82 - Ses yeux verts

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9 Janvier 2056
Douze jours plus tard

Kyle avait raison. En y mettant du mien, je pouvais bien faire tout ce que je voulais, y compris me rendre à Londres pour retrouver Ilya – Emmaline. Avec l'aide de mon plus jeune frère, j'avais rédigé un mail en anglais – mon niveau linguistique était déplorable, pour ne pas dire lamentable. C'était pour la prévenir de mon arrivée. Tout était prêt. L'hôtel et les billets d'avion. Jessica serait seule à m'accompagner, cette fois. Et puisqu'Emmaline était toujours à l'hôpital et donc que c'était là-bas que je la rencontrerais, j'avais été autorisé à partir sans escorte médicale.

Et voilà que j'y étais, au Great Ormond Street Hospital, seul. Jess m'avait laissé y aller sans elle lorsque je lui en avais fait la demande. Elle me faisait confiance malgré son inquiétude permanente à mon sujet. Après tout, si j'avais survécu six ans dans SE, j'étais bien capable de survivre à un après-midi entier sans elle. En particulier s'il s'agissait de rencontrer pour la première fois ma petite amie avec qui je vivais depuis cinq ans et que je n'avais pour ainsi dire jamais rencontrée.

Quelque chose m'avait donné des ailes, poussé de l'avant jusqu'à l'hôpital. Je n'avais pas marché pour venir, j'avais couru, volé. La ville et les gens m'étaient inconnus. Le monde entier, même. Je ne reconnaissais rien. Je ne connaissais plus rien. Ma seule certitude en cet instant, en ce monde, c'était Ilya – Emmaline. Mais là, à présent face à sa porte, j'étais fébrile, impatient, mais surtout terrifié.

Soudain, la porte s'ouvrit et une infirmière sortit, me percutant presque. Au lieu de m'excuser et de me ranger, je me raidis. Elle avait l'air aussi surprise que moi. Elle me parla doucement, mais malgré cela, je ne compris pas un traître mot de son charabia. J'allais devoir travailler mon anglais sérieusement si je voulais contacter tous mes amis et avoir une conversation avec eux ! Le regard de l'infirmière effleura tout juste le badge passé autour de mon cou qui indiquait « VISITOR : SKYLINE EMRYS GAMER ». Car elle me reconnut sans difficulté : j'avais fait la Une des médias du monde entier ces derniers mois, ma tête était donc moins étrangère à l'humanité qu'à moi-même.

Son visage s'éclaira d'un sourire bienveillant et tout ce que je compris du reste de ce qu'elle me dit, c'était qu'elle m'avait bel et bien reconnu.

— Charlie Dufau.

Elle avait un accent affreux à prononcer mon nom de la sorte, mais c'était le cadet de mes soucis. Je me contentais d'opiner et elle me céda le passage avec un sourire encourageant. Difficilement, je franchis le seuil sous son regard attentif, mes jambes raides et lourdes comme du plomb. L'infirmière referma doucement la porte derrière moi, me laissant face à face avec mon courage et ma lâcheté, l'un pouvant prendre le pas sur l'autre à tout instant.

Le silence dans la chambre me surprit. Il n'était pas lourd ni oppressant, mais plutôt chaleureux, apaisant. Je ressentais sa présence, et cette chaleur était sa marque. Je la reconnaissais sans même avoir besoin de la voir, mais une foule de doutes et de questions m'assaillaient sournoisement. Et si, physiquement, cela ne passait pas entre nous ? Et si elle était différente d'Ilya ? Elle avait pu se forger une tout autre personnalité. Elle s'attendait à retrouver Lyall en moi, or je n'avais pas grand-chose à voir avec ce personnage qui avait été créé de toutes pièces. J'avais été réel dans mes choix, mes propos et mes actions, dans mes sentiments, mais cela suffirait-il pour qu'elle m'accepte tel que j'étais ?

Skyline EmrysOù les histoires vivent. Découvrez maintenant