La Maison du Talent ( Appauvrir le Monde, Enrichir les Tombes)

CHAPITRE 1 : UN VIEILLARD MYSTÉRIEUX

Il existe très souvent des choses inavouables et désagréables derrière le succès que l'on recherche ardemment.

Si seulement Émil Thibotais s'en était douté, il aurait probablement tourné le dos à l'idée d'être candidat pour la présidence imayaise...

Déjouant tous les pronostics, il venait d'être annoncé l'heureux vainqueur des élections présidentielles de l'année 2010, battant à plate couture son principal adversaire Victor Chalet. La satisfaction était à son comble dans le cœur du président Émil, devant les foules en liesse et derrière elles.

Cet homme qui, malgré les doutes et les impasses de cette campagne surréaliste, avait toujours su trouver en lui-même le moyen d'espérer, d'y croire. Il y avait eu quelque chose d'excitant dans le fait même que les gens ne crussent pas en lui, car il s'agissait là d'un excellent moyen de leur prouver qu'ils n'étaient pas Dieu, et qu'ils ne savaient rien à sa destinée.

Les pensées limitatives, le pessimisme, la négativité étaient leurs propres perspectives de la réalité, pas les siennes. Cette victoire bien méritée était un exemple éclatant des vertus de la ténacité et de l'obstination. Oui cette victoire était un rêve précieux qui devenait réalité pour ce candidat dont le célibat, selon ses adversaires et les avis conservateurs, traduisait un manque de stabilité, du sens des responsabilités et de l'engagement : un argument de campagne qu'il avait trouvé bas et farfelu.

Et pourtant Dieu savait que des personnes avec le sens du devoir et de l'engagement du degré d'Émil étaient aussi rares que des oasis dans le Sahara. Les gens adoraient se faire des avis d'aveugles, ignorants de la vérité vraie. Connaissaient-ils seulement les raisons douloureuses de son divorce... ?

Devenir démocratiquement, presque sans compris ni compromissions, président de toute une république à l'âge de 51 ans, témoignait à suffisance d'une certaine mentalité de l'acharnement au travail et du devoir. Quoiqu'il en soit, ses détracteurs devraient à présent s'habituer à son visage triomphant sur toutes les chaines de télévision et même sur plusieurs affiches géantes dans les villes du pays, parce qu'en plus d'être reconnu comme un bosseur, Émil  Thibotais prenait si bien la lumière. Il était photogénique à souhait. Cette qualité physique avait inconsciemment attiré la sympathie de milliers d'électeurs.

Un sourire avenant hérité de son père qui lui avait valu un bond incroyable de six points dans les sondages, rien que ça... La politique pouvait être une bête aussi simple que mystérieuse à bien des égards. Elle avait des codes aléatoires.

Des appels de félicitations se succédaient à son endroit de la part de plusieurs de ses homologues et autres dignitaires aux quatre coins du monde. Le pouvoir lui allait déjà si bien, on l'aimait, et rien ne laissait présager du moindre nuage sombre à l'horizon du beau ciel dégagé du nouveau président de la république imayaise. À l'exception peut-être, de son prédécesseur.

Au cours du traditionnel appel téléphonique, simple courtoisie et formalité politique, pratiquée au soir de l'élection du nouveau président, entre le prédécesseur et le successeur, au lieu de le féliciter, l'ancien président avait chuchoté à l'oreille de son remplaçant les paroles suivantes sur un ton lourd de mystère : « Courage pour les taches invisibles liées à votre victoire. Vous en aurez bien besoin ».

Émil Thibotais mit cette allusion hors de propos sur le compte d'une jalousie évidente. Il avait simplement souri et sincèrement souhaité intérieurement que son prédécesseur trouve le moyen de ne pas laisser le ressentiment diriger son cœur; car il serait quand même à la tête de ce pays pour les cinq prochaines années ! Il méprisa donc cette mise en garde et l'oublia aussitôt.

Le gigantesque et prestigieux palais présidentiel était un bâtiment de cinq vastes niveaux, aux allures de la maison blanche bien que celui d'Imaya s'élevait plus en hauteur. Il avait été somptueusement décoré pour la cérémonie d'investiture.