça. Ce n'est pas aujourd'hui que ça changera. Je n'ai pas besoin de parler. Plus je parle, plus je pense. Et c'est la chose à ne pas faire : penser. Parce que plus je pense, plus je souffre. Je suis comme ça.

LE PREMIER QUI TOMBE AMOUREUX A PERDUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant