Respire, Lucy, respire.

Chapitre 25

Color me rad

    Aujourd'hui, je donne ma démission au restaurant, avec un préavis de deux semaines.
    Je n'avais pas prévu continuer à travailler ici cet automne, étant donné que je déménage à plus d'une demi-heure de route, mais annoncer ma démission est plus difficile que je ne le pensais. J'ai été engagée à seize ans...
    Encore une chose qui s'achève. Une ère tire bel et bien à sa fin.
    Aquarius me serre dans ses bras.
- Tu sais que tu peux toujours revenir travailler ici pendant les vacances de Noël et pendant la relâche, ainsi que l'été prochain. On t'aime !
- Je garde cela en tête, merci.
    Dans trois semaines, j'emménage dans la résidence étudiante et je me cherche un nouvel emploi. Dans trois semaines, je commence une nouvelle vie.
    Pendant la période d'affluence du samedi soir, j'attends que Scorpio, le cuisinier, ajoute les accompagnements aux assiettes d'une de mes tables de quatre.
- Scorpio, dépêche-toi ! Tu es allé déterrer les pommes de terre toi-même, ou quoi ?
- Hé, minute !
    Scorpio dépose une cuillerée de purée à côté d'un faux-filet, et une autre de macaronis au fromage près des bâtonnets de poulet.
- Lucy, me crie une collègue depuis la salle. Un groupe de gars attend que tu viennes prendre les commandes, à ta table ronde.
    Je grogne en garnissant mes assiettes : des rondelles de citron pour le poisson, de la moutarde au miel pour le poulet. Combien de fois Nick et ses amis vont-ils venir manger ici et accaparer ma table ronde ? J'espère qu'Evan n'est pas là. Depuis qu'il m'a quasiment demandé de sortir avec lui, je l'évite.
    Je lève mon plateau au-dessus de mon épaule et l'emporte en salle, me préparant à lancer un regard noir à mon frère. Mais, en passant devant ma table ronde, je manque de le laisser tomber.
    Natsu est là.
    Avec six gars que je ne connais pas.
- Luce, me lance-t-il.
- C'est elle ? dit un gars dont la casquette est posée de travers sur sa tête.
- Bon sang, elle est sexy ! commente un autre en "chuchotant".
    Il a décroché du mur un des chapeaux en raton laveur et se l'est posé sur la tête.
    Oh crotte ! La nuit va être longue !
    Je dépose les assiettes sur ma table de quatre, remplis rapidement les verres de thé glacé et apporte de nouvelles bières à ma table de deux. Puis je prends une grande inspiration et me dirige droit vers ma table ronde.
    J'arrive d'un pas décidé, dépose un panier de pain et déclare :
- Nat, c'est ma meilleure table. J'espère bien que vous n'allez pas oublier les pourboires.
    Les gars sifflent et m'acclament, content de mon attitude.
- Oui, madame, me répond Natsu en s'adossant tranquillement à son siège.
- Et toi, que j'ajoute en désignant le gars qui a décroché le chapeau du mur, enlève ça immédiatement. C'est une antiquité !
    Il enlève le bonnet en fourrure d'un geste penaud et le remet à sa place.
- Tu n'aurais pas une soeur ? demande un des garçons, ce qui lui vaut immédiatement une claque sur l'épaule.
    Natsu me sourit, plus charmant que jamais. Il porte un polo noir et un autre de ses bonnets en tricot. Je commence à me demander s'il ne dort pas avec. Que porte-t-il d'autre pour aller au lit ? Je secoue la tête. Je le prévient :
- Je te conseille de bien te tenir, Natsu. Je suis encore en colère contre toi à cause de ce qui s'est passé hier soir.
    Il hoche la tête pendant que les autres font :
- Ouuuuh !
    Ils croient que je plaisante, mais ce n'est pas le cas. Et Natsu le sait. Son visage s'assombrit et il se mordille la lèvre.
- Je suis désolé, me dit-il à voix basse.
    Je lui touche doucement l'épaule pour lui montrer que nous sommes toujours amis.
- Je te trouve complètement crétin, mais je te pardonne. Je ne pourrais pas supporter que tu te blesses. Bon, maintenant, qu'est-ce que vous voulez boire ?
Il pousse un grand soupir.
- Du thé glacé, s'il te plaît.
Quelques-uns des gars sont assez vieux pour boire de l'alcool, alors j'attends leurs bières près du bar, contente d'avoir l'occasion de me calmer. Je chaparde des cerises et les grignote en réfléchissant. Bien que je sois soulagée que Natsu aille bien, j'ai presque envie de lui faire voir trente-six chandelles. Par contre, je suis ravie qu'il soit venu s'asseoir dans la section où je sers. Je n'apprécie pas ce cocktail d'émotions. Ma vie est un vrai cirque.
Quand je retourne leur porter leurs verres de thé et leurs chopes givrées et mousseuses, l'ambiance devient bien plus joviale.
- Merci, Lucy, lance l'un des garçons avec un grand sourire. Au fait, je m'appelle Loki, je suis un ami de Natsu.
Je lui réponds à la blague :
- Je ne savais pas que Nat avais des amis. Combien est-ce qu'il vous a donné pour que vous sortiez avec lui, ce soir ?
Ils éclatent de rire. Natsu se renfrogne.
- Ces idiots font partie de ma fraternité. Est-ce qu'on peut avoir encore du pain, s'il te plaît ?
Ce panier, maintenant vide, contenait au moins dix petits pains !
- Mais, enfin, Natsu, tu ne fais que manger !
- Je suis actif. J'ai besoin de ces calories. Tu n'étais pas affamée, après avoir joué au galet tout l'après-midi, la semaine dernière ?
- Non.
- Ah... Eh bien, moi, j'ai faim ! Et c'est pour ça que je suis là, parce que je meurs de faim...
- C'est faux, Lucy, l'interromps Loki. Il est là parce qu'il voulait te voir.
Natsu lui lance une arachide sur la tête. Et ainsi commence une bataille d'arachides.
Ah, les garçons.
Je retourne dans la cuisine. Un des aides-cuisiniers est enrhumé, alors Aquarius doit le remplacer. J'en remercie le ciel. Je ne veux surtout, surtout pas qu'elle découvre qui est le gars assis à ma table ronde.
Après avoir servie ma table de deux, je prends les commandes. Natsu me demande un burger avec fromage et bacon, et des frites, avec tous les condiments possibles et imaginables. Mais où met-il tout ça ?
- Ça marche toujours pour la course de demain, n'est-ce pas ? me demande-t-il.
- Ouaip. Tu passes me prendre à cinq heures trente du matin.
- Tu devrais plutôt aller dormir chez Nat, suggère Loki d'un ton malicieux. Vous pourriez tous les deux rester au lit plus longtemps...
- Oh, la ferme ! lui dit Natsu en lui lançant une arachide sur la tête.
Les autres garçons explosent de rire et je suis tellement gênée que mon visage me brûle.
Une autre bataille d'arachide éclate. Les garçons occupent ma table pendant le reste de la soirée, agités et bruyants, buvant bière sur bière et flirtant avec moi.
Et ils me laissent un pourboire de soixante pour cent.