61 - Notre réalité

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3 Juillet 2054
Trois jours après

J'avais passé les deux jours et demi suivants à dormir.

En rouvrant les yeux après ce long sommeil salvateur, je constatai qu'il faisait nuit. Il n'était que deux heures du matin, et je ne pouvais plus fermer l'œil, à présent. Les autres étaient là, endormis eux, immobiles dans des positions diverses et variées, parfois grotesques, auxquelles je m'étais habitué avec le temps. Seuls trois lits étaient vides, notamment celui d'Aramise, clamant haut et fort sa douloureuse absence.

Je me levai et quittai le dortoir pour gagner le salon sans trop savoir quoi faire. L'appartement était tristement silencieux à cette heure indue de la nuit. Pourtant, Iriko était déjà à Alfheim, comme le témoignait ma carte. Quant à Ilya, elle avait quitté son lit mais était toujours ici, à Argoat. Le point indiquant sa position ne bougeait pas. Elle devait s'être arrêtée quelque part, pour une raison ou pour une autre. Je décidai de la rejoindre.

A cette heure, contrairement à ce que cela avait pu être des années auparavant, les rues de la capitale étaient pratiquement désertes, à l'exception de quelques groupes de joueurs encore debout pour diverses raisons. Tout était calme et, après l'agitation du mois de Juin, cela faisait beaucoup de bien à mon âme agitée.

Après une brève déambulation, je retrouvai Ilya assise sur un banc, dans un parc à l'ouest de l'appartement. Elle était seule et me tournait à demi le dos. Lorsqu'elle prit conscience que je venais vers elle, elle s'essuya précipitamment les yeux et rangea dans son inventaire ce qu'elle avait auparavant dans les mains.

— Salut, m'accueilli-t-elle avec un effort pour me sourire qui ne me laissa pas indifférent.

— Salut toi...

Je m'assis à côté d'elle sans trop savoir quoi faire. Je brûlais de lui demander ce qui n'allait pas, mais ne voulant pas remuer le couteau dans une plaie peut-être trop douloureuse pour elle, je ne sus pas comment m'y prendre.

— Tu... tu veux parler de ça ? bégayai-je enfin.

— De quoi ? murmura-t-elle faiblement.

Oui, de quoi ? Qu'est-ce que ça désignait, au juste ?

— Je ne sais pas, avouai-je, embarrassé. De ce qui te fait pleurer. Je ne t'ai jamais vu pleurer que sur les autres, et cela n'arrive pas souvent.

Elle demeura un moment silencieuse avant de se lancer, triturant nerveusement ses mains posées sur ses cuisses. Le parc, à l'image de la ville, était calme et silencieux, et la seule lumière qui nous parvenait de ce banc était celle d'un petit brasero installé aux pieds d'une statue à l'image de la déesse Freyja.

— Eh bien... J'ai mis la main sur l'une des éditions de l'Icarus parue la semaine dernière, celle du 24 Juin. Et j'ai... j'ai découvert un message de mon père. Il s'inquiète pour moi et voudrais que je revienne, saine et sauve.

Je la trouvai soudain si fragile, Valkyrie ou pas, que j'eu l'irrésistible envie de la serrer dans mes bras. Au lieu de quoi, je l'embrassai simplement sur le front pour lui manifester mon soutien dans cette épreuve difficile qu'elle devait surmonter. Pour son bien, pour celui des personnes qui tenaient à elle là-bas, je priai de toutes mes forces qu'elle puisse rapidement rentrer. Qu'elle retrouve sa réalité.

Le problème pour moi, actuellement, était que je ne savais même plus ce qu'était la réalité, à la force de vivre dans un univers numérique aussi réel. Pour cette raison, je ne pouvais demander qu'à Ilya sa définition de cette réalité, car je savais qu'elle n'avait pas encore perdu pied, elle.

Skyline EmrysOù les histoires vivent. Découvrez maintenant