Chapitre 33

3.4K 306 26
                                    

Ça se gâte à l'université

    - Allez, on s'achète des chandails assortis !
- Non, Nat.
       On est dimanche après-midi. Natsu, indemne, est venu me chercher chez moi et, maintenant, nous sommes à la librairie du campus. J'ajoute :
- Nous sommes là pour que je me procure mes livres. 
    Il saisit une boule à neige contenant une réplique miniature de l'université et la secoue.
- Allez... J'en prends un rouge, tu en achètes un bleu, comme ça, on fera la paire, comme les personnes âgés sur la plage.
- Je veux bien, mais à condition que le tien soit rose.
    Là-dessus, il se tait.
    La librairie est immense et des livres sont empilés partout. Je me gratte la tête. Je me sens dépassée. Je sors de mon sac la liste des livres nécessaires pour mes cours et commence à chercher dans les rayons.
- J'ai trouvé ton livre de biologie, s'écrie Natsu, avant de le laisser tomber dans le panier qu'il tient pour moi.
    Bon sang, ce n'est pas possible : il coûte cent dollars !
    La plupart de mes cours obligatoires, cette session, tournent autour des sciences et des maths, mais, pour une raison qui m'échappe, je dois aussi prendre un cours sur l'art. Le livre d'histoire de l'art, au prix de cent soixante-quinze dollars, est plus imposant qu'une grosse boîte à pizza et doit bien peser vingt-cinq livres. Je le repose en rayon - je ne peux en aucun cas me le payer. Je vais sûrement faire des recherches pour essayer de le trouver moins cher en ligne. Sinon, je vais peut-être devoir choisir un autre cours d'art, même si les fournitures de peinture et de toiles ne doivent pas être données non plus.
    Dans la queue où nous attendons que je paie mes livres de biologie et de maths, Natsu examine toutes les bricoles bon marché qui encombrent le comptoir près de la caisse. Je parie qu'il adorerait faire des fouilles archéologique avec ma mère dans les paniers à un dollar du magasin où nous étions l'autre fois. Celui avec de belles sandales.
- Oh, regarde ! me lance-t-il.
    Il a trouvé un porte-clés avec le logo de l'université, auquel est attaché au troll aux cheveux roses. Je lui dit :
- Il te ressemble.
- Tu me prends pour un troll ?
- Bien sûr.
- Dans ce cas, il te faut absolument ce truc.
    Je lui réponds en riant :
- Je n'ai certainement pas besoin d'un mini troll.
- Oui et tu vas l'acheter, insiste-t-il en lançant le porte-clé dans mon panier. Comme ça tu aura un porte-clé à mon effigie.
    La fille derrière nous, qui tient un seul livre à la main, jette un coup d'oeil dans le panier et me demande d'un air incrédule :
- Ne me dis pas que tu vas vraiment acheter tes livres ?
- Pourquoi pas ?
- Mais personne ne lit ses livres de cours ! Tu ne devrais lire que les passages importants avant un examen ou quand tu dois faire un devoir. Et, dans ces cas-là, tu n'as qu'à emprunter le livre d'un élève de ta classe ou bien à la bibliothèque.
    Je lève les yeux vers Natsu pour savoir ce qu'il en pense. Il secoue la tête en regardant la fille, puis me dit :
- Luce, le plus gros problème, si tu les achètes, c'est que ces livres pèsent des tonnes et qu'il faut les monter jusqu'à ta chambre.
- Ce n'est donc pas un problème, puisque tu es là pour ça.
    Et je lui donne un coup ce coude dans les côtes, ce qui le fait rire.
    La fille derrière pousse un soupir agacé et se met à jouer sur son téléphone, en lançant de rapides coups d'oeil en direction de Natsu. Celui-ci l'ignore et bâille. Elle doit regretter d'avoir essayé de m'embarrasser.
- D'ailleurs, reprend Natsu, tu pourras revendre tes livres à la librairie, à la fin de la session, et utiliser l'argent pour acheter des cadeaux de Noël.
- C'est bon à savoir. Tu m'aideras aussi à rapporter les livres, à ce moment-là ?
- Bien sûr. Et tu n'auras pas beaucoup de chemin à faire pour me trouver mon cadeau de Noël. Je rêve d'un chandail assorti au tien...
    Joueuse, je lui donne une petite tape sur le bras, et la fille derrière nous pousse un nouveau soupir. Elle doit être jalouse du bonheur des autres. Je souris à Natsu, qui est en train d'observer un poulet en caoutchouc vêtu d'un minuscule cardigan aux couleur de l'université. Ce garçon me rend vraiment heureuse. Passer du temps avec lui m'éclaircit les idées, tout comme courir.
- Il te ressemble, ce poulet, dit-il en pouffant.
    Je le retape.

    Quand nous passons la porte de ma chambre, les bras chargés de livres, nous trouvons Mira à l'ordinateur, en train de discuter avec Luxus. Je remercie le ciel qu'ils ne soient pas en train de s'envoyer en l'air sur Skype.
   Je lâche mes clés, ainsi que mon nouveau porte-clés, sur mon bureau. Nat a insisté pour me l'acheter.
- Qu'est-ce que c'est que ce truc ? me demande Mira.
- Un troll porte-clés. Qui s'appelle Jay-Z.
    Je ne sais pas pourquoi, mais Natsu tenait à ce nom.
- Il est formidable, n'est-ce pas ? lui lance-t-il en souriant.
    Mirajane lève le troll vers l'écran.
- Lux, il est abominable, ce porte-clés, hein ?
- Non, il a raison, il est vraiment formidable, lui répond Luxus. Tu peux m'en trouver un, ma chérie ?
    Mira emporte son ordinateur et Luxus dans la cuisinette. Je crois qu'elle cherche à nous laisser un peu d'intimité.
    Je mets de la musique et sors les livres des sacs avant de les aligner dans ma bibliothèque. Natsu est concentré sur son téléphone, en train de texter. Quand il se laisse finalement tomber sur mon lit, son survêtement remonte et dévoile un gros bandage blanc enserrant la partie inférieure de sa jambe.
    Je me jette à genoux devant lui.
- Qu'est-ce qui s'est passé ?
    Je touche délicatement la bande blanche et il grimace. La blessure, peu importe sa nature, est sensible. Il rougit et se penche pour me saisir la main et l'éloigner de sa jambe.
- Ce n'est rien.
- Qu'est-ce que tu as fait ?
- Ce que tu m'avais demandé de ne pas faire, me répond-il d'une voix sourde.
- Du motocross ?
    Il hoche légèrement la tête.
    Comme j'ai été stupide de penser que j'allais le retrouver intact ! Est-ce dans ses habitudes de se présenter indemne ? Les yeux sur le bandage, je lui ordonne :
- Dis-moi ce qui est arrivé à ta jambe.
- Je me suis brûlé sur la moto.
    Je ferme les yeux. Putain. Et s'il se casse la jambe, la prochaine fois. Ou s'il la perd ? J'enfouis mon visage dans mes mains et je reste là, jusqu'à ce qu'il me touche doucement l'épaule.
- Je vais bien. Je me suis collé la jambe contre le métal en démarrant. C'est une blessure d'amateur. Sans doute parce que je suis effectivement un débutant...
    Je l'interromps :
- Vas-tu refaire du motocross ?
- Non. Si ça te rend malade, je te promets de ne pas en refaire.
- Et comment est-ce que je peux te faire confiance et te croire ?
- Parce que ça, c'est mieux que le motocross.
- Quoi, "ça" ?
    Une pause. Il tapote son genou du bout des doigts.
- Être assis là avec toi.
    Oh, non... L'entendre me dire cela me terrifie encore plus que l'idée de sauter du haut de l'Empire State Building.
- Hé, me chuchote-t-il en glissant du lit pour venir d'assoir près de moi, par terre.
    Nos épaules se touchent et un grand frisson me remonte l'échine.
- Ma jambe va guérir.
- Nat ? Tu devrais partir, maintenant.
- Pourquoi ?
    Une larme coule sur ma joue. Je l'essuie rapidement.
- Parce que c'est trop, tout ça.
- Je te promets de ne plus jamais faire de motocross.
- Ce n'est pas le problème !
    Il avance la paume de sa main vers ma joue, et cette idiote de joue se pose dessus sans ma permission. Nos fronts se collent. Nos respirations accélèrent. Il sent si bon.
    Mais le bandage qui entoure sa jambe ruine l'ambiance. Je marmonne :
- Tu devrais vraiment partir.
    Natsu me tapote la cuisse, puis vérifie l'écran de son téléphone.
- De toute façon, il faut que j'y aille. Dans ma fraternité, nous tenons nos réunions le dimanche soir, et je dois aller enfiler une chemise et une cravate. Je sais, c'est chelou, mais c'est leur truc.
    Il se lève, me tend la main et m'aide à me remettre sur mes pieds avant de se diriger vers la porte.
- Je te texte bientôt.
    Les yeux fixés sur la moquette, je secoue la tête.
- Non, ne le fais pas.
    Son visage se décompose.
- Luce, s'il te plaît... C'était un accident. Ça n'arrivera plus...
- Tu ne comprends pas. Je ne peux pas te perdre. Ce que tu fais pour "t'amuser", c'est dangereux...
- Tu ne me perdras pas...
- Comment peux-tu en être si sûr ? J'ai déjà perdu...
   Ma voix s'estompe.
- Tu veux qu'on parle de lui ? me demande Natsu, l'air incertain.
- Non, je ne veux pas. Comment se fait-il que tu ne comprennes pas ce que je ressens quand tu t'en vas faire du motocross ?
- Comment veux-tu que je comprenne ce que tu ressens ? Tu ne parles jamais de lui ni de ce qui s'est produit. Je ne sais même pas comment il est mort...
- Je t'ai dit que je ne voulais pas parler de lui !
- Les amis se racontent ce qu'ils ressentent. Et nous sommes amis, toi et moi. Luce, tu fais partie des meilleurs amis que j'aie jamais eus, me confie Natsu d'une voix douce.
- Je ne veux pas te perdre...
- Alors tu me repousses ? Comme ma mère ?
- S'il te plaît, j'ai besoin d'être seule.
     Il ferme les yeux et pousse un long soupir.
- Très bien. À un de ces jours, alors.
    Et il s'en va.   

Respire, Lucy, respire.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant