Chapitre 23

3.1K 293 12
                                    

À la maison, je me rends compte que maman a encore oublié son tablier et son portefeuille sur le comptoir de la cuisine.
J'attrape ses affaires, remonte en voiture et me rends à l'épicerie. Avant, je lui apportais souvent tout ce qu'elle oubliait à la maison, mais, depuis cette fois où j'ai été si affreuse avec elle et lui ai dit ces choses impardonnables, mon frère a pris la relève. En me stationnant, je prends conscience que cela fait des mois que je ne suis pas venue ici.
Il est plus de dix-sept heures. Beaucoup de gens viennent de sortir du travail et se sont arrêtés pour faire des courses, alors il y a une queue à chaque caisse. Je ne veux pas attirer des problèmes à maman ou retarder les clients, donc je prends un flacon d'ibuprofène et du Pepto-Bismol avant de me diriger vers la caisse numéro deux, où trois personnes patientent déjà.
Quand elle lève les yeux des bananes qu'elle est en train de peser, maman me lance un petit sourire étonné. Je me surprends à le lui rendre. Quand arrive mon tour de payer, elle scanne mes articles et les emballe, puis je lui tends son tablier et son portefeuille.
- Merci, ma puce.
- Maman ?
Elle coince une mèche blonde derrière son oreille et lève un regard triste vers moi.
- Oui ?
- Tu veux bien venir acheter des fournitures scolaires avec moi, demain ? J'ai aussi besoin de faire quelques autres courses pour préparer mon départ...
Son regard s'illumine.
Le lendemain, maman m'aide à ouvrir mon propre compte chèques et m'accompagne chez le médecin, où je dois recevoir quelques vaccins bien embarrassants...contre les MTS. Peu importe que je sois sexuellement active ou non, mon université ne me laissera pas commencer les cours si je n'ai pas reçu ces vaccins.
Ensuite, nous nous rendons dans un magasin à grande surface pour acheter des fournitures scolaires et des articles essentiels pour mon futur appartement, comme des draps et une brosse pour nettoyer la cuvette. J'ai du mal à croire que, dans moins d'un mois, ma mère ne dormira plus à seulement quelques pieds de moi. Nick et moi ne nous bagarrerons plus pour la salle de bain. Maman ne sera plus là pour me préparer mon café. Ça va me manquer. Maman va me manquer.
- Je déteste ce magasin, me dit-elle en poussant notre chariot rouge et grinçant.
- Ce n'est pas vrai, tu adores ce magasin !
- Non, je le déteste. J'ai toujours envie d'y acheter quelque chose. Ces articles à un dollar sont l'oeuvre du démon.
Je lui passe ma liste.
- C'est ton jour de chance ! Je dois acheter tout ce qui est précédé d'une marque violette. Tu peux tout trouver.
- Qu'est-ce que c'est que ça ? me demande-t-elle en levant la pile de feuilles.
- Jubia a préparé une présentation PowerPoint détaillant ce que chacune de nous doit apporter.
Elle freine brusquement.
- Jubia Loxer ?
- Ouais... On va vivre dans le même appartement.
- Et ça ne te dérange pas ?
- Un peu... Mais, si elle reste dans sa chambre et moi, dans la mienne, on n'aura pas à se côtoyer trop souvent.
- Je trouve dommage que vous ne réussissiez pas à régler vos problèmes, toutes les deux... Vous étiez de si bonnes amies.
- Je sais !
Je me rends compte que je viens de nouveau de lui répondre d'un ton cinglant. Je me reprends :
- Pardon, maman, je suis désolée.
- Moi aussi...
Je me sens terriblement mal en entendant la tristesse dans sa voix : elle avait l'air si heureuse quand je lui ai proposé de venir faire les courses avec moi.
- J'ai envie d'arranger les choses avec Jubia, mais elle refuse de me parler. Elle ne veut plus avoir affaire à moi. Depuis qu'elle a quitté Oakdale, elle a complètement changé.
- Tu sais, quand tu as rencontré Sting...
- Je ne veux pas parler de lui !
Maman ignore mon accès de colère.
- Quand tu l'as rencontré, toi aussi, tu as changé, ma chérie. Mais ça ne veut pas dire que Jubia et toi devez laisser ces différences vous éloigner.
Je m'arrête devant un rayon et examine d'atroces sandales décorées de plumes jaunes. Jamais je n'achèterais ces horreurs, évidemment, mais j'ai besoin de me concentrer sur quelque chose pour ne pas exploser. Je suis tellement enragée que j'ai du mal à contrôler ma respiration.
- Pourquoi dois-tu toujours tout ramener à Sting ? Ouais, peut-être que, si je n'étais pas sortie avec lui, j'aurais eu plus d'amies à l'école. Peut-être que je me serais inscrite à une association ou que je me serais mise à faire du sport. Peut-être que j'aurais fait autre chose que mes devoirs, travailler au restaurant et l'embrasser, mais ce qui est fait est fait !
- Je sais bien, acquiesce-t-elle, les larmes lui montant aux yeux. Si tu savais combien de fois je me le suis répété... Je suis désolée, ma chérie.
- On peut finir de magasiner, s'il te plaît ?
- Oui, me répond-elle d'une voix étranglée, les yeux toujours plein de larmes. Mais si tu es réellement en train d'envisager ces affreuses sandales, je te fais interner.
Nous pouffons et, bientôt, nous sommes en train de rigoler comme des folles. Quand maman tombe par hasard sur une autre paire de sandale, mais avec des plumes oranges, je suis presque certaine que le magasin tout entier nous entend hurler de rire. Puis, elle feuillette le reste de la présentation PowerPoint, mais perd de nouveau son sérieux et se couvre la bouche de la main.
- Elles sont intéressantes, ces règles de vie. Interdiction de cuire du poisson dans le micro-ondes ?
- Crois-moi, il vaut mieux pour toi que tu n'en saches pas plus...
- Le jour du ménage est le jeudi ? Et un gars ne peut pas rester dans l'appartement plus de deux nuits par semaine ?
Eh merde ! J'avais oublié ce détail. Je n'en reviens pas d'avoir simplement confié ces feuilles à ma mère. Je suis tellement gênée que mes joues me brûlent.
- Cette règle s'applique en fait à Mirajane, parce qu'elle fréquente Luxus Drear. Ne t'inquiète pas, ce n'est pas avec moi que des garçons viendront passer la nuit.
Elle me lance un regard entendu.
- Mon petit doigt m'a dit que tu allais faire quelque chose avec un garçon, dimanche matin ?
- Aquarius devrait arrêter de parler à ton petit doigt.
Maman rit de nouveau.
- C'est ma meilleure amie. Ne lui dis rien que tu ne veux pas que je sache. Alors, de qui s'agit-il ? Et comment se fait-il que ni moi ni ton frère n'ayons entendu parler de lui ?
Je m'exclame :
- Tu as raconté ça à Nick ?
- Oui, et ça n'a servi à rien. Il n'était pas au courant. Allez, des détails !
- Le frère de mon entraîneur m'a invitée à participer à une course avec lui, dimanche. Je me suis dit que ce serait une bonne expérience à vivre avant le marathon.
Maman se démonte d'un coup et s'évente avec la présentation PowerPoint.
- Aquarius et ton frère vont être tellement fâchés contre moi. Ils s'attendaient à ce que je leur rapporte des ragots.
- Mais il n'y en a pas.
- Tu en es sûre ?
Elle baisse les yeux sur mes doigts. J'arrête subitement de jouer avec mon collier.
Pourquoi faut-il que les mères remarquent tout ?
La première fois que j'ai couché avec Sting, c'était lors de son seizième anniversaire, et nous sortions ensemble depuis deux ans. Comme j'avais trois mois de plus que lui, c'était habituellement moi qui conduisais, mais, ce soir-là, c'est lui qui nous a menés au lac Normandy - il avait obtenu son permis le matin même. Je ne pouvais pas m'empêcher de l'embrasser dans le cou, à chaque arrêt et aux feu rouges.
- Tu me rends fou, grognait-il en riant.
Nous sommes allés au chalet de ses parents et nous avons fait l'amour pour la première fois, devant la cheminé.
- Joyeux anniversaire, lui ai-je chuchoté quand nous avons terminé.
J'ai passé la main sur ses cheveux blonds, qui m'ont chatouillée.
- Je t'aime.
- Moi aussi, je t'aime.
Et nous nous sommes blottis sous une couverture, dans le fauteuil, d'où nous avons regardé le match des Predators de Nashville. Sting était un fanatique de hockey, alors il a sauté sur ses pieds et s'est mis à crier quand ils ont battu les Blackhawks par deux à un en prolongation, même s'il était nu.
- C'est pour toi qu'ils ont gagné, ai-je plaisanté.
- Ils auraient bien pu perdre, ça m'aurait été égal, m'a-t-il chuchoté en me caressant le bras du dessus de la main. C'est grâce à toi si mon anniversaire a été parfait.
Quand je suis rentrée à la maison, un peu plus tard ce soir-là, ma mère a su, simplement su. C'était sans doute parce que je n'arrêtais pas de jouer avec mon collier - cela a toujours été mon tic nerveux. Elle n'a pas souri et ne m'a dit qu'une seule chose : qu'elle allait prendre un rendez-vous chez le médecin.
J'ai quand même toujours pu lui parler de tout. Mais, cette fois, je ne peux raconter cela à personne. Je ne peux pas parler de ce que j'ai fait avec Natsu et de combien cela m'a semblé différent, du fait que ça m'a effrayée, que ça m'a donné l'impression d'être une mauvaise personne, que ça m'a plu.
Mais, en la voyant étudier mon visage, j'ai le sentiment qu'elle sait déjà tout cela.

Respire, Lucy, respire.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant