Le reste de la soirée est assez détendu. Nous passons un bon moment avec mon frère et ses amis, à raconter des histoires et à faire griller des guimauves tout en vidant une glacière de bière. L'air tiède d'été me rappelle comment la vie était, avant. Ce soir, j'ai presque l'impression de l'avoir retrouvée. Enfin, mis à part le fait qu'Evan et Flare me lancent tous les deux des regards bizarres, mais pour des raisons différentes.
Vers minuit, Natsu m'annonce qu'il doit aller se coucher s'il veut pouvoir s'entraîner demain, alors je dis moi aussi bonne nuit à tout le monde et nous rentrons sous notre tente. Je craignais que ce soit un peu gênant de partager une tente avec lui, mais j'aime être en sa compagnie. Je suis contente de ne las être toute seule. Une fois que nous sommes tous deux allongés côte à côte, Natsu tourne la tête vers moi en souriant et me dit :
- Bonne nuit, mademoiselle Heartfillia.
- Bonne nuit, Nat.
Mais nous n'arrivons pas à nous endormir. Lui ne semble pas trouver de position confortable. Quand à moi, je n'ai pas cessé d'avoir mal au ventre depuis la course de ce matin, et partager ma tente avec Natsu me donne envie de me blottir contre lui et de poser ma tête contre sa poitrine. Non pas que je souhaite passer un moment coquin : j'aimerais juste qu'il me tienne chaud. Mais je ne voudrais pas qu'il se fasse des idées. Chaque fois que je bouge un muscle, il respire plus fort.
De plus, Nick et ses amis continuent de boire de la bière en se racontant des histoires grivoises, et ils sont bruyants.
Natsu vérifie l'heure sur son téléphone. Il est deux heures du matin.
- Bon sang, mais est-ce qu'il vont finir par se taire ?
Je lui réponds:
- Probablement pas. D'habitude, après ses nuits de camping, Nick ne rentre pas à la maison avant l'heure du souper, le dimanche.
- Je savais que j'aurais dû installer cette tente plus à l'écart.
- Euh, tu veux dire que moi, j'aurais dû installer la tente plus à l'écart ?
Il grommelle.
- Je ne comprends pas comment c'est possible qu'un gars de la campagne comme toi soit incapable de monter une tente !
- Mon frère et moi en rêvions, quand nous étions petits, mais nous n'avions jamais assez d'argent pour en acheter une. Mon père est enseignant, ma mère est pasteur, et on est cinq enfants. La tente passait après la nourriture.
Natsu se met à glousser. Il me semble que ce n'est pas très risible que de manquer d'argent, alors je lui demande :
- Mais à quoi tu penses ?
- Quand il a commencé à sortir avec Mavis, mon frère travaillait dans un camp. Et il ne savait pas non plus comment installer une tente, parce que son camp était équipé de jolies cabanes en bois. Alors, quand Mavis et lui s'absentaient en catimini la nuit, il se contentait d'étaler cet immense parachute sur l'herbe et ils dormaient dessus.
- Attends, les grands parachutes qu'on utilisait en éducation physique, quand on était petits ?
- C'est ça, me répond Natsu en se remettant à rire. Zelef affirme qu'elle trouvait ça très romantique. Évidemment, elle à appris la vérité quelques mois plus tard, quand ils sont allés camper et qu'elle a dû installer la tente elle-même parce qu'il en était incapable.
Son histoire me fait sourire, et je m'enfonce un peu plus dans mon sac de couchage, avant de fermer les yeux. La course de ce matin m'a épuisée et je donnerais tout pour que le sommeil m'emporte, mais je n'arrive pas à m'endormir. Je suis trop tendue, parce que je n'arrive pas à arrêter de penser à ma jambe. Je me demande si je me suis blessée ou si j'ai simplement trop forcé pendant l'entraînement d'aujourd'hui.
Et puis, qu'est-ce qui se passe avec mon ventre ? Il me semble que j'ai mal partout.
C'est alors que je les entends discuter.
- C'est qui, ce gars-là ? demande Evan. Il n'allait pas à notre école, hein ?
- Non, lui répond mon frère. Natsu vit à Bell Buckle.
- Est-ce qu'ils sortent ensemble ?
- Je ne crois pas, dit mon frère.
- De toute façon, pensez-vous qu'elle va sortir avec quelqu'un d'autre, un jour ? lance Flare.
- Vous avez vu ses cicatrices ? ajoute Evan. Enfin, comment peux-tu laisser un gars comme ça traîner autour de ta soeur ?
Dans son sac de couchage, tout près de moi, Natsu se raidit, s'immobilisant comme pour faire le mort.
- Je le trouve sexy, moi, annonce Kimberly d'une voix qui trahit le nombre de bières qu'elle a bues. Allez, Lucy, lâche pas !
Super, elle joue la cheerleader, maintenant.
- Est-ce qu'on pourrais, s'il vous plaît, passer à autre chose que la vie amoureuse de ma petite soeur ? suggère Nick.
- Je suis juste un peu surpris, continue tout de même Evan. Je croyais que j'avais une chance.
- Quoi ? siffle Flare.
Nick grogne.
- Dis-moi que c'est l'alcool qui s'exprime, mon vieux.
- Elle me plaît, poursuit Evan.
Je marmonne :
- Oh, bon Dieu !
Natsu reste immobile.
- Mais je ne l'ai jamais invitée à sortir avec moi, parce qu'après la mort de Sting, je n'ai jamais trouvé de bon moment. Et, maintenant, elle arrive avec ce gars qui sort d'on ne sait où et dont personne n'avait entendu parler ?
- Laissons Sting hors de ça, le reprend Nick.
- C'est franchement pathétique que Lucy soit encore en train de se rendre malade pour lui, intervient Flare. Ça fait, quoi ? Un an ?
Je me couvre la bouche de la main précipitamment.
- Tais-toi ! lui siffle Nick. Evan, si Flare n'est pas capable de se fermer la trappe, tu la ramène chez elle !
Quelqu'un murmure quelque chose que je ne parviens pas à distinguer.
- Je me fous complètement de l'heure qu'il est, rétorque Nick. Elle se la ferme ou elle rentre chez elle.
Natsu se redresse en position assise et ouvre la fermeture à glissière d'un geste vif, prêt à bondir à l'extérieur. Je lui pose la main sur l'épaule en secouant la tête, lui faisant comprendre silencieusement que cela n'en vaut pas la peine. Je refuse de gâcher l'anniversaire de Nick à cause d'une pauvre imbécile.
Je prends une grande inspiration et me mords la lèvre inférieur. Je sers les dents pour bien sentir la douleur. Respire, Lucy, respire.
Natsu referme la tente et me jette un regard en coin.
- J'aime bien ton frère. Mais, si c'était dans le dos de Cherria ou de Wendy que cette fille avait parlé, je lui aurais trempé les cheveux dans les toilettes et j'aurais tiré la chasse. De toute évidence, Nick est plus diplomate que moi.
La tête dans l'oreiller, je pousse un petit grognement. Moi aussi, je rêverais de lui plonger la tresse dans la cuvette. Elle n'a pas la plus petite idée de ce qu'on vit quand on perd la personne à qui on a parlé chaque jour pendant trois ans. Et aimé.
C'est cela, le plus difficile : le fait que, pour tout le monde, la vie continue. Mais une partie de moi reste coincée dans les limbes avec Sting...et, en fait, j'ai plutôt envie que cela demeure ainsi. Il me manque. Je me sens tellement coupable. Je prends une autre inspiration, espérant qu'elle me dure un certain temps. Je n'ai même pas l'énergie de respirer.
- Ça va ? me murmure Natsu en se rallongeant près de moi.
- Personne ne prononce jamais ce genre de saloperie devant moi, lui chuchoté-je. Personne ne me dit jamais que je suis pathétique. Mais ils n'ont aucune idée de quoi ils parlent.
Le bruit des grillons recouvre le silence.
Mon petit coup de gueule m'a fait du bien.
Natsu se croisent les mains derrière la tête et fixe la toile au-dessus de sa tête.
- Ils sont jaloux, c'est tout.
Je m'exclame :
- Quoi ? Mais qu'est-ce que tu racontes ?
- Tu as été amoureuse. Ils sont sûrement jaloux de ça. Je sais que moi, je le suis...
- Tu n'as jamais été amoureux.
- Eh non !
Je marque une pause.
- Mais tu aimerais l'être ?
- Comme tout le monde, non ?
Voilà bien une chose qu'on entend pas beaucoup de gars dire ! Je me relève sur un coude et lui demande :
- Tu n'as jamais rencontré la bonne personne ?
Il se retourne et s'installe sur le côté afin de me faire face. Puis il secoue lentement la tête. Il me confie d'une voix douce :
- Je suis sorti avec beaucoup de filles, et j'ai parfois ressenti des sentiments, au début de la relation, mais ils ont toujours fini par s'évanouir. Même quand je voudrais qu'ils durent, ils s'estompent.
- Alors, tu n'as jamais été proche d'une fille ?
Il renchérit, dans un rire nerveux :
- Ça dépend, qu'est-ce que tu entends par "proche" ?
- C'est quand, par exemple, elle laisse une brosse à dents dans ta chambre, à la résidence étudiante. Ou quand tu lui grattes le dos.
Je grogne.
- Bon sang, que ça me manque, de me faire gratter le dos !
- Tu ne peux pas acheter une de ces baguettes qui te permettent de te gratter toi-même ?
Je lui réplique, en faisant la moue :
- Ce n'est vraiment pas la même chose.
- Es-tu en train de me demander à mots couverts de te gratter le dos ?
Je m'empresse de me tourner en lui lançant :
- Tu veux bien ? Tout en haut, à gauche.
Il ricane. Et se met à me gratter doucement l'omoplate gauche.
Je lui donne mes instructions :
- Un peu plus bas. Maintenant, vers la droite. Vers la gauche. En bas. Au milieu du dos. Juste là. Ouais. Un peu plus haut.
- En effet, je vois en quoi un gratte-dos manquerait d'efficacité, commente-il d'un ton sarcastique.
- OK, remonte, et va à gauche. Ouais, là, gémis-je.
- Bon sang, mais on va y passer la nuit.
- Tu as mieux à faire ?
- Non.
Ses doigts s'immobilisent sur mon épaule. Il ajoute :
- Et est-ce que moi aussi, j'ai le droit de me faire gratter le dos ?
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Respire, Lucy, respire.
FanfictionLucy déteste la course à pied. Et pourtant, la voilà qui se met à courir, plusieurs fois par semaine. Courir pour lui. Peu importe la distance parcourue, elle n'arrive pas à effacer la culpabilité qu'elle ressent... Ce jour-là, si Sting n'était pas...