Chapitre 15

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L'enfer
Non seulement Zelef entraîne des gens qui veulent participer à des courses, mais il organise aussi des séances d'entraînement personnel au gym où il travaille. Pour ma part, j'ai renommé celui-ci " le quatrième cercle de l'enfer ". Lors de ma première séance avec Zelef, j'ai découvert des muscles dont j'ignorais l'existence. Je n'ai pas hâte de savoir quelles autres tortures il a prévu me faire subir aujourd'hui.
Je passe la tête par la porte de son bureau, où il est en train de manger en lisant un magazine. Il met se côté son sandwich, se lève et me tape dans la main.
- Prête à t'entraîner? me demande-t-il, la bouche pleine.
- Ouais.
Il finit de mâcher tout en scrutant mon visage.
- Tu te sens bien? Tu es toute rouge. Est-ce que tu t'es suffisamment hydratée?
- J'ai bu cinq bouteille d'eau aujourd'hui, comme tu me l'avais conseillé.
- Bien.
Je relâche la grande expiration que je retenais et suis Zelef jusqu'au tapis roulant, sur lequel je saute. Je me met à courir pour m'échauffer.
Depuis que j'ai vécu ma petite aventure avec son frère il y a quelques semaines, je m'attends sans cesse à ce que Zelef aborde le sujet, mais ce n'est pas encore arrivé. Bon, je n'ai jamais pensé que Zelef viendrais directement me demander : Je pourrais savoir ce qui t'a pris de folâtrer avec mon petit frère? mais je me préparais à détecter chez lui des indices qu'il était au courant, comme un éclair dans le regard ou un air fâcher. Soit il cache vraiment bien son jeu, soit Natsu n'en a pas parlé.
Cela fait trois semaines que je n'ai pas revu Natsu lors des entraînements. Il a peut-être décidé de ne courir que sur des sentiers où je n'irai pas. Il ne m'a toujours pas appelée non plus. Je sais qu'il ne le fera pas, et je m'en fiche.
- Hé! me lance Zelef d'une voix forte, pour couvrir le bruit de mes pas sur le tapis roulant. Tu es dans la lune?
- Quoi?
- Je te parle depuis tout à l'heure.
- Désolée, j'ai un peu de mal à me concentrer, aujourd'hui.
Il augmente la vitesse du tapis roulant, pour qu'elle atteigne les six km à l'heure.
- Ah bon? Moi aussi. Ma grande soeur a crevé ses eaux il y a une heure.
Je crie :
- Quoi? Mais comment se fait-il que tu ne sois pas à l'hôpital? Pourquoi es-tu encore là?
Zelef sourit.
- C'est son premier bébé et, pour chacun d'entre nous, le travail de ma mère a duré, genre, des jours. Je ne crois donc pas que le bébé soit sur le point de sortir.
- Alors, ce sera ton premier neveu ou ta première nièce?
- Ouaip. C'est un garçon, m'annonce-t-il fièrement.
Je ne peux pas m'empêcher de sourire en le voyant rayonner ainsi.
- Est-ce que ton frère est à l'hôpital avec elle?
Il me lance un bref regard, mais se reprend aussitôt.
- Toute la famille y est. Je vais les rejoindre dès qu'on aura terminé, toi et moi.
Il agite son doigt devant mon visage.
- Ne t'imagine surtout pas que tu vas échapper à ton entraînement.
- Crotte!
Zelef me fait une série de fentes et de flexions des jambes, ainsi que d'autres exercices atroces qui me donnent l'impression que mes cuisses sont en feu.
- Tu t'en sors très bien, Lucy, m'assure Zelef alors que je viens de terminer tout un tas de jumping jacks. Tu te crois capable de courir tout le long des dix km, samedi?
Je me penche vers l'avant, haletante.
- Je vais essayer, mais... Zelef?
- Hmm?
Semaine après semaine, les courses me semblent de plus en plus difficiles. Je dors de plus en plus. Chaque jour, je me découvre de nouvelles douleurs. Je commence à me dire que je ferais bien d'aller m'acheter un camion d'ibuprofène.
Est-ce que j'ai atteint ma limite?
- J'ai peur de ne pas être capable de me rendre jusqu'au bout, tu vois? La dernière fois que j'ai couru dix km, ça m'a rendue vraiment malade.
Zelef me tapote le dos.
- Si tu n'avais pas de craintes, je serais vraiment inquiet.


- Bon, qui veut s'occuper d'acheter le tapis de bain ?
    Je grogne. Je trouve abracadabrant de devoir décider si je vais apporter une batterie de casserole ou une planche à repasser alors que je n'ai pas encore décidé des cours que je vais suivre.
    Cela fait plus d'une heure que nous discutons de notre futur appartement sur le campus. Je suis assise à une table du restaurant où je travaille, avec Mirajane, Jubia et Meldy, sa cousine, hipster autoproclamé. Elle affirme que quiconque possède un vélo muni de plus d'une vitesse et se prétend hipster ne l'ai pas vraiment.
    Sans blague ?
    Quand je me suis assise avec elles, un peu plus tôt, la mâchoire de Jubia s'est décrochée et elle a regardé Mirajane fixement.
- C'est Lucy, ta coloc ?
- Tu ne l'avais pas prévenue ? ai-je lancé à Mirajane.
    Mirajane nous jetait des regards tour à tour.
- Je t'ai dit que ma coloc venait nous rejoindre ici n'est-ce pas ?
- Tu aurais pu me préciser de qui il s'agissait, lui a rétorqué Jubia, les sourcils froncés. J'ai mon mot à dire sur qui vivra dans notre appartement.
- J'ai pensé que cela nous ferait du bien à toutes, a expliqué Mirajane en se mordillant la lèvre.
- En quoi le fait de vivre avec elle pourrait me faire du bien ? a sifflé Jubia.
    Mon visage est devenu écarlate.
- Parce que j'habite une maison mobile, c'est ça ?
    Jubia m'a regardée avec un air à la fois éberlué et excédé.
- Bien sûr que non. Je dis ça parce qu'on n'est plus amies, Lucy.
    Mais on le serait encore, si tu ne m'avais pas remplacée par Mirajane, si tu n'avais pas fait courir cette rumeur selon laquelle j'étais sortie avec Sting alors que tu lui avais déclaré ta flamme.
- OK, peu importe, ai-je lâché, et je me suis levée pour partir.
    J'aimais encore mieux tenter ma chance et attendre de voir qui on m'assignerait comme colocataire.
- Ju, je ne veux pas partager ma chambre avec une inconnue, a gémi Mirajane. Mon frère non plus ne voudra pas. Il va probablement me forcer à rester avec mon père.
    Jubia s'est tournée vers Meldy, qui était en train de construire une maison en sachet de sucre.
- Très bien, a-t-elle annoncé, et je me suis rassise lentement, maudissant le jour où elle avait déménagé et quitté Oakdale.
    Si elle n'était pas partie, je ne me serais jamais sentie mal à l'aise en sa présence, et je ne me serais pas mise à décliner ses invitations à dormir. Je n'aurais pas pris mes distances. En quoi d'autre ma vie serait-elle différente maintenant, si elle n'avait jamais déménagé ?
    Une heure s'est écoulée, et j'ai l'impression de participer aux pourparlers de paix au Moyen-Orient.
- Je refuse de me charger du tapis de bain, nous prévient Meldy. J'ai déjà dit que je fournissais le rideau de douche. J'en ai un avec un imprimé à têtes de mort.
    Jubia, Mirajane et moi marquons une pause pour nous regarder les unes les autres.
- Je m'occupe du tapis de bain, dit Mirajane.
    J'ajoute :
- Et moi, j'apporte un autre rideau de douche.
- Ça marche ! acquiesce Jubia.
- Hé ! lance Meldy. Je veux mes têtes de mort !
    Jubia fait une marque verte sur son tableau multicolore qui détaille tout ce que nous devons acheter pour l'appartement. Jubia apporte tout ce qui est suivi d'un trait orange, c'est-à-dire, jusqu'à maintenant, la cafetière, un balai et les produits de nettoyage. Mirajane est représentée en vert, et Meldy, en bleu. Mes petites marques sont violettes. La collection de marqueurs de Jubia est étalée sur la table, bien alignée.
- D'où te vient le prénom Meldy ? demande Mirajane en se fourrant encore des frites au fromage dans la bouche.
    Meldy nous scrute de ses yeux rouges, tout en jouant avec un cheveu rose.
- Mes parents m'ont appelé comme ça en souvenir de la nuit où ils m'ont conçue. Ils étaient en train de se défoncer dans les toilettes, à un concert de Meldy Pop, et ils ont décidé de s'envoyer en l'air. Et me voilà.
    Euh, ouais, d'accord.
    Sans cesser de mastiquer, Mirajane fixe Meldy pendant un long moment. Jubia ignore sa cousine, visiblement habituée à ce genre d'anecdotes. Ça m'apparaît toujours aussi déroutant que l'ancienne capitaine des cheerleaders de Hundred Oaks soit devenue la cousine par alliance de Meldy, la hipster autoproclamée !
    Je me réjouis de savoir que c'est avec Mirajane que je vais partager ma chambre..
- Est-ce qu'on pourrait ravoir des frites au fromage ? me demande-t-elle en montrant l'assiette maintenant vide posée devant nous.
    Toute excuse pour m'éloigner de cette table me convient. Je saute sur mes pieds et prends mon temps pour me diriger vers l'arrière-salle, où je tombe sur Aquarius, ma gérante.
    Elle me sourit et je la regarde d'un air qui la supplie de ne pas faire de commentaires.
- Est-ce que je pourrais avoir une autre portion de frites au fromage ?
- Écoute, je t'offre même des steaks gratuits, si tu veux... Ta mère va être tellement contente de savoir que tu passe du temps avec des amies.
    Je hausse une épaule.
- On est en train de planifier notre départ pour l'université, c'est tout. Rien de bien passionnant.
- Je vous apporte les frites, me dit-elle en me poussant vers la table.
    Crotte ! J'avais prévu de traîner dans l'arrière-salle jusqu'à ce qu'elles soient prêtes. Quand je me rassois sur la banquette, Jubia est en train de vérifier ses messages sur son cellulaire.
- Franchement, il me texte à la moindre occasion.
    Je lui demande :
- Qui ça ?
- Gray.
- Qu'est-ce qu'il te veut, cette fois ? La questionne Mirajane, les yeux en coeur.
- Me dire qu'il vient de se réveiller de sa sieste.
     Mirajane me regarde du coin de l'oeil et m'adresse un petit sourire entendu. Euh... Est-ce que Gray a le béguin pour Jubia ? Quand elle a emménagé avec le nouveau mari de sa mère, Gray est devenu son voisin. Cela fait des années qu'ils passent beaucoup de temps ensembles, mais je croyais qu'ils étaient seulement amis.
    Jubia repose son téléphone.
- Bon, qui veut apporter un débouche-évier ?
    Nous continuons pendant un moment, puis Aquarius arrive avec nos frites et des pommes de terre farcies. Mirajane sourit de toutes ses dents, et je ne peux que me demander où elle met toute cette nourriture qu'elle avale. Elle est aussi mince qu'une de ces frites.
    Mirajane en enfourche une et lèche le sel sur ses doigts.
- Il faut qu'on discute du règlement de l'appartement.
- Par exemple pour décider si on a le droit ou non de cuisiner du poisson ? demande Meldy.
- Du poisson ? répète Mirajane en fronçant le nez.
- J'ai découvert que certaines personnes n'aiment vraiment pas qu'on fasse cuire du poisson dans le micro-ondes. À cause de l'odeur..., explique Meldy.
- D'acooooord, lance Mirajane. Alors non, je ne parlais pas de poisson, mais nous pouvons tout à fait l'ajouter à notre liste de choses à ne pas faire dans notre appartement.
    Jubia tourne les pages pour atteindre une nouvelle section dans son agenda en cuir et écrit " Règlement de l'appartement " en rouge, tout en haut.
- Je vais noter les différents points du règlement, puis je vous les enverrai par courriel, pour que vous puissiez les consulter au besoin
    Mirajane se penche vers moi et me chuchote à l'oreille :
- Et voilà pourquoi c'est à toi que j'ai proposé de partager ma chambre...
    Je lui réponds :
- Effectivement.
- Ce dont je parlais, c'était surtout du fait de laisser nos " douces moitiés " passer la nuit ou non dans l'appart, a dit Mirajane. Il faut qu'on détermine des règles de base.
    Je marmonne :
- Je n'ai même pas encore commencé l'université que je me retrouve déjà sexclue de ma propre chambre.
- Je propose que personne n'ait le droit d'accueillir un garçon plus de deux nuits par semaine, avance Jubia.
- Et si Luxus vient passer avec moi une fin de semaine de trois jours ? demande Mirajane. Son université est à deux heures de route de la nôtre !
- Tu devras choisir les deux nuits où tu préfères qu'il reste, lui rétorque Jubia.
- Tu pourras toujours installer une tente dans le bois et y dormir avec ton copain, suggère Meldy. Je te prêterais bien la mienne, mais elle sentira peut-être un peu le poisson...
    Mirajane pointe sa frite vers Jubia.
- Seulement deux nuits, hein ? Ma chère, tu as vraiment besoin de t'envoyer en l'air.
    Jubia calque le geste de Mirajane, pointant vers elle son Sharpie vert.
- N'oublie pas mon embargo sur les hommes.
    Mirajane me dit entre ses dents :
- Elle n'a qu'à lever l'embargo pour se taper Gray.
- Je connais un gars génial que je pourrais te présenter, propose Meldy à Jubia. Il s'appelle Ottoeyes et il publie son propre journal, Le bavard de Nashville. Il s'installe tous les jours devant la sortie du supermarché pour le vendre.
    Les bras m'en tombent. Jubia ignore sa cousine et s'amuse à enfoncer les touches de la calculatrice intégrée dans son agenda.
- Je propose qu'on décide d'un signe qui nous permette d'indiquer aux autres qu'il y a un gars dans la chambre, reprend Mirajane. On pourrait nouer quelque chose à la poignée de porte, comme une cravate ou une corde à sauter.
- Et si quelqu'un pique la corde à sauter, et qu'on entre et tombe sur un spectacle qu'on n'a vraiment aucune envie de voir ? intervient Meldy en replaçant une mèche de ses cheveux roses dans sa couette.
- Mais qui pourrait bien vouloir voler la corde à sauter ? demandé-je.
- Des anti-hipster.
    Mirajane et moi nous regardons en secouant la tête.
- Bon, est-ce qu'on a oublié quelque chose sur notre liste de fournitures ? ajoute Jubia en faisant glisser un feutre fermé sur sa feuille de papier. Si tout est beau, je vais vous la faire parvenir par courriel, pour...
    J'éclate de rire et n'arrive pas à m'arrêter. Comme lorsque Mirajane et Lévy ont rigolé pendant une éternité à cause des gâteaux Justin Bieber.
    Cela fait du bien.

Respire, Lucy, respire.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant