Troisième partie : Un nouveau commencement
Le jour du déménagement.
Plus que deux mois avant le Country Music Marathon.- Il va arriver.
Ma mère jette un coup d'oeil à sa montre.
- Il a vingt minutes de retard.
Je lui réplique :
- Oui, et c'est la première fois qu'il est en retard. J'espère qu'il ne lui est rien arrivé.
Maman et Nick échangent un petit regard entendu. Je leur lance :
- Quoi ?
- Rien, me répondent-ils en choeur.
- Est-ce qu'on peut commencer à transporter tes affaires à l'intérieur ? me demande Nick. On ne prendra pas les caisses les plus lourdes, Natsu pourra s'en occuper.
- On attend encore deux minutes.
Je regarde l'heure sur mon téléphone et m'assure au passage qu'il ne m'a pas envoyé de message texte. Non.
- Bon, d'accord, allons-y.
Nick nous guide et nous traversons une cour animée avant d'entrer dans la résidence étudiante où je vais vivre. C'est un haut bâtiment de cinq étages, en briques. Des jeunes sont en train de jouer au frisbee. La cour résonne de rires et de cris.
Maman remarque mon sourire et m'enlace d'un bras.
- Je suis tellement fière de toi.
Cela me rend à la fois heureuse et triste. Triste, parce que, maintenant que nous nous entendons de nouveau bien, je sais qu'elle va vraiment me manquer. Une partie de moi est tentée de rester à la maison et de faire chaque jour le trajet jusqu'à l'université, mais j'ai besoin de nouveauté dans ma vie. Et nous éloigner un peu l'une de l'autre nous sera sans doute bénéfique.
- Luce !
Nous nous retournons pour faire face à Natsu, qui nous rejoint en courant.
- J'ai mal calculé le temps que cela me prendrait pour venir ici à pied. Je n'avais pas tenu compte des bouchons de début d'année.
- Quoi ?
- Tous les gens que j'ai croisés m'ont arrêté pour me raconter leurs anecdotes. J'ai eu du mal à m'échapper de Oba-chan, la petite dame âgée qui s'occupe du centre de reprographie, à la bibliothèque. Je suis d'ailleurs heureux de t'apprendre qu'ils ont une nouvelle imprimante couleur à grande capacité.
Nick le toise, avant de lui annoncer :
- Dragneel, on t'a laissé tout ce qui est lourd.
- Je m'en occupe.
Natsu prend tout de même le temps de nous saluer, maman et moi, puis nous entrons et nous présentons à la réception. J'indique sur un formulaire les coordonnées des personnes à contacter en cas d'urgence, puis on me confie les clés de ma chambre et de ma boîte aux lettres. Le réceptionniste me tend aussi le règlement de l'université, de même que celui de la résidence étudiante.
Je marmonne à Natsu :
- Ce code de conduite est plus gros que la Bible.
- Il contient sûrement plus de commandements que la Bible, me répond-il. Je parie qu'on va tous les enfreindre, cette année.
Maman et Nick se lancent encore un petit regard. Pff ! Finalement, je crois que j'ai plutôt hâte qu'ils s'en aillent.
Ma chambre se trouve au quatrième étage. En sortant de l'ascenseur, nous découvrons une salle commune équipée d'une grande télévision et de canapés confortables. Une fille est en train de se disputer avec sa mère, qui a laissé par mégarde une de ses valises chez elle, en Alabama. Deux autres filles, qui partagent visiblement une chambre pour la première fois, sont en train de se chamailler pour déterminer qui va occuper le lit du haut. Elles sont si bruyantes qu'on doit les entendre de l'autre côté du campus.
Un gars déambule dans le couloir vêtu uniquement d'une serviette blanche noué autour de sa taille. Natsu me regarde du coin de l'oeil, tandis que Nick a l'air de vouloir le tuer. Ma mère y regarde à deux fois en rougissant. J'avance les lèvres et un petit bruit de baiser pour la taquiner, mais elle me lance un regard mauvais. En arrivant devant l'immense tableau d'affichage consacré aux pratiques sexuelles sécuritaires, maman et moi nous mettons à rougir toutes les deux. Est-ce bien un pot entier de préservatifs, fixé là, au mur ? Une petite pancarte précise : "Prenez-en autant que nécessaire !"
C'est noté.
Je glisse ma clé dans la serrure de ma chambre. Voici donc l'endroit où je vais vivre jusqu'à l'été prochain. J'ouvre la porte et découvre que je suis arrivée la première. Nick et maman entrent et jettent un coup d'oeil à la cuisinière et à la petite salle de bain qui relient ma chambre à celle de Jubia.
Mirajane et elle m'ont envoyé un message texte tout à l'heure pour m'informer qu'elles arriveraient vers la fin de l'après-midi. Je suis contente d'être arrivée avant Meldy. Je me sens plutôt dépassée, et j'ai besoin d'un peu de temps toute seule pour m'adapter à la situation.
- Tu veux que je commence à apporter tes affaires ? me demande Natsu, et je hoche la tête.
Nick et lui disparaissent et j'essaie de choisir mon lit. Celui qui se trouve le plus près de la porte ? J'imagine que Mirajane apprécierait de se trouver près de la fenêtre. Or, je préfère ne pas commencer l'année par une bagarre, comme ces deux autres filles.
Je dépose donc mon sac à dos sur le lit près de la porte et inspecte ma garde-robe, mon bureau et ma commode.
Natsu, ce garçon que je voyais comme un paquet de muscles, vacille en passant la porte, croulant sous une de mes boîtes.
- Bon sang, Luce, mais qu'est-ce que tu as mis là-dedans ?
- Je crois que ce sont des livres.
- Tu as apporté toute ta bibliothèque ?
Il titube jusqu'à mon bureau et y laisse tomber la caisse. Au prochain voyage, il m'apporte un lourd carton de vêtements. Son front est luisant de sueur. Lorsqu'il revient, la fois d'après, avec mon imprimante, je lui impose de souffler un peu.
Ma mère s'assoit par terre et se met à plier mes vêtements, qui sortent tout fripés des boîtes, tandis que je me prépare à accrocher un babillard au mur. Natsu me prend le marteau et les clous des mains et s'en occupe prestement. Victoire, j'ai mon propre homme à tout faire !
Classant la petite pile de photo que je veux punaiser au tableau, je remercie Natsu. Celui-ci soulève un vieux cliché de maman, Nick et moi sur l'USS Alabama, ce gros navire de la Seconde Guerre mondiale qui est dorénavant à quai dans la baie de Mobile. Je lui dis :
- Je te conseille de ne jamais aller visiter un bateau de ce genre en plein mois de juillet. Nous avons cuit sur place.
Il sourit et repose la photo. Il regarde les autres une à unes, jusqu'à ce qu'il en trouve une de Sting et moi, datant de l'année où nous avion réussi à convaincre nos familles de partager le souper de l'Action de grâce. Je suis en train de donner une cuillerée de tarte à Sting, qui grimace.
- Il détestait la tarte à la citrouille, intervient maman tout en pliant un débardeur, mais il en avait mangé, ce jour-là, parce que Lucy avait essayé pour la première fois d'en préparer une.
Je me raidis en voyant l'expression de Natsu. Il est intrigué, mais nerveux.
- Je n'ai jamais mangé de tarte à la citrouille plus mauvaise que celle-là, ajoute-t-elle.
Je gémis :
- Mamaaaaan !
Natsu fait une petite grimace.
- Luce, je t'en prie, ne me prépare jamais, jamais de tarte à la citrouille.
Je lui donne une bourrade sur le bras, et il se met à rire. Puis il reporte son attention sur la photo.
- Il s'appelait Sting, c'est ça ?
Je hoche la tête et lui prends le cliché des mains. Je suis sur le point de renifler, mais je ne veux pas m'y laisser aller. Je devrais pouvoir regarder une photo sans me transformer en fontaine, bon Dieu ! Avec des gestes lents, je prends une punaise et accroche l'image. Puis j'expire longuement.
Natsu attrape une punaise, saisit une autre de mes photos et la fixe complètement de travers, au beau milieu du panneau d'affichage. Je l'interpelle :
- Oh non. Ç'a l'air fou.
- C'est très bien comme ça, marmonne-t-il avant d'en accrocher encore une, un peu n'importe comment.
- Hum. Est-ce que tu peux aller chercher le reste de mes boîtes, s'il te plaît ?
Maman pousse un petit ricanement. Natsu et moi nous tournons vers elle et la regardons d'un air sévère. Elle toussote, puis recommence à plier mes vêtements.
Nous finissons rapidement de décharger la voiture, attachons ma bicyclette à l'extérieur du bâtiment et, bientôt, il est l'heure que maman aille travailler. Il est l'heure pour moi de commencer ma nouvelle vie.
Natsu se rends sans doute compte que je voudrais être seule avec ma famille pour lui dire au revoir, parce qu'il me lance :
- On se voit plus tard, OK ? Envoie-moi un message texte si tu veux faire quelque chose.
Je hoche la tête lentement.
- Merci de ton aide.
- Je n'aurais pas voulu manquer ça.
Il m'attire brièvement contre lui d'un bras, puis sort dans le couloir en me regardant par-dessus son épaule. Ma chambre semble tout à coup plus sombre. Il faut que j'aille chercher des fleurs, ou que j'accroche des affiches au mur, ou encore que je rapporte tous mes objets décorés de vaches et qui sont entassés dans mon placard, à la maison.
- Tu rentres pour la fin de semaine de la fête du Travail, n'est-ce pas ? me demande maman.
En hochant la tête, je lui réponds :
- Mais, tu sais, je rentrerais peut-être avant.
- Tu m'appelles n'importe quand, d'accord ? me dit Nick. À n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, je suis là.
- Merci.
Mon frère me serre fort dans ses bras.
- Je t'aime.
- Moi aussi, je t'aime.
Maintenant, c'est à maman que je dois dire au revoir. Et c'est là que je perds le contrôle. Les larmes se mettent à me dégouliner sur les joues. C'est vraiment nul qu'un évènement aussi excitant soit en même temps si triste. Maman me fait un câlin et me caresse les cheveux. Elle ouvre la bouche, et je m'apprête à l'entendre dire qu'elle m'aime, qu'elle est fière de moi, ou bien que je dois partir à la poursuite de mes rêves, ou toute autre genre de citation tirée d'un de ces livres édifiants que les gens aiment tant offrir en cadeau lors de la remise des diplômes.
Mais elle n'en fait rien.
Sur son visage naît un sourire.
- Amuse-toi bien.
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Respire, Lucy, respire.
FanfictionLucy déteste la course à pied. Et pourtant, la voilà qui se met à courir, plusieurs fois par semaine. Courir pour lui. Peu importe la distance parcourue, elle n'arrive pas à effacer la culpabilité qu'elle ressent... Ce jour-là, si Sting n'était pas...