Chapitre 3

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François reprit la route le lendemain matin. Quelques heures plus tard, il avait rejoint sa garnison.

-Vous revoilà enfin caporal Favigny ! S'exclama un homme maigre à moustache.

-J'ai fait aussi vite que possible fourrier Dimon. S'excusa-t-il.

Le fourrier lui montra que ce n'était pas la peine de s'excuser en faisant un signe de balayage avec sa main. François rejoignit ses amis à une table.

-François ! s'étonnèrent ses compagnons. Tu as laissé ta môme chez un curé ?

François acquiesça. La plupart de ses compagnons n'avaient pas de famille, quelques-uns seulement avaient une fiancée.

-Pourquoi tu l'as gardée ? demanda l'un des soldats en finissant son verre.

-C'est ma fille, je n'allais pas la laisser...

-Si j'avais récupéré tous les gosses que j'avais fait aux catins de Paris, j'aurai été ruiné ! s'esclaffa-t-il.

Les autres soldats rirent. François savait que la majorité des gens ne croyaient pas à son histoire de fiancée décédée, et dans tous les cas, il aurait eu une fille en dehors du mariage. Cela ne le dérangeait pas plus que ça, mais il avait de la peine pour Marie. Il imaginait les brimades voire les insultes que Marie recevrait quand elle serait plus grande. Il réfléchit au moment où il lui devra la vérité. Après tout, pourquoi lui révéler la réalité ? Il se considérait comme son père, l'aimait comme sa propre fille. La vérité ferait plus de mal qu'autre chose. Une question qu'il se posait souvent retraversa son esprit : qui était le père biologique de Marie ? Non. Il chassa cette interrogation en secouant la tête. Cela n'avancerait à rien de connaître l'identité de cet homme. François se connaissait. S'il apprenait de qui il s'agissait, chaque jour il aurait peur que ce type vienne lui reprendre Marie. Il se demanda ensuite si le roi était au courant des infidélités de la reine. Il haussa les épaules pour lui-même. Dans ce milieu-là, l'adultère était chose courante. Il devait s'en douter.

-Ça va François ? demanda un de ses compagnons. Tu as l'air pensif.

-Oui, oui, ne t'inquiète pas.

-Tu pensais à ta môme ?

François hocha la tête.

-Va je te comprends. Fit-il. Quand j'épouserai Thérence, je pense que je ne pourrai plus quitter notre maison.

-Et pour quand est-ce prévu ?

-Dans un an. Ses parents attendent pour pouvoir bien la doter.

Ils se turent, chacun pour des pensées différentes. Beaucoup de soldats étaient saouls. Ils commençaient à hausser le ton. Deux d'entre eux commencèrent à se battre sans que personne n'en comprenne la raison. Les soldats les moins ivres les séparèrent. Un des hommes de troupe proposa en hurlant d'aller dans la capitale pour aller rencontrer des filles de joie. François refusa. Il était fatigué.

-T'inquiètes pas, t'es pas obligé de garder le gosse à chaque fois ! se moquèrent ses camarades.

François qui avait bu un peu ne put se retenir et décocha un coup de poing dans la mâchoire du soldat qui rabaissait l'honneur de sa fille, et le sien.

-Si tu savais qui était sa mère, tu t'agenouillerais devant ma fille ! Hurla-t-il rouge de colère.

L'autre tenta de lui rendre son coup mais le manqua.

-Elle a plus de sang noble que la moitié de la France réunie ! continua François hors de lui.

-Oh parce que monsieur a couché avec la reine. Rit son adversaire. Alors elle est comment l'espagnole ? se moqua-t-il. Ce soldat avait passé de longues années à la cour.

François lui envoya un deuxième coup dans le nez.

-Sale pendard ! cracha son adversaire qui se jeta sur lui. Les deux hommes allongés l'un sur l'autre se débattaient violemment en essayant de s'étrangler. Heureusement d'autres soldats vinrent les séparer. L'adversaire de François le regarda dans les yeux.

-De toutes façon t'as aucun mérite, elle est facile ta reine. Entre Bouquingan, Montmorrency, Antoine de Bourbon et l'autre grand Monsieur, elle a fait le tour !

François se tut, et demanda à ceux qui le tenait de le laisser s'asseoir sur une chaise. Son adversaire se libéra également et parti à d'autres occupations. François réfléchi. Il ne savait pas que la reine avait eu autant d'amants. Même s'il savait qu'elle n'était pas irréprochable, il se plaisait à croire que c'était une personne pieuse et sage. Lequel de ses amants pouvait être le père de sa petite Marie ?

François se tourna vers l'ami avec qui il parlait quelques minutes plus tôt.

-Tu les connais, toi les amants de la reine ?

-J'ai entendu parler de l'affaire Bouquingan. C'était avant que tu arrives.

François l'invita à poursuivre d'un signe de tête. Il ne connaissait le duc de Buckingham que de nom.

-C'était lors du mariage entre le roi d'Angleterre et la sœur du roi. Anne d'Autriche accompagnait la mariée jusqu'à la frontière, et Bouquingan faisait également partie du voyage. C'était au début de l'été 1625. Le bruit court que le duc anglais a fait la cour à la reine, et qu'il s'est montré plutôt très entreprenant si vous voyez ce que je veux dire.

Les deux hommes se regardèrent dans les yeux. François fit un compte rapide. Été 1625, mars 1626, les dates correspondaient.

-Ces dernières années, l'amant potentiel de la reine était le duc de Montmorency. On a longtemps raconté ses exploits dans le Piémont en 29. Mais bon, ensuite avec sa trahison envers le roi ça s'est un peu gâté.

Cette histoire n'intéressait plus François, cette aventure était trop récente.

-Et que sais-tu sur l'anglais ?

-Bouquingan ? Qu'il était très beau, un des plus beaux hommes, favoris des rois d'Angleterre, premier ministre même. Bon, il parait qu'il avait des mœurs douteuses. Mais après, ce ne sont que des ragots, je ne l'ai jamais vu moi.

-Et où est-il maintenant ?

Son ami éclata de rire.

-Tu ne risque pas de le retrouver, il a été tué en 1628 !

François se senti soulagé. Personne ne viendrait l'embêter avec Marie. Si son père était beau, peut-être sa fille deviendrait une des plus belles filles du royaume, et qu'elle aura l'occasion de faire un beau mariage.

Le masque de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant