XVI~ Illusions désanimées

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Le ciel avait à peine eu le temps de s'éveiller qu'il était déjà tout pimpant, presque rayonnant devant le miroir. Il s'observait méticuleusement dans le silence hantant l'appartement ensommeillé. Il avait fait des pieds et des mains pour éviter de réveiller tous ses amis qui dormaient encore à poings fermés. « Aujourd'hui, c'est un jour important. J'ai pas le droit de montrer qui je suis vraiment, il faut rester professionnel, essayait-il de se répéter avec conviction.» Cependant, si l'envie de bien faire était présente, la peur de rencontrer son possible premier patron l'était tout autant. Pourtant, il avait déjà rendu des services à nombres de gens, mais eux, il les avait connu ; ne serait-ce que de vue.   

Actuellement, il tentait de reprendre la confiance habituelle qui le rendait si naturel. En vain. Ce premier vrai emploi tant recherché l'angoissait au point qu'il n'avait que très peu dormi la veille. Trois heures de dodo vont pas me rendre performant... Du tout. Ses yeux foncés brillaient de crainte et son regard fixait obstinément chaque parcelle de son corps, là où quelque imperfection pouvait se glisser perversement. Pour l'occasion j'ai même mis une chemise et un froc basiques. On pourra rien me dire, je suis irréprochable là. Non ? A part ces poches violettes sous les yeux tout est bon.   

Au final, les entreprises dans le bâtiment qu'il avait contacté ne l'avaient pas pris sous leur tutelle, elles avaient toutes refusé de lui donner rendez-vous. Hélas, après ces violents et successifs échecs, Joyama avait eu beaucoup de mal à recouvrer le moral, à chercher un secteur où il aurait pu s'épanouir pour travailler. Néanmoins, ces raisons n'étaient pas venues réellement d'elles-mêmes. Le fait que toute la bande s'était dégoté du travail avant lui avait également joué en sa défaveur. Résultat, il était resté plus d'une semaine à se morfondre sans être capable de trouver une quelconque annonce attractive et ce, même si la bande avait essayé de lui remonter le moral. Takanori, lui, avait assuré que ce n'était absolument pas urgent ; mais pour lui, c'était sa première occupation en journée, sa première pensée lors du levé.

Aujourd'hui je ne serai pas un poids mort pour Takanori. 

Joyama finit par replacer une mèche sauvage de ses cheveux avant d'hocher la tête. Il était fin prêt et décidé. Il alla à pas de loup au salon puis regarda l'heure sur la télévision allumée. Cinq heure et demi... Est-ce que c'est possible d'être à ce point en avance pour un simple rendez-vous ? Jusqu'à l'heure qu'il avait prévue pour s'en aller, il décida de scruter l'écran. Lorsque fut donné le signal de départ, il écrivit un petit mot à toute la clique qu'il abandonna dans son sommeil. Il prit une veste, un parapluie qu'ils se partageaient et sortit, le portable à la main.   

Dehors, il faisait divinement bon. Si tôt déjà, Joyama se rendit compte qu'il aurait facilement pu se passer de sa veste inutile. Sur son téléphone il chercha, via le GPS, une manière de se rendre à l'établissement l'ayant recontacté. Sur son portable, le trajet indiquait qu'une petite heure le séparait de son possible emploi. Dans les rues où il marchait paisiblement, relativement peu de monde respirait l'air matinal. Des couples parfois, des enfants de temps en temps et quelques dizaines de fonctionnaires passaient autour de lui. A chaque personne passant près de lui, Joyama aimait regarder droit dans les yeux ces inconnus qu'il ne reverrait peut-être jamais, il aimait garder en mémoire ces détails qu'habituellement, il oublierait.   

Il arriva à la station de trains encore dans l'ombre du soleil. Il passa le hall, puis descendit au niveau des quais et prit son ticket à une borne. Ici, les individus étaient plus nombreux. Nombre d'entre ces personnes étaient debout, déambulant sereinement près des bords des quais. D'autres étaient sagement assis sur les quelques bancs mis à disposition. Joyama sourit. Les visages des voyageurs semblaient souvent être fatigués, avec des traits tirés, des poches sous les yeux, des regards boudeurs ou sombres, et nombre de tous ces gens n'arrivaient manifestement pas à se défaire du sommeil. D'autres, nettement plus alertes, étaient plus enjoués ou plus distraits encore. Sur chaque visage qu'il découvrait, il lui apparaissait comme un nouveau contraste apporté au reste du monde, une différence plus visible en ce jour qu'auparavant.    

MONSTER'S PROJECT : I. DovenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant