Mars 1626. Ce fut un tournant dans la vie de François Favigny. Jeune homme de province, il avait laissé sa sœur dernièrement mariée pour tenter sa vie dans la capitale. Ce soir de mars, alors qu'en se promenant il passait sous les fenêtres de la reine, il entendit quelqu'un l'appeler tout doucement. Il releva la tête et reconnu la reine à son balcon. Il s'inclina respectueusement, avec un grand mouvement de chapeau.
-Etes-vous seul ? demanda-t-elle, l'air paniquée.
-Oui, oui, majesté. Répondit-il en vérifiant rapidement.
-Approchez, approchez ! le pressa la reine avec son accent espagnol.
Elle avait les traits tirés, l'air fatigué. Il lui obéi, intrigué. Elle se retourna, pris un paquet derrière elle et le lui tendit.
-Faites la disparaître et n'en parlez à personne. Le regard de la reine transperça François. Il jeta un coup d'œil au paquet et y trouva un nouveau-né, endormi. Il leva les yeux vers la souveraine qui refermait sa fenêtre. Elle referma les rideaux. François se sentit pris au piège. Il ne pouvait pas refuser cette charge.
Il en était sûr, l'enfant était un enfant caché de la reine. Il ne semblait pas avoir plus de quelques heures, ce qui expliquait la fatigue de la reine. François sorti du Louvre en vitesse, de peur que l'enfant ne se mît à pleurer. Une fois dans Paris, il s'arrêta. Qu'allait-il faire de l'enfant ? Il ne se sentait pas la force de l'abandonner par ses temps de misère où cela serait revenu à le condamner. Il réfléchit rapidement. Il fallait le mettre en nourrice, mais il n'avait pas assez d'argent pour cela. Il doutait également qu'une bonne âme veuille bien le prendre par charité. Surtout un enfant dont il avait l'interdiction de dévoiler le nom de la mère, et dont le père était inconnu. Il entra dans une auberge pour vérifier le sexe de l'enfant. S'il était un garçon, il avait plus de chance d'être adopté. Il commanda un verre, et défit les langes du nouveau-né. C'était une fille. François soupira. Qu'allait-il en faire ! La reine ne pouvait-elle pas gérer ses affaires seules comme tout le monde ! La petite se mit à pleurer. François la prit dans ses bras et la berça.
-Un verre de lait aubergiste !
-C'est votre fille ? Lui demanda l'aubergiste en le voyant s'occuper d'un nourrisson.
-Heu...Oui.
-Et la mère ne s'en occupe pas ?
-Elle est morte. Improvisa François.
L'aubergiste haussa les épaules et alla servir un autre client.
François compris qu'il allait à présent devoir présenter cette enfant comme la sienne.
-Qu'est-ce que je vais faire de toi ? demanda François au bébé qui commençait à s'endormir.
Il ne connaissait personne à Paris. C'est alors qu'il pensa à sa sœur Anne. Elle accepterait sans doute de la prendre. Il passa la nuit avec ce soulagement. Dès le lendemain, il se mit en route pour Castans, sa ville natale. Il chevaucha toute la journée, la petite sous le bras. Elle pleurait de temps en temps, mais peu. Il arriva le soir chez sa sœur. Lorsqu'il entra, ce fut son beau-frère, René qui le fit entrer.
-Anne est accouchée de trois jours. Lui apprit-il.
-Elle va bien ? S'enquit François.
René hocha la tête. Tout allait pour le mieux, elle avait mis au monde un fils qu'ils avaient appelé Jean.
-Je vois qu'il n'y a pas que chez nous que ça naît. Continua-t-il en voyant le nourrisson qu'apportait François.
-Justement, c'est pour ça que je viens.
René fronça les sourcils.
-Je ne peux pas m'occuper d'un bébé à Paris. Lui expliqua François.
-Où est la mère ?
-Morte.
-Qui était-ce ?
-Une jeune femme.
-Vous étiez mariés ?
-Non.
-Que comptez-vous faire de l'enfant si l'on refuse ?
-Vous êtes son dernier espoir. Répondit François.
René risqua un coup d'œil vers le couffin.
-Fille ? Garçon ?
-Fille.
-Je vais en parler à Anne.
Il disparut dans la pièce voisine. François l'entendit parler avec Anne. S'il parvenait à laisser l'enfant ici, il était sûr qu'elle serait heureuse. Après tout, il avait la charge d'un enfant royal. Il en éprouvait une certaine fierté.
-Elle veut vous voir. Lui dit René après qu'il soit ressortit de la pièce où se trouvait Anne.
François y entra avec l'enfant. Sa sœur était couchée sur le lit, ses cheveux châtains éparpillés sur l'oreiller, elle tenait un petit enfant contre elle.
-Comment vas-tu ? lui demanda François.
-Très bien. Lui répondit-elle en souriant. Jean se porte bien.
Ils se turent tous les deux, aucun ne savait comment aborder le sujet.
-La petite est en bonne santé aussi, et je sais qu'avec vous elle le restera.
Anne demanda alors à la voir. François la lui donna.
-Elle s'appelle comment ?
-Heu...François essaya de réfléchir à un prénom mais son esprit sembla comme embrouillé.
-Appelons la Marie. Proposa Anne qui devinait que la petite n'avait pas encore de prénom.
François accepta immédiatement. Oui, Marie était un prénom qui lui allait très bien.
-La mère était-elle respectable, ou était-ce une fille de mauvaise vie ? S'enquit alors Anne.
-Très respectable, plus qu'aucun d'entre nous. Lui assura François avec conviction.
-Très respectable, très respectable, tu ne vas pas me faire croire que c'est la fille de la reine.
Anne regarda encore la petite.
-Elle me plait assez. Si René est d'accord, j'accepte.
Ce fut un grand soulagement pour François, surtout quand René accepta à son tour. Il fut convenu que Marie serait présentée au villageois comme la fille de François, et non du couple Danger. René tenait à ce que chaque chose reste à sa place. François retourna à Paris dès le lendemain. Il craignait que son absence soit repérée par son régiment.
Anne et René élevèrent les deux enfants comme si les deux avaient été les leurs, mais avaient mis les choses au clair dès le début. Marie était la fille de François, et celui-ci ne pouvait s'en occuper à Paris. Les deux enfants en grandissant se considérèrent comme frère et sœur. Au début, les ragots fusèrent dans le village, comme quoi la petite était une fille de putain, mais très vite, ils s'atténuèrent. Marie et Jean passèrent joyeusement les premières années de leur vie.
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Le masque de fer
Fiction HistoriqueSous Louis XIII. Une toute petite enfant se voit confiée au premier venu, un certain soldat du roi nommé François. Il décide de l'appeler Marie et de la chérir comme si elle était sa propre fille, se résolvant à garder secret l'identité de sa mère...