Chapitre 34

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    Ma vie est différente, à l'université.
   Quand j'étais à la maison, je me réfugiais dans ma chambre quand j'avais besoin d'être tranquille. Maintenant, j'ai une colocataire complètement obsédée par les vidéos en ligne. Toutes les cinq secondes, Mira veut absolument me montrer un chat assis sur un aspirateur robot, une baleine poursuivant un bateau ou une chèvre qui chevrote comme Taylor Swift. Et, quand elle n'est pas en train de perdre son temps sur YouTube, elle parle avec Luxus sur Skype. La plupart du temps, elle reste debout jusqu'à trois heures du matin, à se coiffer, à faire des redressements assis ou à prendre d'étranges poses de yoga. Pour ma part, j'aime être couchée au plus tard à vingt-trois heures, afin de pouvoir aller courir le lendemain matin, avant les cours. Parfois, j'aimerais juste un peu de silence complet pour pouvoir continuer cette idiotie de roman à suspense (franchement, il serait temps qu'ils fassent des folies de leur corps, cet agent gouvernemental et cette médecin sexy!) 
     Juste avant de passer ma quatrième nuit dans la résidence étudiante, je me décide à aller acheter des bouchons d'oreilles. J'aime beaucoup Mira, parce qu'elle est vraiment adorable, mais, avoir une coloc, c'est tellement chiant ! J'imagine que la situation pourrait être pire, pourtant. Je pourrais partager ma chambre avec Meldy et sa mandoline.
    De toute façon, même si Mira était parfaitement silencieuse, il me faudrait toujours supporter les gens qui crient dans les couloirs. Deux gars se sont disputés parce que l'un d'eux avait bu le jus de fruits de l'autre. En pleine salle commune, une fille a largué son copain parce qu'il l'avait trompée avec l'étudiante qui s'occupe du projecteur dans son cours de cinéma. Nos voisins ne jurent que par la musique electroclash, le volume au max, de préférence. Et Jubia et Meldy se sont chamaillées parce que Jubia n'enlève pas ses cheveux au fond du bain après avoir pris une douche.
- Tu crois que le béhaïsme est fortement opposé aux boules de cheveux ? ai-je demandé à Mira, qui a pouffé de rire.

    Les cours ne ressemblent pas non plus à ceux que nous suivions au secondaire. Au lieu d'avoir des devoirs à faire tous les soirs, nous n'avons que quelques gros examens et quelques devoirs écrits à remettre par session. À Hundred Oaks, nous n'étions qu'environ cinq cents élèves, mais, ici, je suis un cours de psychologie avec environ trois cents autres étudiants. Au moins, Gray fait aussi partie de la classe. Cela rend le tout un peu moins impressionnant.
    Les lectures obligatoires sont longues et ardues. Parfois, je n'ai aucune idée de ce que je suis en train de lire. D'autres fois, je me demande si je serai capable de supporter quatre années de ce cursus complètement fou. Je décide alors d'aller rencontrer mes professeurs en dehors des heures de cours.
    Après les cours, le premier jour, je me suis rendu au secrétariat du département des sciences de la santé. J'avais vu sur le site Internet qu'on cherchait à y engager de l'aide au bureau à mi-temps. Mirajane m'a suggéré de ne pas choisir tout de suite une majeure en physiothérapie ou en sciences infirmières (apparemment, son frère a changé de majeure au moins trois fois et lui a conseillé de ne pas se faire de souci avec cela dès le début de ses études). Elle m'a recommandé de trouver un travail à mi-temps dans mon département, afin de découvrir en quoi consiste ce genre de travail et de commencer à gagner de l'argent. J'étais stressée depuis un moment à l'idée de ne pas pouvoir m'acheter mes livres ni effectuer le versement d'octobre pour le programme d'entraînement de Zelef.
     Le bureau de physiothérapie m'a beaucoup rappelé le gymnase où travaille Zelef. L'endroit était plein de mini-trampolines, de ballons lestés et d'affiches sur la nutrition. J'y ai rencontré Mad, un garçon très sympa arborant une chevelure châtain et un balais, dans ses bras.

- Je suis venue poser ma candidature pour le poste, ai-je annoncé d'une voix tremblante.
    Il m'a souri et tendu un formulaire, que j'ai rempli. Après avoir discuté avec la coordonnatrice du bureau, lui avoir expliqué que, pendant plus deux ans, j'ai travaillé régulièrement comme serveuse dans un restaurant et lui avoir raconté à quel point l'exercice physique est devenu important pour moi, j'ai été engagée. Évidemment, je serais payée au salaire minimum, donc moins qu'au restaurant, mais je suis ravie de m'être trouvé un gagne-pain et d'avoir l'occasion d'apprendre dans la foulée.
     J'apprécie beaucoup la fin de l'après-midi, après les cours, quand la chaleur se dissipe un peu. Mira, Jubia et moi aimons nous allonger sur des serviettes de plage, dans la cour, pour discuter et étudier. Elles gloussent quand des garçons nous sifflent. Et, bien que Jubia et moi n'ayons jamais abordé la question de notre passé, tout semble bien aller. Je suis heureuse d'avoir de nouveau des amis.

    Je rêve continuellement que Natsu passe devant ma serviette et me propose une partie de Uno, par exemple. Mais ça n'arrive pas.

    Natsu et moi ne nous sommes textés que deux fois pendant ma première semaine, et nous n'avons jamais fait de projet pour nous revoir. Je lui ai envoyé un message texte pour savoir s'il voulait que nous courions ensemble un matin, ou un soir, et il m'a répondu : "On ne court pas à la même vitesse. Ce serait absurde de nous entraîner ensemble."
    J'ai littéralement reculé d'un pas en lisant sa réponse. Très bien, me suis-je dit. Il a raison. Je ne ferais que le ralentir.
    Mais, pour être honnête, je sais que je l'ai repoussé. Il ne fait plus tout son possible pour venir me voir, maintenant. Je me suis surprise à le chercher des yeux, entre les cours, sur le campus, au gymnase, au magasin de bagel, dans la cour. Mais, avec trente mille étudiants dans l'université, les chances de simplement tomber sur lui semblent inexistantes. Et comment se fait-il qu'il me manque tellement...mais que j'aie si peur de lui en même temps ?
    Ma mère me répétait toujours que je dépendais trop de Sting : Un garçon peut faire partie de ta vie, Lucy, mais ne doit pas être toute ta vie. Je ne veux pas dépendre de Natsu de la même façon. Tous les soirs, je soupe avec Jubia, Mira et Gray, et, le mercredi, je vais boire un café avec Max après qu'il m'ai formée pour mon nouveau travail.

    Mais je m'ennuie tout de même de mon ami.

    Peut-être que les amis aussi peuvent nous faire ressentir cette poussée d'adrénaline dont Natsu m'a parlé. Peut-être a-t-il cessé d'avoir l'impression de voler quand il était avec moi. Peut-être est-ce la raison pour laquelle il ne m'a pas prêté grande attention cette semaine.
    Mais il est vrai que je lui ai demandé d'arrêter de faire une chose qu'il aimait, simplement parce que cela m'angoissait, moi. Moi, qui ne lui ai rien donné d'autre que mon amitié. Me suis-je comportée de façon égoïste ? Oui. Mais je ne veux pas qu'il se blesse.
    Le vendredi soir, avant ma première course de vingt km - la plus grande distance que Sting ait jamais courue -, au lieu d'aller emmagasiner les glucides avec Natsu, je me retrouve en route pour le cinéparc de Franklin. On y passe Brillantine, ce soir. Sting et moi adorions ce film. J'en aimais les chansons et lui appréciait particulièrement ce passage de la fin, quand Sandy arrivait dans ses vêtements séduisants en cuir, une cigarette à la bouche.
    Dieu que je m'ennuie de mon ancienne vie ! Je m'achète une petite portion de maïs soufflé, m'assois sur le capot de ma voiture et, du pouce, essuie mes larmes.

Respire, Lucy, respire.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant