76 - "N'oublie rien ni personne"

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14 Novembre 2055
Vingt-deux jours plus tard

Un jour, Jessica vint me rendre visite, comme tous les jours, à vrai dire. Néanmoins, nous étions un jour en particulier, et comme tous les mercredis, m'avait-elle appris, elle passait sa journée entière avec moi. J'apprenais à la connaître – ou la redécouvrir – et elle m'apprenait à me connaître moi-même, tout cela par un simple jeu de questions-réponses, dans le seul but de m'aider à retrouver la mémoire.

Tous étaient convaincus que, pour me préserver de toute cette folie et du traumatisme que j'avais vécu, mon cerveau s'était remis à zéro de lui-même. Ce qui voulait dire que les informations étaient bien là, quelque part.

— Quel âge as-tu ? demandai-je en premier lorsque nous fûmes installés dans les fauteuils sous la fenêtre.

— J'ai vingt-sept ans, répondit Jessica avec un sourire espiègle. Soit quatre ans de plus que toi, ce qui te fait à présent... vingt-trois ans bien tassés.

L'âge ne me faisait pas grand effet dans ma situation, excepté pour me faire remarquer vingt-trois ans de mémoire sous les verrous, en otage de mon cerveau défaillant. Alors, j'enchaînai plutôt sur autre chose :

— Quelle est ma date de naissance, alors ?

— Eh, tu triches ! On a dit chacun son tour, me rabroua-t-elle gentiment.

— Pardon. À toi, m'excusai-je.

J'avais réappris à l'apprécier, et sa compagnie rompait la monotonie de mes journées. Sa présence était réconfortante et comblait un peu le vide dont j'étais à présent empli.

Elle réfléchit, fixant le ciel gris par la fenêtre.

— Quelle est... ta couleur préférée ?

Des flashs de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel mobilisèrent un instant toute ma vue, aveuglant ma rétine à toute autre chose. Il fallait que je fasse le tri dans ces couleurs avant de répondre :

— Eh bien... Je n'aime pas particulièrement le noir ou le blanc. Je déteste le jaune, le orange et le rouge. J'ai du mal avec le bleu clair. Je pense que ma couleur préférée c'est...

Des yeux verts m'apparurent fugacement et je clignai des paupières pour chasser cette vision troublante et m'assurer que ce n'était qu'une vision, et non pas une réminiscence de mes souvenirs.

— Le vert.

Mais pas le même vert insipide que celui de la chambre. Non, j'aimais le vert intense, le vert émeraude, le vert de ces yeux.

Jessica rit :

— Ah ! J'aurais dit gris ou noir, tu vois ! Très bien, vert alors.

Et ainsi de suite.

Je notais tout très soigneusement, car nous avions constaté que certaines informations, même postérieures à mon réveil, échappaient parfois à ma mémoire de façon radicale. Mais grâce à cette méthode, je renouais progressivement avec Jessica et ma famille, qui m'apprit ainsi que jusqu'à mon « accident », elle avait été la gouvernante de mes frères et moi. Vraisemblablement, elle l'était toujours.

La complicité qui semblait nous unir auparavant se renoua d'elle-même, avec facilité. Elle parvenait même à me faire sourire, parfois, ce qui n'était pas une mince affaire. C'était plus pour les deux enfants, Kyle et Lucas, que j'avais de la peine. Enfin, ils n'étaient plus des enfants, à présent, mais des adolescents. Car même si je faisais des efforts pour apprendre à les connaître, je n'avais quasiment aucun souvenir d'eux. De même que c'était difficile puisqu'ils savaient très bien ce qu'ils – nous – avaient perdu, contrairement à moi, et qui ne leur serait jamais complètement rendu.

Skyline EmrysOù les histoires vivent. Découvrez maintenant