Chapitre 4 - Laïa et Mahalia

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— Entrez !

La porte de ma chambre d'hôpital s'ouvre sur ma mère et mon frère. Le docteur qui se charge de moi depuis mon réveil m'a vaguement expliqué ce qu'il m'était arrivé, jugeant que c'était trop tôt et qu'il fallait que j'en parle en présence de mes proches. Tout ce que je sais c'est que j'ai perdu une grande partie de ma mémoire et que je viens tout juste de sortir du coma. Je sais aussi que je ne l'ai pas entièrement perdue — ce qui me rassure presque — et qu'il serait probable que je la retrouve un jour, ou du moins que je me souvienne du plus important. Cependant, je me rappelle des personnes qui comptent le plus dans ma vie même si mes souvenirs d'eux sont vagues, et c'est le principal. Quoi que... je n'ai aucun souvenir de mon père et il n'est encore pas encore venu me voir.

— Bonjour mon cœur !
— Bonjour maman, bonjour Ayden.

Il s'approche de moi et m'embrasse le front d'un geste rempli d'amour et de tendresse. Malgré ma mémoire défaillante, je n'ai pas pour autant oublié ce que je ressens pour lui. C'est mon frère, mon jumeau, ma moitié au masculin. Je peux tout oublier mais oublier ce lien fraternel qui nous unit est impossible. Le cœur en sait parfois plus que le cerveau.
Ma mère m'embrasse à son tour et s'installe sur la chaise près de la fenêtre.

— Tu as bien dormi ?
— Le lit n'est pas très confortable mais oui.
— Ne t'inquiète pas, tu seras bientôt de retour à la maison, me rassure-t-elle.
— Dans combien de temps ?
— Je ne sais pas exactement mais dans deux mois grand maximum.
— Deux mois ! m'exclamé-je.
— Oui.
— Et pourquoi pas avant ?
— Parce que ça ne fait que quelques jours que tu es réveillée. Il faut encore que tu passes quelques examens, des prises de sang, un bilan de santé et ta rééducation. Tu es restée un bon moment dans le coma, ça laisse des marques si on n'agit pas maintenant.
— Et après je rentrerai à la maison ?
— Oui et tu pourras reprendre les cours.
— Je vais devoir tout recommencer ?
— Tout dépend de ce que dit le docteur.

J'hoche la tête. C'est assez long mais je n'ai pas d'autre choix. Je vais tout faire pour pouvoir rentrer chez moi avant la durée estimée. Je me battrai jusqu'au bout peu importe si c'est dur.

— Comment tout ça est arrivé ?
— On ne sait pas.
— Il n'y avait pas de témoin ?
— Non, répond Ayden. Ça s'est passé au lycée, dans les toilettes des filles.
— Et il n'y avait personne dans les toilettes ?
— Non enfin pas à notre connaissance.

C'est vraiment étrange. Comment aurais-je pu me blesser seule au point de tomber dans le coma ? Il y avait forcément quelqu'un, non ?

— Combien de temps suis-je restée dans le coma ?
— Presque deux ans.
— Deux ans !

Je ne m'attendais pas à ça. Je pensais que ça ne faisait que quelques mois et bien non ça fait presque deux années. J'ai dû passer à côté de beaucoup de choses...  Deux ans d'une vie perdue...

— Quel est mon âge ?
— Presque vingt ans.

J'ouvre grand la bouche.

— Est-ce que j'ai eu mon bac ?
— Tu ne l'as pas passé...
— Ça veut dire que je vais devoir recommencer mon année de terminale ?
— Il n'y a pas le choix.
— Et quand est-ce que je reprendrai les cours ?
— Tu retourneras au lycée à ta sortie si tout se passe bien. En attendant, un professeur particulier viendra ici te donner des cours pour que tu ne sois pas perdue.

Quelqu'un toque à la porte et une infirmière entre.

— Excusez-moi mademoiselle mais c'est l'heure de votre toilette.
— On va y aller, dit ma mère en se levant. On reviendra plus tard.

Ils sortent en refermant la porte derrière eux. Je me retrouve seule en compagnie de l'infirmière qui vient m'aider à me lever. Je n'ai pas encore assez de force pour le faire toute seule vu que je suis restée quasiment deux ans comme un légume. Elle m'emmène, ensuite, dans la salle de bain où je prends appuie contre le lavabo puis elle m'aide à me déshabiller. Je suis un peu, voire très, mal à l'aise. C'est normal me direz-vous mais je commence à prendre l'habitude maintenant. Je n'ai pas le choix de toute façon. Tant que je n'aurais pas récupéré, j'aurais besoin de son aide.

— Est-ce que la température vous va ?
— Oui c'est parfait.

Une fois douchée, elle m'enroule dans une serviette et m'assoit sur la chaise. La situation est pathétique et comique. Je suis tel un nourrisson de quelques jours.

— Je vais chercher vos rechanges, je reviens.

Mon regard se pose sur le miroir recouvert d'un tissu couleur jaunâtre. C'est moi qui ai demandé à ce qu'il soit installé. Je n'ai jamais osé me regarder dedans. Je ne sais donc pas à quoi je ressemble et, sans vous mentir, j'ai peur du résultat, peur d'être inregardable. Je ne suis tout simplement pas prête à affronter mon reflet.


•••

— Non c'est vrai ? dis-je en riant. J'étais vraiment comme ça ?

L'ambiance est plus qu'agréable grâce à nos rires qui résonnent. J'ai eu le droit à un petit best off de mon enfance et c'est tellement drôle ! Je ne me pensais pas comme ça, aussi... impudique et à l'aise en public. L'enfant est tellement insouciant...

— Oui ! ricane -t- elle. Tu nous as fait de sacrés coups quand tu étais petite.
— Je devais être insupportable à force.
— Tu nous faisais surtout bien rire.

Nous...

— Comment se fait-il que papa ne soit encore jamais venu me voir ?

Son sourire s'efface aussitôt. Sa réaction me surprend davantage. Son manteau et son sac à la main, elle s'approche de moi pour m'embrasser.

— Tu pars déjà ?
— Oui. Il faut que je rentre préparer à manger.
— Mais il est encore tôt et nous n'avons pas terminé de...
— On en reparlera plus tard.
— Mais...
— Écoute, Laïa. Je suis fatiguée et j'ai encore pleins de chose à faire. On reprendra notre discussion plus tard, d'accord ?
— D'accord...

Elle m'embrasse à nouveau et quitte la chambre à grand pas. Je ne comprends pas ce qu'il vient de se passer. On parlait et on rigolait bien et là... Si mon père y est pour quelque chose je... je ne sais pas, je ne comprends pas.

Mahalia

Je m'appuie contre la porte et je soupire longuement. Je ne sais pas comment aborder le sujet avec Laïa. En fait je ne sais pas si je dois lui dire toute la vérité ou si je dois attendre. Je suis totalement perdue.
Le médecin traverse le couloir au bon moment et je me précipite vers lui avant qu'il ne s'engouffre dans un autre couloir.

— Bonsoir docteur.
— Bonsoir madame Peterson, que puis-je faire pour vous aider ?
— C'est à propos de ma fille. Je sors de sa chambre et...
— Ne vous inquiétez pas tout est normal. Elle pourra bientôt commencer les cours de rééducation si c'est ça que vous voulez savoir.
— Non ce n'est pas ça...
— Qu'est-ce qui vous intrigue autant ?
— Elle m'a demandé pourquoi son père ne venait pas la voir. Je n'ai pas su quoi faire alors je suis partie.
— Vous ne lui avez pas dit, n'est-ce pas ?
— Non et je ne sais pas si je dois le faire... C'est encore tôt et j'ai peur que ça ne lui fasse un choc si je lui dis toute la vérité.
— Vous savez madame, la mémoire lui reviendra un jour ou l'autre. Il serait plus judicieux pour elle et pour vous qu'elle apprenne la vérité maintenant plutôt que tout ne lui revienne d'un coup. Ça pourrait l'affecter.
— Vous pensez qu'il serait préférable qu'elle sache pour son père et pour son harcèlement ?
— Oui.
— Vous avez sans doute raison.
— Cela fait trente ans que je suis dans ce métier et des cas comme votre fille j'en ai connu des centaines. D'après mon expérience, les enfants qui ont su la vérité dès le début s'en sont mieux sortis que les ignorants. Quand les souvenirs, qu'ils soient bons ou mauvais, vous reviennent d'un coup, le moral est vite touché et le retour à la réalité peut être brutale.
— Je vous remercie pour votre franchise et pour votre conseil, docteur.
— Ce n'est rien. Reposez-vous bien madame Peterson.

[2] Souviens-toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant