Respire, Lucy, respire.

Chapitre 20

    Défi relevé
   
    J'ai su que j'avais un petit problème quand il a apporté sa propre boule de quilles.
    Qui possède une boule de quilles ?
    Cela faisait une semaine et demi que je n'avais pas vu Natsu. Sans écouter mes recommandations, il a participé à sa course malgré sa cheville blessée et à réussi à se classer sixième, ce qui est franchement incroyable. Par ailleurs, en le voyant jouer aux quilles maintenant, personne ne pourrait s'imaginer qu'il s'est foulé la cheville. Il est en train de me battre, soixante-quatorze à quarante et un. Zelef et lui devaient bien savoir que cela ne lui poserait pas de problème de courir.
    Je m'avance vers l'allée et j'observe les quilles. Je monte la boule devant ma poitrine et prends mon élan pour la lancer, quand Natsu me crie :
- Concentre-toi, Luce !
    Ma boule part directement vers la droite. Tombe dans le dalot.
    Je m'emporte aussitôt :
- Je n'en reviens pas que tu m'aies déconcentrée avec ce surnom de merde !
    Il a commencé à me surnommée comme ça il y a quelques jours durant nos nombreux messages textes. Et il n'a pas arrêté d'utiliser ce surnom malgré les menaces que je lui ai dis...
    Il hausse les épaules et m'annonce :
- Je n'ai jamais dit que je jouais franc-jeu, et j'adore ce surnom.
    Après son deuxième abat, il donne un coup de poing dans les airs et je gémis.
    Il n'a même pas l'allure d'un joueur de quilles. J'ai enfilé un pantalon kaki et un polo, parce que j'aime bien avoir des tenues appropriées, mais il porte un bonnet gris et un t-shirt blanc. Son jeans noir lui pend aux hanches. Gros fainéant.
    Il m'a emmenée dans une salle où on joue aux " quilles cosmiques ", ce qui signifie, en gros, qu'on y trouve des étoiles phosphorescentes et y brûle de l'encens. Oui, c'est ringard, mais, la geek que je suis trouve cela plutôt génial.
    Nous en sommes au septième carreau. Je lève ma boule rose et m'élance vers la piste. J'envoie ma boule le plus fort possible et réussis à faire tomber six quilles.
- Ouaiiiiiiiis !
    Maintenant, voyons si je réussis une réserve. Alors que j'attends que ma boule réapparaisse, je remarque le couple à notre droite. Ils semblent tous deux plus intéressés par leur téléphone que par le jeu. Ou que par leur compagnon, même. Je déteste quand les gens agissent de la sorte. Je jette un coup d'oeil à Natsu. Il est en train de frotter sa boule de quilles avec un chiffon, comme si c'était son bien le plus précieux.
    Ma boule me rejoint. Je prends une grande inspiration. Je vais réussir cette réserve avec panache.
- Attention de ne pas craquer, me lance Natsu, juste derrière moi.
     Je me retourne vivement et pointe le doigt dans sa direction.
- Toi, tais-toi !
    Il fait courir ses doigts sur ses lèvres, refermant une fermeture éclair imaginaire.
    Bon. Je me concentre, vise et lance ma boule sur la piste. Les mains jointes, je prie que les quatre dernières quilles tombent. J'en renverse trois facilement, mais la quatrième se balance d'avant en arrière comme une figurine bobblehead. Je saute sur place pour essayer de la faire tomber, mais elle se stabilise.
- C'est pas vrai ! Non mais, c'est pas vrai !
    Je me retourne et me retrouve face à Natsu, les mains croisées derrière la tête, un sourire suffisant sur le visage. Je lui annonce :
- Je crois que je commence vraiment à te haïr.
- Qui, moi ?
- Je joue bien aux quilles ! Je devrais être en train de gagner.
- Et, pourtant, ce n'est pas le cas.
    Je m'affale sur le siège près de lui.
- Pourquoi est-ce que je joue si mal, ce soir ?
- Je ne sais pas. On ne peut pas échapper aux lois de la physique.
- Sans blague ? Espèce de crétin.
    Il tape dans ses mains et se lève d'un bond.
- Bon, à moi de jouer.
    Pendant qu'il se prépare, je m'approche de lui en catimini. Il se mord la lèvre et lève sa boule devant sa poitrine. C'est alors que je me jette sur lui en hurlant :
- Bouh !
- Ahh ! hurle-t-il, mais il réussit tout de même à lancer sa boule.
    Celle-ci descend la piste et renverse sept quilles. Je m'effondre à genoux en grognant, puis je m'écrie :
- Mais comment se fait-il que tu sois bon dans tout ce que tu entreprends ?
    Il me tend la main pour m'aider à me relever et me tire vers lui.
- N'es-tu pas soulagée qu'on ait décidé de ne pas parier sur cet partie ?
    C'est alors que je les remarque. Rogue, le meilleur ami de Sting, et Yukino.
    Ils sont trois allées plus loin. Rogue s'apprêtait à lancer, mais il baisse le bras quand il voit que je me trouve en compagnie d'un autre gars, tellement collée à lui que je l'entends respirer. Que je sens son savon.
    Je m'éloigne précipitamment, trébuchant en même temps, et Natsu me regarde, étonné. Rogue s'approche de moi, son regard fixé sur un point derrière mon épaule. Est-il en train de dévisager mon "ami" ?
- Comment ça va ? me demande-t-il.
    Je lui réponds doucement :
- Pas mal, et toi ?
    Il hoche la tête lentement.
- Les parents de Sting m'ont dit que tu allais courir un marathon. C'est vraiment super.
- Merci.
- Tu aurais dû m'en parler. Je me serais entraîné avec toi.
    Comme je ne sais pas trop quoi en faire, je glisse mes mains dans mes poches arrière. Voyant que je ne lui réponds pas, Rogue reprend :
- Ma mère envisage de faire une collecte de fonds lors de ton marathon. Par exemple, elle pourrait demander aux spectateurs de donner un dollar pour chaque km que tu cours, puis faire don de l'argent récolté à la caserne, à la mémoire de Sting.
    Je me pince l'arête du nez et renifle. C'est formidable, que les gens aient foi en moi, mais que se passera-t-il si je ne termine pas la course ? Je ne veux pas les décevoir. Et puis, je fais cela pour Sting et pour personne d'autre. Je conçois que c'est un peu égoïste de vouloir garder cet évènement pour moi, mais ce sera en quelque sorte la toute dernière fois que j'aurai l'impression d'être avec Sting. Ce sera notre ultime moment, celui que nous n'avons jamais eu.
    Rogue s'éclaircit la voix.
- Bon, j'imagine qu'on va se voir un de ces jours. Je serai là pour te soutenir. Lors du marathon.
    Natsu s'approche de moi dans mon dos.
- Est-ce que tout va bien, ici ?
    J'ai une envie subite de me précipiter aux toilettes, mais je me redresse.
- Rogue, voici Natsu. Nat, je te présente Rogue. C'était le meilleur ami de...
    Je n'arrive pas à prononcer son nom.
- Le copain de Lucy était mon meilleur ami, dit Rogue d'une voix douce.
    Ils se serrent la main et je vois une lueur de tristesse briller dans les yeux de Natsu. Rogue le jauge du regard. Que peut-il bien être en train de se dire ?  Que Nat ne ressemble aucunement à Sting ? Bien sûr, Sting était lui aussi coureur, mais il se peignait et savait ce qu'était une ceinture. Cette pensée me fait sourire intérieurement.
- Je ferais mieux d'y aller, annonce Rogue en reportant son regard sur moi. À bientôt, Lucy.
    Dès qu'il est hors de portée de voix, Natsu baisse les yeux vers moi pour me dévisager.
- Tu vas bien ?
- Ça va.
    Mon ton est éraillé.
    Natsu jette un coup d'oeil à Rogue, qui est en train d'enfiler ses souliers de quilles, et il lève la main comme pour la poser sur mon épaules, mais continue plutôt son geste et rajuste brusquement son bonnet.
- Tu sais quoi ? me lance-t-il. Laisse-moi finir de te battre, et puis je t'offre une crème glacée.
    Je lui jette un regard mauvais. Puis accepte la crème glacée. Si je peux en avoir une avec des morceaux d'arachide et du caramel.