77 - Le fardeau

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21 Novembre 2055
Le même jour

Dans les ténèbres de mon inconscience – ou plutôt de ma déconnexion avec la réalité – je vis défiler des images à une vitesse fulgurante, enfonçant chacune une profonde aiguille dans mon cerveau, le faisant hurler de douleur à mesure que ma mémoire frémissait et déversait son flot continu de souvenirs. C'était trop. Beaucoup trop. Je n'allais pas y survivre, incapable de supporter le choc. Ma tête allait exploser. J'allais en mourir.

Des noms, des visages, des voix, des sentiments et des émotions d'une force primitive. Des lieux, des instants, des merveilles et des horreurs sans fin. Tout se bousculait dans mes souvenirs comme ils venaient à moi, trop nombreux, dans le désordre, ne me laissant pas de répit pour les assembler les uns avec les autres afin de leur donner un sens.

Le premier souvenir qui redevint clair, net et certain, fut un au revoir déchirant teinté d'adieu, accompagné par la crainte viscérale de la mort. Un adieu douloureux à Ilya et mes amis des Fils de la Lumière. Un pari risqué contre Valhalla, pour sauver au moins ce qu'il restait de mes amis. Ce qu'il restait d'eux qui puisse encore être sauvé.

Je me souvins également d'un palais aux proportions démesurées, dont l'intérieur richement orné était ponctué de statues et de portes à l'infini ; ainsi que d'une porte plus grande que les autres marquée du symbole d'un dieu. Il y avait également eu une salle de banquet dans ce palais, avec des tables et des bancs plus hauts que des hommes. Les Nornes, qui se trouvaient là, étaient ces trois femmes immenses capables de voir le passé, le présent et l'avenir, et qui avaient tenté de nous tuer. Elles accompagnaient un dieu assis sur un trône, Odin, ce vieil homme au cache-œil et aux cheveux blancs, toujours accompagné de ces deux corbeaux : Hugin et Mugin. Et enfin, il y avait eu Emrys, la petite femme aux cheveux deux fois plus longs qu'elle n'était grande, enchaînée. C'était elle qui m'avait donné un objet ; un objet très spécial.

Et Valhalla. Valhalla qui m'avait laissé sortir.

La clé de commande.

L'Infinity Drive.

Skyline Emrys.

Tout cela était réel. Lyall avait véritablement existé. C'était moi. Ce n'étaient pas que des cauchemars, ces monstres avaient vécu dans mon cerveau, dans mon univers partagé avec mes amis. Ce n'était qu'un jeu lorsque nous étions tous entré, mais il ne l'était plus depuis des années. C'était devenu, tout simplement, une autre réalité. Une réalité que ceux de l'extérieur ne pouvaient pas comprendre, même avec toute la bonne volonté et toutes les affirmations du monde.

Nous étions le 21 Novembre 2055, le jour de l'anniversaire d'Ilya. Et cela faisait pratiquement deux mois que j'en étais sorti, car la dernière date qui me venait à l'esprit avant que je ne quitte SE était celle du 5 Octobre 2055. Deux mois ! Il fallait que je me réveille au plus vite ! Vite ! Car si tout ce que j'avais connu en dehors de Skyline Emrys était encore un peu flou ou enfoui dans ma mémoire, ça, c'était clair : je savais pourquoi j'étais le seul à en être sorti, et le temps pressait terriblement. Le printemps viendrait si rapidement...

À présent, c'était donc à moi de les sortir de là. C'était une question de vie ou de mort. J'avais probablement déjà perdu autant de vies que de jours s'étaient écoulés depuis ma déconnexion. Des semaines entières passées dans l'ignorance du fardeau de ces vies si fragiles qui reposaient sur mes épaules.

Je n'avais plus de temps à perdre, quel que fût l'état dans lequel je me trouvais, physiquement comme émotionnellement. Je n'avais pas le temps pour cela, pas le temps pour la guérison et le repos. J'étais toujours prêt à sacrifier ma vie pour les sauver, même si je préférais à présent rester en vie pour le moment de nos retrouvailles.

Skyline EmrysOù les histoires vivent. Découvrez maintenant