XXI~ Pillules Indigestes.

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C'était presque la fin. Le repos allait enfin le réconforter en le prenant dans ses bras. Takanori tombait de fatigue. Avec ces nuits où ses yeux restaient grands ouverts, il avait l'impression d'être plus vieux que le monde et plus frêle que le nourrisson. Tout ce qu'il était capable d'espérer désormais avec un cerveau surchargé de pensées était la rédemption de ses rêves et la capacité d'objurguer ses sens afin de se sentir mieux dans cette enveloppe charnelle épuisée. À chaque soir depuis une semaine, il voulait se nicher dans son futon, et à chaque fois il finissait perdu dans l'éveil noctambule de son corps. Il tournait, voltigeait, embrochait puis essayait de fuir cet univers infini dans lequel il était cloîtré une fois le soleil mourant. C'était une guerre aux batailles incompréhensibles car il se perdait corps et âme dans cet amas de ferraille désolé. Tandis que les autres devaient dormir, lui se complaisait dans cette immuabilité déplaisante et dégénérescente au fil des jours.   

Ils s'étaient tous reflétés les uns aux autres. Avant, Takanori aurait pu déceler les différences entre chaque journée, il y aurait dû avoir des petits anecdotes à raconter ; mais quelque chose avait changé. Ce n'était plus les aiguilles de la montre qui étaient perdues, mais toute sa personne dans cette spirale infernale qu'était le temps. Avec ce relent désagréable, s'accompagnait un sentiment étrange, Takanori avait l'impression que des miroirs disposés comme dans les cirques lui indiquait un chemin, et ce, au prix de tromperies fourbes.   

Au moins, Kai s'est remis... Il s'en est tiré...   

Depuis ses débordements dans la nuit de lundi et son retour à la réalité le mardi après-midi, tout allait pour le mieux. Omis le fait que Kai s'en voulait énormément et qu'il n'avait que peu de souvenirs de ce qui lui était arrivé, il s'était excusé en se mettant à genoux et en les regardant tous avec un regard larmoyant, au soir. Et même deux jours plus tard, il n'arrivait pas à se mettre d'accord sur le fait qu'il n'avait rien fait de mal. Heureusement pour lui; il lui avait suffit d'une sieste et d'une bonne nuit de sommeil pour reprendre un quotidien normal.

Il ne lui avait suffit que ça. 

Pour Takanori, il n'avait rien dit aux autres, cela ne les concernait pas et il pouvait se débrouiller seul. Bien sûr, l'état de décomposition avancée que montrait son visage avait interpelé. Un teint plus blanc que celui d'un malade ne passait pas inaperçu avec des cernes tricolores. On lui avait demandé si tout allait bien. Il avait répondu que quelque chose l'inquiétait mais que ce n'était rien. Il avait dit que tout allait bien, sans état d'âme. Il les avait regardé droit dans les yeux et tâcha de ne montrer aucun signe de faiblesse, aucune faille dans son jeu, puis on l'avait laissé. C'était mieux ainsi. Il ne cherchait aucune épaule sur laquelle se reposer autre que la sienne. Je fais chier personne comme ça.   

C'était avec cette pensée en tête qu'il se préparait. Il se brossait les dents en se regardant dans la glace avec méchanceté. Une fois fini, il se mit du fond de teint pour masquer ces monstruosités au grand publique. Il préférait ne pas se mettre Raku à dos à cause de ses nuits blanches répétées. S'il se mettait dans le collimateur de son meilleur ami, il était certain de ne pas pouvoir ne pas faillir face à ses tentatives diverses pour connaître la vérité, alors il lui fallait tout prévoir à l'avance. Tout prévoir pour éviter de se faire attraper. Lorsque le résultat artificiel fut suffisamment travaillé pour donner un effet naturel, il s'écarta de la glace avec lenteur. Il partit prendre ses affaires. Il s'habilla dans la chambre le plus silencieusement possible, il laissait Joyama dormir cette fois. Une fois prêt, il se perdit dans la contemplation de son ami si paisible dans ses rêves. Il l'observa, si tranquille dans un monde peut-être plus coloré que celui dans lequel ils vivaient. Ses yeux fermés formaient un petit arc noir frémissant très légèrement de temps à autre, et cette expression si impassible le captivait de manière insensée, et cette respiration sereine le berçait. En écoutant cela, il aurait pu avoir les capacités de dormir.   

MONSTER'S PROJECT : I. DovenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant