La Maison du Talent ( Appauvrir le Monde, Enrichir les Tombes)

CHAPITRE 2 : DIGRÂCE AMOUREUSE.

Pendant les jours qui suivirent les déclarations de l'étrange vieil homme sur les antennes, ses dires, malheureusement, nourrissaient les élucubrations dans le pays.

Bien entendu, de telles diffamations peu communes engendraient l'incrédulité chez le plus grand nombre, mais l'incrédulité avait des limites, surtout lorsque le surnaturel et l'impensable se matérialisaient devant les yeux! La réputation du président Émil épousa inexorablement une disgrâce amoureuse. L'atmosphère à la suite d'une élection présidentielle avait rarement été aussi poisseuse et controversée dans le pays, si bien qu'au lieu d'être en charge de l'amélioration des choses, Émil se vit réduit à essayer de réparer plutôt que construire.

Il était aux aguets et se surprenait à attendre le moindre prodige de la part de ce cinglé vieillard, même si sa logique le trouvait ridicule. Il ne se laisserait quand même pas intimider par des imprécations sans fondements d'un sénile désœuvré. De nos jours, qui croyait en ce genre de balivernes ? Lui. Il avait la preuve que le vieil homme n'était pas si sénile puisqu'il connaissait si bien le chemin de ses rêves.

Il allait déjà commencer par déménager définitivement du cinquième, et s'installer ailleurs sans avoir à donner la moindre explication à quiconque. Hors du palais présidentiel, tout allait bien! La solution était facile comme bonjour.

Mais peu importe la simplicité que voulait attribuer le président à une situation aussi compliquée, les évènements surréalistes qui allaient suivre matérialisèrent les paroles du vieillard mystérieux...

Le premier clin d'œil sibyllin intervint un mardi matin d'apparence ordinaire, alors que le président était en route pour une réunion avec les principaux acteurs du système éducatif d'Imaya. Une cravate rouge scellait le col d'une seyante chemise blanche à son cou, et un costume noir sur mesure promettait de lui servir de bouclier pour cette réunion importante.

Assis sur le siège arrière, il manipulait d'un air affairé une tablette dans laquelle il avait noté des points clés de sa prise de parole. Il se projetait déjà face à son auditoire lorsque son chauffeur immobilisa brusquement le grand véhicule noir, obligeant le cortège à s'arrêter. La tablette tomba à ses pieds et le Chef de l'État leva des yeux inquisiteurs vers son chauffeur. Il balada un regard paniqué à droite, à gauche, derrière et sur son chauffeur à nouveau.

Le conducteur avait l'air hypnotisé et regardait vers le ciel sans rien dire.

- Matias que se passe t-il ?! Pourquoi on s'arrête ? demanda l'occupant.

Pour toute réponse, le dénommé Matias, un cinquantenaire à la chevelure dense et grise, pointa du doigt le ciel tout en s'extirpant de la voiture.

- MATIAS! QU'EST-CE QUE... Émil venait de comprendre ce qui avait impressionné Matias. Lui aussi riva ses yeux aux le ciel et sortit de la voiture en foudroyant du regard, des essaims de fourmis qui tombaient en pluie abondante. Les immeubles n'étaient pas élevés dans l'endroit où ils se trouvaient, alors personne ne pouvait répondre d'une farce aussi grotesque. Les gardes avaient des yeux ronds vers le ciel, et ne se souciaient pas de la sécurité du président pendant un instant.

- Mais c'est des fourmis ma parole ! s'écria un des hommes, derrière le président.

Émil lui, passée l'ahurissement, regardait désormais la multitude de fourmis avec sévérité, comme si il pouvait se fâcher contre elles et leur ordonner de retrousser chemin.

Mais lorsque le ciel donne, il ne reprend pas.

Il tendit sa main gauche dans le vide, et quelques fourmis se posèrent lentement dans son creux. De vraies fourmis. Vivantes. Qui bougeaient. Il balaya sa main, secoua ses cheveux et regagna rapidement l'habitacle persuadé cette fois, que ce vieillard était à prendre au sérieux. La presse imayaise n'avait pas manqué plus tard, de souligner que le vieillard avait prédit le malheur et des malédictions attachées à la vie de leur nouveau président. Des éminences grises scientifiques avaient secrètement été consultées par le cabinet présidentiel pour expliquer le phénomène par n'importe quelle acrobatie scientifique. Des efforts qui se heurtèrent à une majorité sceptique.