Chapitre 22

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Accro à l'adrénaline

En fin de soirée, mardi, c'est calme au restaurant, alors j'en profite pour feuilleter le catalogue des cours offerts par mon université. Debout dans l'arrière-salle, je corne la première page de la section de la physiothérapie. Le cours sur l'anatomie et la physiologie de l'être humain a l'air cool. Le fait de travailler avec Zelef et de découvrir tous ces muscles que je ne savais même pas que j'avais a piqué ma curiosité à ce sujet.
Aquarius entre dans la pièce à ce moment précis. Super, j'ai besoin de lui parler.
- Ariès, tu sors de ta cachette et tu me débarrasses la table douze illico ! crie-t-elle.
- Désolé, madame Aquarius, dit la serveuse fautive qui sort en flèche, me rasant au passage.
Je fais disparaître le catalogue dans mon sac, prends une grande inspiration et m'avance vers Aquarius. D'accord, elle est amie avec maman, mais elle prend son travail au restaurant très au sérieux. Si nous voulons lui demander des jours de congé, nous devons nous y prendre deux semaines à l'avance, ce que je n'ai pas fait. La course à laquelle Natsu veut que je participe à lieu dans cinq jours. Je devrai donc sans doute affronter la colère de ma gérante.
Je croise les doigts dans mon dos. Elle est plongée dans l'étude des chiffres de vente de la soirée - avec un peu de chance, ceux-ci sont bons et l'ont mise de bonne humeur.
- Aqua ? Si tu n'as pas encore attribué les tâches pour ce soir, je peux aller remplir les bouteilles de ketchup.
Elle ne lève pas les yeux de sa page.
- Qu'est-ce que tu veux ?
Je prends une grande inspiration.
- Est-ce que je pourrais avoir congé dimanche matin ?
- Pourquoi ?
- J'ai un ami...
Bouche bée, elle pose sa feuille dans un pot de crème sure. J'ai bien peur que cela ne représente un risque sanitaire.
- Tu veux manquer le travail pour faire quelque chose avec un gars ?
- Euh, oui, si on veut...
Je suis sur le point de lui expliquer que nous voulons aller courir, mais elle me coupe la parole et, radieuse, m'attire à elle pour me serrer dans ses bras.
- Vous pouvez aller faire ce que voulez, ma chérie.
Eh bien ! C'était facile comme tout.
Voulez-vous savoir ce qui n'est pas facile du tout, en revanche ?
Ma séance d'entraînement privé avec Zelef, ce mercredi.
Le gym où il travaille est équipé d'une piste de course intérieure et, pour renforcer mon coeur, il me fait faire des sprints. Il installe cinq cônes sur la piste. Voici ce que je dois faire : je cours jusqu'au premier cône, je reviens en courant au point de départ, je cours jusqu'au deuxième cône, je reviens en courant au point de départ, et ainsi de suite. Pour me distraire pendant que j'accomplis cette tâche démoniaque, Zelef m'ensevelit sous un déluge d'informations. Il me parle de la maison que Mavis et lui viennent d'acheter et dans laquelle ils vont emménager après leur mariage, et me dresse la liste des films qu'il voudrait voir. Cependant, au bout de sept séries de cet éreintant exercice, la sueur me dégouline sur le visage et me brûle les yeux, et je suis penchée vers l'avant, appuyée sur mes cuisses, haletant comme un chien assoiffé.
Zelef me tend un gobelet d'eau et je l'ai à peine avalé qu'il me conduit de nouveau vers les pistes pour un "petit" jogging. Au bout de trois km, je lui dis :
- Je suis en train de mourir.
- Si tu ne repousses pas tes limites maintenant, tu ne finiras jamais le marathon.
Je grogne :
- Je vais le finir !
Zelef me sourit.
- C'est exactement ce que je veux entendre !
Après environ trois milliards de redressement assis, de pompes et de flexions des jambes, j'ai mal aux hanches comme si quelqu'un s'y était attaqué à la perceuse électrique. Agrippant la droite, je marmonne :
- Je vais être malade.
- Viens faire des étirements.
Je m'allonge sur le tapis, et Zelef se met à pousser sur mes cuisses pour les étirer plus intensément. Je ne suis pas très à l'aise de l'avoir agenouillé entre mes jambes. J'ironise en grognant :
- Ce n'est pas gênant du tout !
Zelef éclate de rire, m'emmêle les jambes comme un bretzel et appuie sur mes genoux. Sincèrement, si je voyais deux personnes en train de faire cela, je les croirais vraiment en train de faire l'amour. Je ferme les yeux et prie que cela se termine le plus tôt possible.
- Eh bien, comme c'est intéressant.
J'ouvre les yeux et me retrouve face à Natsu. Sans chemise. Qui observe son frère en train de m'étirer les muscles dans une position étrange.
- Qu'est-ce que tu veux ? l'apostrophe Zelef. Je suis en train de travailler.
Natsu retire ses écouteurs.
- J'ai une question à poser à Luce.
Zelef tourne le regard vers moi. Qui suis toujours dans la pire position de toute ma vie.
- Est-ce que ça marche, pour dimanche ? me demande Natsu.
- Qu'est-ce qui se passe, dimanche ? dit Zelef en levant un sourcil.
- J'ai invité Luce à courir un cinq km avec moi.
Je réponds à Natsu :
- Mon nom c'est Lucy ! Mais, oui, je me suis libérée, je peux y aller.
Natsu éclate de rire. En entendant cela, Zelef s'agite, l'air fâché.
- Et comment se fait-il qu'aucun de vous ne m'ait demandé mon avis ? grommelle-t-il.
- Je savais bien que tu t'exciterais le poil des pattes, lui rétorque Natsu.
- Pour la millième fois, laisse le poil de mes jambes tranquille.
Je les arrête d'une voix sévère :
- Hé, les gars !
Enfin, j'essaie de sonner le plus sévère possible, compte tenu du fait que mon entraîneur me soulève les fesses et que j'ai les jambes écartées pendant que ça discute de poil...
- Zelef, est-ce que je peux courir le cinq km ? J'allais te le demander un peu plus tard, parce que je voudrais que cette course remplace mon entraînement du dimanche.
- Tu peux, à une condition que tu ne forces pas trop. Parfois, quand c'est une première course, on est tellement excité qu'on part à fond de train. Alors on se blesse et on fiche en l'air tout notre horaire d'entraînement.
- Je ne laisserai pas ça se produire, lui affirme Natsu sans plaisanter le moins du monde.
- Tu as intérêt. Maintenant, fais ce que tu as à faire, Nat. Lucy doit terminer son entraînement.
- Je passe te prendre dimanche matin. Je vais t'envoyer un message texte avec tous les renseignements essentiels.
J'acquiesce d'une voix essoufflée, parce que Zelef m'a de nouveau noué les jambes en bretzel.
Natsu se dirige vers les poids en marmonnant :
- Et voilà, il s'est tout excité le poil des jambes...
    Zelef me fait assoir et écarter les jambes, puis il s'assoit devant moi et adopte la même position. Ensuite, il attrape mes mains et tire jusqu'à ce que mon nez soit collé au tapis.
    Je lui lance :
- Tu devrais devenir prof de yoga.
    Il rit, mais me répond :
- Tout ce calme me rendrait dingue.
    Il m'aide à me relever, et je rajuste mon débardeur et mon short, qui me rentre dans les fesses. Incapable de me retenir, je jette un coup d'oeil discret vers la salle de musculation. Assis sur un banc, Natsu fait des flexions des avant-bras. Une femme habillée comme Barbie qui irait s'entraîner est en train de l'observer.
- Lucy ? m'interpelle Zelef. Si tu veux qu'il te laisse tranquille, tu me le dis, d'accord ? Je m'en occuperai.
- Tout va bien, il est sympas.
- Peut-être, mais toi, est-ce que tu vas bien ?
    Zelef me touche doucement l'épaule.
- Je sais que nous n'avons jamais parlé de ton copain... Je veux que tu te mettes à aller mieux, pas le contraire.
- On est juste amis...et je vais bien. Je t'assure.
    Il sourit et, l'espace d'un moment, je suis jalouse de Mavis, qui va épouser ce garçon si gentil. Je me dirige vers les vestiaires, mais me retourne vers Zelef.
- Pourquoi est-ce que ça irait moins bien ?
    Il se gratte le cou.
- C'est juste que... Nat n'a jamais eu de relation sérieuse avec qui que ce soit. Il est accro à l'adrénaline.
- Qu'est-ce que ça signifie, exactement ?
- Ça veut dire qu'il passe d'une activité à l'autre, et d'une personne à l'autre, l'oeil toujours rivé sur le prochain défi.
    Il marque une longue pause.
- Je préférerais que tu ne t'attaches pas trop à lui.
    Est-ce que je représente un défi au yeux de Natsu ? Quand je suis allée chez lui et que nous avons passé du temps tous les deux, sous le porche, il m'a dit qu'il m'aimait beaucoup. Il semblait sincère. Me voit-il comme une conquête à faire ? Je le regarde, perplexe. Il est passé aux développés couchés. Il soulève deux énormes poids. Natsu dégage quelque chose de tellement...mâle que je dois reprendre ma respiration. Je finis par dire :
- On est seulement amis. Et c'est tout ce dont j'ai besoin en ce moment. D'un ami.
    Je me tais. Rajuste la bretelle de mon soutien-gorge de sport. Puis demande :
- Mais pourquoi est-il comme ça ?
- C'est à lui de te le raconter.
    Mais ai-je envie d'entendre cette histoire ? Je ne veux rien vivre de sérieux avec lui. Je ne veux pas de drame.
- Je ne t'ai pas posé cette question, d'accord ?
    Zelef pousse un long soupir, puis me tape dans la main, comme à la fin de chaque entraînement.
- On se voit samedi, alors. Tu es prête à courir tes treize km ?
    Je hoche la tête, mais je n'en mettrais pas ma main au feu.
    Treize km. Un demi-marathon.
    Pendant son entraînement, Sting n'a couru cette distance que quatre fois.

Respire, Lucy, respire.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant