Chapitre 31

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Ce n'est pas possible, ce doit être une blague. Quand je rentre de ma course se seize km, il est midi et Mirajane dort encore.
Je me gave de Pepto-Bismol en regrettant de ne pas pouvoir prendre de l'ibuprofène, puis m'effondre sur mon lit, en posant un sac de glace sur mon genou qui m'élance. Je ferme les yeux pour me détendre pendant quelques minutes. J'ai besoin de sauter dans la douche. Je sens le vestiaire.
Deux heures plus tard, je me réveille dans une flaque d'eau. Mon short est trempé et ma peau me démange. Je me suis endormie avec le sac de glaçons sur le genou.
- Oh, super, tu es réveillée ! s'exclame Mira en enlevant ses écouteurs. On ne voulait pas aller visiter le campus sans toi.
Je lui lance un regard meurtrier, mais elle n'en tient absolument pas compte. Elle me chasse de la chambre.
- Allez, à la douche. Maintenant. Go !
Je me sens complètement sonnée, alors j'entre dans la douche et pose mon front contre les carreaux. L'entraînement d'aujourd'hui m'a presque achevée. Je me sens plus mal que si j'avais la gueule de bois.
En me lavant les cheveux, je glisse dans l'eau savonneuse, mais réussis à me rattraper à la barre avant de m'écraser au sol. Pitié, que je ne m'évanouisse pas dans la douche ! J'arrive à peine à bouger, et j'ai des taches lumineuses devant les yeux. Est-ce que c'est ce que je vais vivre tous les samedis, jusqu'au marathon ?
Après avoir enfilé des vêtements propres en réussissant, je ne sais trop comment, à glisser dedans les nouilles trop cuites qui me servent de membres, j'accompagne Jubia, Mira et Gray au barbecue de bienvenue, dans la cour centrale. La musique hurle, et les étudiants jouent à la balle ou se reposent sur des nappes de pique-nique. Un gars plein d'ambition est déjà en train de lancer sa campagne afin de se faire élire président du conseil des élèves, alors que les élections n'auront lieu qu'en octobre. Des filles ont enlevé leur t-shirt et, en haut de bikini, des écouteurs sur les oreilles, prennent un bain de soleil. Ce spectacle me rend heureuse. Je n'ai jamais vu tant de personnes au même endroit de toute ma vie, et je ressens un petit frisson d'excitation.
Nous remplissons tous les quatre nos assiettes de viande grillée et de salade de pommes de terre, puis nous essayons d'avancer en nous faisant tout petits, pour dépasser les autres jeunes affamés. Alors que nous nous assoyons sur l'herbe, en face du bâtiment de communication, je reçois un coup sur le coude et manque de faire tomber mon repas.
Gray cogne son poing fermé contre le mien.
- Bon ça, c'est du sérieux ! Trois sandwichs à la viande et deux hot dog ?
- Je suis affamée, lui réponds-je en mordant dans un hot dog.
- Berk, lance Jubia, j'ai des brûlures d'estomac rien qu'à regarder l'assiette de Lucy.
En guise de réponse, je prends une gorgée d'eau en aspirant à grand bruit.
- Si tu ne mets pas fin à ton embargo en voyant tous ces gars, dit Mira à Jubia, je ne vois pas ce qui pourrait te faire changer d'avis.
Avec un visage de marbre, Gray déclare :
- Pour ma part, je n'ai jamais vu autant de filles sexy.
- Eh bien, choisis-en une et va lui parler, lui suggère Jubia.
- Mais, si je fais ça, qui te tiendra ton Coke et tes ustensiles pendant que tu essaies de ne pas renverser ton assiette ? Tu ne serais jamais sortie vivante de cette queue, au buffet, si je n'avais pas été là.
Jubia prend une bouchée de salade.
- C'est vrai. Tu es un bon serviteur, lui dit-elle.
- Et toi, tu es une vraie casse-pied, lui répond Gray.
- Non, mais pourquoi vous ne couchez pas ensemble, tous les deux, enfin ? leur lance Mira.
- Pas question, lui répliquent-ils en choeur.
Dans la seconde qui suit, Gray replace une mèche de Jubia qui menaçait de tomber dans sa salade de pommes de terre et elle lui balaie le t-shirt de la main pour faire tomber les miettes qui se sont accumulées sur sa poitrine.
Nous finissons nos assiettes et partons à la recherche de dessert. En chemin vers le buffet, nous passons devant un groupe de gars de Delta Tau Kappa vêtus de leurs t-shirts emblématiques. Je repère Natsu discutant, en compagnie de deux autre garçons, avec quelques filles. Je ne l'ai pas encore vu, aujourd'hui, parce qu'il a participé à une course au lieu de jouer le lièvre, et...il m'a un peu manqué. Ses jolis jeux verts croisent les miens.
- Luce, m'appelle-t-il en levant l'index.
Mirajane m'attrape le coude. La mâchoire de Jubia en tombe.
- Tu connais quelqu'un de DTK ? me demande Gray d'une voix pressante. C'est la fraternité que je voudrais intégrer, mais c'est presque impossible, à moins d'être parrainé.
- Comment ça ?
- Si ton père, ou ton frère, ou ton cousin n'a pas fait partie de la fraternité, c'est très difficile d'y entrer. C'est la meilleure de tout le campus.
J'ajoute:
- Mais pourquoi est-ce si important de faire partie d'une fraternité ?
Je n'en ai encore jamais parlé avec Natsu.
- Ça t'offre des relations privilégiées avec des gens qui pourront t'aider à trouver du travail, après l'université, me répond Gray. Mon père continue de jouer au golf et de conclure des affaires avec des gens de sa fraternité. Mais mon père faisait partie de Kappa Thêta, et il n'y a pas de branche de cette fraternité ici.
Je rétorque :
- Pourquoi n'es-tu pas allé à l'université où a étudié ton père, alors ?
Gray lance un coup d'oeil à Jubia et ne me répond pas.
Natsu a terminé sa conversation et se dirige vers moi en trottant, ses cheveux ébouriffés bondissant dans tous les sens. Il me dit :
- Salut ! Alors, ta course s'est bien passée, ce matin ?
- J'ai terminé en trois heures et cinq minutes.
Son visage s'épanouit en un sourire radieux et il croise les bras.
- Joli ! Comment se porte ton genou ? Est-ce que tu l'as bien étiré après la course ? Ou as-tu besoin de l'aide d'un partenaire ?
- Pour la millionième fois, je n'ai pas besoin que tu m'étires.
Depuis qu'il est tombé sur Zelef en train de me replier comme un bretzel, Natsu me propose de faire des étirements à deux. Je change de sujet :
- Et comment s'est passée ta course ?
Je suis ravie de le retrouver en un seul morceau. Pas de bleus, pas de plaies. Deux bras intacts, deux jambes intactes.
- Pas mal. J'ai terminé en deuxième place. J'ai gagné mille dollars, ce qui devrait me permettre d'acheter mes livres pour la session.
Je serre rapidement Natsu dans mes bras pour le féliciter, et il me tire ma couette, comme il aime le faire.
- Je ne suis pas encore allée à la librairie, est-ce que les livres coûtent vraiment si cher ?
- Ça dépend.
D'une voix forte, Mira lance :
- Hmm hmm !
    Jubia, Gray et elle sont en train de nous regarder comme s'ils étaient au cinéma. Je m'exclame :
- Oh, je suis désolée. Tout le monde, voici Natsu.
    Tous se serrent mutuellement la main. Mira et Jubia se mettent à ricaner comme des gamines du primaire et nous lancent de petits regards, ce qui fait rire Nat. Je me vois en songe les éliminer l'un après l'autre, Natsu y compris.
- Je vois que tu fais partie de DTK, lui dit Jubia.
- En effet.
- Tu es en quelle année ? lui demande Mira.
- En troisième.
    Elle se tourne vers moi et articule en silence : "En troisième année !"
- Et tu étudies quoi ? l'interroge à son tour Jubia.
    Je me suis fait poser la question par chaque personne m'ayant croisée depuis hier et je commence à en avoir vraiment assez, parce que je n'ai pas de bonne réponse à offrir. "Je ne sais pas encore, mais peut-être en physiothérapie ?" Mirajane est en comptabilité et Jubia pense choisir le journalisme. J'interviens pour soustraire Natsu à cette investigation :
- Nat, Gray est très intéressé par ta fraternité.
    Ils se toisent tous les deux.
- Tu es un ami de Luce ? Elle ne m'a jamais parlé de toi.
    Le visage de Gray commence à se durcir, mais, bien que je n'ai jamais passé beaucoup de temps avec lui, je précise :
- Oui, nous étions ensemble au secondaire. Je connais Gray depuis toujours.
    Jubia me lance un regard plein de reconnaissance. Gray et elle ont beau essayer de camoufler leurs sentiments, elle tient de toute évidence beaucoup à lui. Ils sont très bons amis depuis que Jubia a déménagé.
- On organise une fête, ce soir, dit Natsu à Gray. La campagne de recrutement ne commence pas avant le mois prochain, mais tu devrais venir. Tu pourras faire la connaissance des autres membres le Caleçon.
- Hein ? Comment ça, je m'appelle Caleçon ?
- Ta une face de slip.
- Toi, ta une putain de face de tabasco.
    Natsu serre les poings et se dirige vers un de ses copains et lui prends deux prospectus des mains. Il en lance un dans la face de Gray.
- Pfft. Merci.
    Il me donne ensuite le deuxième, ses yeux scrutant les miens.
- J'espère que tu pourras venir aussi. Avec Mirajane et Jubia.
    Je lis :" DTK - beach party pour la rentrée. Tournois de volleyball de plage. Maillots de bain obligatoires ! " Jubia s'empresse de répondre :
- On y sera.
- Ravie de t'avoir rencontré, Natsu ! lui lance Mira avant de glisser son bras sous le mien et de m'entraîner d'un pas énergique vers la résidence étudiante.
    Je regarde par-dessus mon épaule et Natsu me salue de la main. Jubia m'attrape l'autre bras et me fait encore accélérer. Gray reste en arrière et continue de parler (insulter) avec Natsu. Je demande aux filles :
- Mais on va où comme çà ?
- Tu nous en cachait, des choses, Luce ! annonce Mira.
- Mais c'était qui, ça ? me demande Jubia.
- Natsu Dragneel.
- Et qui es Natsu Dragneel ?
    Je prends une grande respiration. Mira et Jubia ne relâchent pas leur attention une seule seconde.
- Bon, qu'est-ce que vous voulez savoir ?
    Mira me lance un drôle de regard et me répond :
- Qui n'aime pas les potins de filles ?
    Je lui rétorque :
- D'accord, alors parlons de Luxus et toi.
- Su-per chi-ant ! ânonne Jubia. Ils couchent ensemble depuis une éternité.
    Bien vite, nous sommes de retour dans notre appartement, affalées sur le lit de Mira. Jubia est tellement excitée qu'elle semble avoir momentanément oublié que nous étions fâchées.
- Comment as-tu rencontré Natsu ? me demande Mira. J'adore ses cheveux fous !
- Et il a un corps de dieu, ajoute Jubia.
- Et ces tatouages, sur son bras : oh, bon sang que c'est sexy !
- Il en a un autre, de Flash, sur son omoplate, ajouté-je. Vous savez, le superhéros.
    Mira et Jubia gloussent. Celle-ce insiste :
- Tu l'as vu ?
    Ma lèvre commence a trembler.
- Allez, raconte, m'encourage-t-elle.
- Je l'ai rencontré pendant mon entraînement.
- Tu as l'air de l'intéresser.
    Je sais que je l'intéresse, voudrais-je leur répondre. Mais je n'arrive pas à me confier à elles. Si nous pouvions parler d'autre chose que de tout cela, de mes sentiments pour Natsu, du fait que je ne me suis pas remise de la perte de Sting, de mes craintes terribles que Natsu ne se blesse, cela pourrait être agréable d'avoir une petite discussion entre filles.
    Quand j'étais enfant, quand sa  mère prenait soin de moi le soir et la nuit tandis que la mienne travaillait, Jubia et moi organisions des soirées pyjama tout le temps. Nous accrochions des draps autour de la table de la salle à manger et faisions semblant de camper. Nous en profitions pour discuter de tout et de rien. En grandissant, nous avons vu nos sujets de discussion changer, eux aussi. Nous sommes passées des Barbie à l'apprentissage des lettres attachées, puis aux filles qui avaient déjà eu leurs règles et au garçon avec qui nous voudrions notre premier baiser. Aujourd'hui, je retrouve ces sensations, et l'excitation me fait battre le coeur. À l'époque, je m'énervais pour un rien, même s'il n'y avait pas de gros enjeux.
    Avec Natsu, en revanche, j'ai tout à perdre. Je ne veux pas le perdre dans un bête accident de sport. Je ne veux pas non plus le perdre en tant qu'ami. Et, comme le dit Erza, c'est parfois une bonne chose que de rester célibataire. C'est ce dont j'ai besoin.
- As-tu un joli bikini pour la fête, ce soir ? me demande Mira. Si tu n'en as pas, je parie que ceux de Jubia t'iront. Tu pourrais lui emprunter le rose pâle, je suis sûre qu'il t'irait très bien.
    Immédiatement, Jubia hoche la tête.
- J'ai même un joli sarong blanc pour aller avec...
    Je l'interromps :
- Je n'irais pas.
     Mira donne une grande tape sur le matelas.
- Tu dois y aller ! La tension entre vous, tout à l'heure, était incroyable.
- Voilà exactement la raison pour laquelle je ne veux pas y aller.
- Qu'est-ce que tu nous caches ? me demande Jubia lentement.
    Je me laisse tomber sur un oreiller.
- J'ai presque coucher avec lui.
- Quoi ? Quand ? couine Mira.
- Juste après la remise des diplômes. Pendant que nous, euh...que nous étions en train de courir.
- Tu as presque couché avec lui pendant que tu courais ? répète Jubia en fronçant les sourcils. Comment ça fonctionne ?
- Je croyais qu'il n'y avait que les artistes du Cirque du Soleil pour faire des choses pareilles ! commente Mira.
    Je roule des yeux.
- Nous étions en train de courir le long de la rivière Little Duck, et nous avons quitté la piste pour descendre sur la berge.
    Mira et Jubia se jettent un coup d'oeil mutuel.
- Alors, comment se fait-il que tu ne nous aies jamais parlé de lui ? me demande Jubia.
    Je ramène mes pieds sous mes fesses pour m'assoir en tailleur, et je commence :
- Il ne m'a pas appelée, après...
    Et ensuite, j'ai trouvé cette alliance dans la chambre de Sting...
    Je continue :
- Et puis c'était...
     Les filles me fixent, patientes.
- Ça n'avait pas l'air d'être une bonne idée.
    Ce n'est pas tout à fait vrai, mais les émotions que j'éprouve sont trop complexes pour que je réussisse à les déchiffrer.
- Mais tu l'aimes bien, non ? renchérit Mira. C'était évident qu'il se passait quelque chose entre vous.
- Nous sommes amis.
    Je sens mon coeur battre plus vite, quand je repense à ce moment, sur les rives de la rivière. Oui, c'est vrai, je ne m'étais jamais sentie aussi excitée, je n'avais jamais autant perdu le contrôle, mais le désir et l'amour sont deux choses très différentes. L'amour est bien plus dangereux.
    J'ajoute :
- Il n'est pas pour moi.
    Les filles poussent un soupir.
- On va quand même à cette fête, n'est-ce pas ? dit Mirajane en agitant le prospectus.
- Oui, on va peut-être rencontrer d'autre gars, là-bas, avance Jubia. Et on pourra alors toutes les deux décréter la fin de l'embargo.
- Je ne crois pas que Lucy ait posé d'embargo, la contredit Mira. Elle a fait l'artiste de cirque et presque couché avec un gars en courant, tu te rappelles ?
    Je lui lance un oreiller.
- Et c'était bien, cette fois où vous avez "presque couché" ensemble ? veut savoir Jubia, le regard brillant d'espoir.
    Je me sens comme si nous avions de nouveau treize ans, quand nous discutions des gars pour qui nous avions le béguin. Quand nous nous disions toujours la vérité, nos plus profonds secrets, nos craintes, nos espoirs, nos rêves...
    Et c'est pour cela que je leur confie :
- Natsu était vraiment formidable.
   Elles se remettent à piailler. 

Respire, Lucy, respire.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant