Distance parcourue aujourd'hui : dix km
Encore quatre mois avant le Country Music MarathonSting n'était pas mon genre.
Juste avant le bal de bienvenue de neuvième année, le soir de notre premier rendez-vous, j'ai passé un moment à me regarder dans le miroir pour appliquer mon mascara, tout en me demandant si je devais annuler le rendez-vous. J'avais accepté parce qu'il m'avait mise au pied du mur. Et puis Sting était plutôt mignon, j'imagine, si on aimait les garçons avec les cheveux blonds en pétard. Ce qui n'étais pas mon cas. J'aimais les grands gars aux cheveux souples et pas trop courts. Ça s'était avant. Nick s'étais moqué de Sting : il avait dit qu'il ressemblait trop à un ange et qu'il devrait faire partie d'un boy band. Si mon propre frère trouvait que Sting n'était pas assez bien pour moi, qu'allaient en penser les autres ? Je m'étais toujours dit que, pour se faire une idée de qui on était, pour décider si on est cool, jolie ou peu attirante, notre entourage se basait sur la personne avec qui on sortait. C'est peut-être moche, mais c'est vrai. J'avais quatorze ans et j'étais si naïve.
Pendant le bal, Sting et moi nous sommes assis dans les gradins et il n'a pas accordé la moindre attention aux gars qui faisaient les idiots et sautaient pour essayer de toucher les paniers de basket. Il n'a pas vérifié son cellulaire une seule fois de la soirée. Je déteste quand les gens consultent leurs messages devant moi. Il n'a pas cessé de m'écouter, et plus je le regardais, plus je me rendais compte que cela n'avait pas d'importance que je ne le trouve pas très beau ou que ses cheveux soient toujours en pétard. Je ne sais sincèrement pas ce qui a cliqué dans mon esprit ce soir-là, au bal. Je me suis juste dit : " Ce gars est gentil, il te traite bien. Son sourire rayonne comme le soleil levant. Qu'est-ce que ça peut bien faire, ce que les autres penseront ? Donne-lui une chance. "
C'est ce que j'ai fait, et je ne me suis jamais lassée de lui. On avait toujours quelque chose à se dire. Il aurait adoré m'écouter lui raconter mes entraînements pour le marathon. C'est étrange d'avoir un nouveau centre d'intérêt dans ma vie et de ne pas pouvoir lui en parler.
Zelef ne veut pas qu'on se lasse de nos parcours, non plus, alors, pour nos longues courses, il change d'emplacement presque chaque fin de semaine. Pour notre deuxième parcours de dix km, nous allons courir le long de Richland Creek, à Nashville, là où convergent de nombreux sentiers, un peu comme des autoroutes se rejoignent à un échangeur. On voit bien que les festivités du 4 juillet ont eu lieu il y a quelques jours, parce que le sol est jonché de débris de feux d'artifice et de canettes de bière. Mes festivités à moi ont consisté à travailler dur au restaurant, ce qui m'a rapporté beaucoup de pourboires.
Cependant, même avec le changement de décor, quand on court dix km, on passe
un long moment seul avec soi-même. Du coup, j'ai beaucoup pensé à lui, aujourd'hui, même si j'ai essayé de m'en empêcher.
Environ un demi-km avant la fin, j'aperçois Natsu, adossé à un arbre. Il y a plus d'un mois que je ne l'ai pas vu. Comment se fait-il que je ne l'aie pas croisé sur le parcours, aujourd'hui ? A-t-il couru sur un autre sentier ? En m'approchant de lui, je me rends compte que son visage est écarlate et qu'il a du mal à respirer. J'accélère pour le rejoindre.
- Lucy, ma cheville, grogne-t-il à travers ses dents serrées.
Je m'agenouille et lui touche le pied, ce qui le fait tressaillir de douleur.
- Aïe ! lance-t-il.
Je lève le regard vers lui et m'aperçois qu'il me couve de ses yeux d'un vert délavé. Compte tenu du fait qu'il est couvert de cicatrices et qu'il a participé à des courses complètement folles, il doit avoir vraiment très mal pour réagir de la sorte.
Tentant de repérer Roméo, le gars avec qui il courait l'autre jour, je lui demande :
- Est-ce que tu fais le lièvre, aujourd'hui ?
Il secoue la tête.
- J'ai reporté nos séances, on se rencontre le dimanche, maintenant. J'étais juste en
train de m'entraîner, parce que j'ai une course en fin de semaine prochaine, me répond-il.
A-t-il changé ses jours de travail pour ne pas me voir le samedi ? Eh bien, ça fait plaisir d'apprendre ça... On dirait qu'il ne sait pas comment faire pour s'éloigner définitivement de moi. A-t-il donc trouvé notre petit moment de faiblesse si épouvantable ?
- Il faut qu'on aille trouver ton frère.
- Je ne peux pas marcher, chuchote-t-il. Et puis, je ne veux pas empirer ma blessure.
- La ligne d'arrivée n'est qu'à un demi-km d'ici. Je vais aller chercher Zelef.
Natsu se mord la main et acquiesce d'un signe de tête.
- Est-ce que je peux d'abord t'aider à t'assoir ?
Je lui passe un bras autour de la taille. Hochant la tête, il prend une grande inspiration par le nez. Quand je l'aide à s'installer par terre, je vois bien qu'il souffre terriblement. Je fais glisser sur mes épaules les bretelles de mon sac-gourde et le place sous sa cheville, pour la soulever.
Je lui dis d'une voix douce :
- Je reviens tout de suite, OK ?
Je saute sur mes pieds et m'apprête à partir en courant à toute vitesse quand il prend de nouveau la parole.
- Lucy.
Je le regarde droit dans les yeux.
- Merci.
- Je t'en prie.
Je me précipite sur le sentier et je prends mes jambes à mon cou pour aller retrouver Zelef. Je n'ai jamais couru aussi vite de ma vie, pas même quand on devait effectuer des sprints en entraînement cardio, à l'école. Je m'imagine Natsu en train de grimacer de douleur et cela me donne des ailes. Plus vite, cours plus vite !
Quand je m'approche de la ligne d'arrivée et de mes compagnons qui crient et m'encouragent, je ne lève pas les bras en signe de victoire, ni ne crie " Wouhou ! " comme je le fais d'habitude, mais je me précipite directement dans les bras de Zelef. J'ai tellement du mal à reprendre mon souffle que je n'arrive pas à parler.
- Lucy, pourquoi courais-tu aussi vite ? Tu ne devrais pas exiger autant de toi, gronde-t-il.
J'arrive à m'exclamer :
- C'est Natsu !
Je me penche vers l'avant et m'appuie sur mes genoux.
- Natsu s'est blessé !
- Où est-il ? veut savoir Zelef.
Je pointe le sentier du doigt.
- Par là, à environ un demi-km d'ici. Il ne peut plus marcher.
- Allons-y, répond Zelef en me poussant vers son camion. Kanna ! Reste avec l'équipe, hurle-t-il à son assistante.
Zelef nous conduit le long du sentier, où nous frappons et écrasons des branches d'arbre jusqu'au moment où nous atteignons Natsu. Zelef freine net, mais laisse le moteur de son camion tourner, et il saute avant même que j'aie eu le temps de détacher ma ceinture de sécurité. Zelef pose la main sur l'épaule de Natsu et la serre, puis il se met à examiner sa cheville.
- Lucy, me demande-t-il d'une voix calme, va chercher un ice pack sur le siège arrière. Et une bande élastique. Et de l'acétaminophène.
Je refoule mes émotions et fais tout ce que Zelef m'a ordonné, heureuse de jouer les infirmières. Je me penche sur Natsu et lui touche le poignet pendant que son frère lui bande la cheville.
- Qu'étais-tu en train de faire quand tu t'es blessé ? lui demande Zelef d'une voix sourde.
- J'ai posé le pied de travers sur un caillou.
Zelef s'arrête d'examiner sa cheville pour lui lancer un long regard.
- Je te le jure, insiste Natsu. Promis, vraiment.
Zelef hoche la tête et Natsu pousse un grand soupir, un peu comme s'il s'inquiétait plus de la réaction de Zelef que de sa cheville blessée.
- Est-ce que je me suis déchiré un tendon ? Est-ce que je me suis cassé quelque chose ? continue Natsu.
- Je crois qu'elle est juste foulée, lui répond Zelef en faisant décrire de lents cercles à son pied. On en saura davantage quand tu auras passé des radios.
Zelef me fais signe de m'approcher.
- Tu vois, Lucy, si c'était cassé, on ne pourrait pas la bouger du tout.
- Donc, c'est une foulure ?
Je suis fascinée par ses connaissances sur le corps humain.
Natsu essuie la sueur qui lui recouvre le visage.
- Si ce n'est qu'une entorse, je vais pouvoir participer à ma course la semaine prochaine.
Zelef hoche la tête, tandis que je reste bouche bée. Je finis par balbutier.
- Quoi ? Mais tu ne peux pas courir sur ta cheville. Elle doit guérir, d'abord !
- Je ferais appel à toutes mes forces.
- Tu en seras sans doute capable, lui dit Zelef, mais je te conseille de faire en sorte que maman n'apprenne pas que tu cours sur une cheville blessée.
Natsu adresse à son frère un petit sourire plein de gratitude. Je lui lance d'un ton acerbe :
- On ne se force pas à courir avec une cheville foulée ! " Repos, glace, compression et élévation ", voilà ce qu'il te faut.
- Et c'est ce à quoi je vais me consacrer...jusqu'à la semaine prochaine, me répond Natsu d'un ton tout aussi agressif.
- Mais je ne veux pas que tu aggrave ton cas, martelé-je.
Zelef nous regarde tour à tour, puis pose doucement la main sur mon bras.
- Il devrait bien s'en sortir. Tu as eu raison de venir me chercher. Tu l'as beaucoup aidé aujourd'hui : il aurait été dans une situation bien plus grave s'il avait dû revenir en boitillant.
- Natsu, le préviens-je en serrant les poings, ne fais pas ça. Tu devrais prendre soin de toi.
Il me rétorque d'une voix dure :
- Tout va bien aller.
Sting rabat les couvertures et sors de mon lit, en tâtonnant le sol pour retrouver son caleçon. Un coup de tonnerre fait trembler ma maison mobile. Quelques minutes plus tard, il tient un journal ouvert au-dessus de sa tête pour se protéger. Il se prépare à rejoindre sa voiture en courant. Je lui dis :
- Tu devrais peut-être attendre que ça se calme.
Il m'embrasse.
- Tout va bien aller.
Mais rien n'est bien allé.
Natsu ne m'a pas appelée après m'avoir dit qu'il le ferait. Il n'a pas essayé le moins du monde de me voir au cours du dernier mois. Et je ne vais pas rester plantée là à le regarder s'estropier encore davantage alors que je n'ai aucune raison de le faire. Je lui lance :
- J'espère que tu vas guérir vite. À un de ces jours.
Je laisse Zelef s'occuper de son frère et je m'en vais.
- Lucy ! me crie Natsu.
Mais je suis déjà en train de courir, et je termine ma course pour la deuxième fois de la journée.
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Respire, Lucy, respire.
FanfictionLucy déteste la course à pied. Et pourtant, la voilà qui se met à courir, plusieurs fois par semaine. Courir pour lui. Peu importe la distance parcourue, elle n'arrive pas à effacer la culpabilité qu'elle ressent... Ce jour-là, si Sting n'était pas...