Lorsque le paysage familier de Bellal m'apparut, je ressentis quelque chose d'étrange et d'indescriptible. Je n'arrivais pas à savoir si c'était de la joie ou de la peur. C'était un peu comme avoir le sentiment de rentrer à la maison, tout en guettant la conséquence catastrophique de ce retour au foyer tant attendu. Ce qui était certain, c'était que j'avais développé, sans m'en rendre compte, le syndrome de Stockholm.
Je me tournai vers Ilya qui sautillait d'une jambe sur l'autre avec un plaisir sans limites, puis levai les yeux vers le ciel nocturne.
— Nous sommes revenus, Valhalla.
Le jeu avait été intégralement réinitialisé, mais pas Valhalla, ni les Infinity Drive. Par conséquent, nous ressemblions aux avatars que nous avions abandonnés avant d'être déconnectés.
— J'ai honte de le dire, mais... je suis soulagé d'être de retour, avouai-je en fouillant du regard ces paysages ô combien familiers et rassurants à leur manière.
Ilya me regarda avec un sourire compréhensif et passa son bras sous le mien pour m'entraîner vers la ville d'une démarche légère. Cependant, je savais que pour elle, chaque pas était compté, et chacun d'entre eux comptait.
— J'en pense la même chose que toi, m'avoua-t-elle dans un souffle timide. C'est une partie de nous, maintenant. C'est quelque chose dont nous ne reviendrons jamais vraiment. Valhalla ne nous a jamais donné d'explications pour son geste. Peut-être ne saurons-nous jamais quelle folie s'est emparée de lui lorsque la foudre l'a frappé. Toujours est-il que c'est sur nous que l'orage s'est abattu et a déversé ses ravages, suite à cette nuit-là.
En effet, il ne fallait rien attendre de Valhalla. Ni logique de raisonnement ni explications. Les ingénieurs de la Yamazaki Entertainment avaient tenté d'interroger l'intelligence artificielle à ce sujet à notre retour, mais elle était demeurée muette. Les menaces de destruction de ses processeurs n'y avaient rien changé ; depuis qu'il m'avait dit au revoir en déconnectant les survivants, il n'avait plus fait le moindre mouvement ni prononcé le moindre mot.
C'était étrange de marcher dans Bellal déserte. Il y avait toujours eu tant de monde ici... Le monument aux morts avait disparu, et les sanctuaires de résurrection étaient à nouveau en fonction. Et puisque nous n'avions plus d'appartement ni de maison en raison de la réinitialisation, nous avions donc rendez-vous à l'auberge du Chat Noir, que j'avais si souvent fréquentée dans mes débuts avec Shaïn.
Je fus le premier à passer la porte et, aussitôt, on m'assaillit de toutes parts. Puis Ilya entra à son tour, et la mêlée fut quasi inextricable.
— Lyall, Ilya, on vous attendait ! s'exclama Shaïn, de bonne humeur, en me serrant contre lui à m'étouffer.
Ilya se tourna à demi vers moi, elle aussi coincée dans son étreinte sauvage, avec un regard mystérieux et malicieux que j'interprétai sans difficulté avec une certaine angoisse quant à ce qu'elle s'apprêtait à faire.
— Lyall avait des choses importantes à me dire, expliqua-t-elle avec insistance. Au fait, ce restaurant parisien où nous avons dîné ce soir était vraiment génial ! Vous devriez venir, un jour, que nous y mangions tous ensemble.
Je ne relevai pas sa première remarque, pas plus que je ne saisis la perche qu'elle me tendait avec de tels propos. Et heureusement pour moi, personne ne s'intéressa trop longtemps aux éventuelles déclarations que j'avais pu lui faire. Ils apprendraient bien assez tôt que nous avions décidé de regarder vers l'avenir.
C'était étrange de se retrouver là, ensemble, comme avant. On aurait dit que rien n'avait changé, si ce n'était le désert humain du jeu et les quelques modifications de Valhalla qui avaient été supprimées.
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Skyline Emrys
Science Fiction"- Combien de temps crois-tu que nous ayons encore à vivre ? demandai-je. Je le voyais dans ses yeux, elle s'était déjà posé la question. - Je l'ignore, Lyall. Peut-être une semaine, un mois, un an... Je sais juste que nous touchons à la fin. La fin...