Chapitre 7

1.2K 119 8
                                    

Elle passa plusieurs jours au chevet du curé. Il semblait passer par tous les états. Tantôt, il délirait, ou transpirait à grosses gouttes sans qu'elle puisse le réveiller, tantôt elle avait l'impression qu'il allait parfaitement bien. Ce fut lors l'un de ces moments qu'il demanda à Marie d'écrire à l'un de ses confrères.

-Je ne peux plus célébrer les messes. Mes paroissiens en ont besoin. Ecris à l'évêché, pour qu'il envoie un remplaçant.

-Seulement de façon éphémère mon père. Vous vous remettrez vite. Ajouta Marie en lui prenant la main.

L'abbé sourit.

-Va, va ma fille. Va chercher de quoi écrire.

Lorsque Marie fut installée sur le secrétaire de l'abbé, la plume dans la main, Thomas Bujol commença à dicter la lettre, en grimaçant.

-Excellence... J'ai une bonne nouvelle pour vous. Comme vous l'aviez prédit, notre maître à tous m'a fait payer le prix de mes péchés.

Marie se retourna, étonnée.

-Il ne m'aime pas, et n'aime pas la vision que j'ai de la religion. Il me trouve trop lâche, pas assez religieux.

Marie hocha la tête et reprit sa lettre.

-Ainsi, me voici alité depuis près de deux semaines, incapable de remplir mes fonctions. Je suis donc contraint de m'incliner et de vous demander, au nom de tous mes paroissiens, d'envoyer un remplaçant. Vous pourrez ainsi reprendre le contrôle de mes paroissiens, et faire sortir le malin que j'ai fait entrer dans leur cœur.

-Vous êtes sûr de vouloir écrire ça, mon père ? s'inquiéta Marie.

-Oui.

-Mais cela pourrait vous attirer des problèmes. Ils pourraient vous prendre pour un hérétique...

Le père haussa les épaules.

-Je suis vieux, ils ne peuvent plus rien contre moi. Ne t'inquiètes pas Marie.

-Bon...

Elle termina la lettre, imita la signature de son maître comme il le lui avait appris. Elle confia ensuite la lettre à un voisin qui partait en direction de l'évêché. La réponse ne se fit pas attendre. Une semaine plus tard, un cavalier remettait à Marie une lettre de l'évêque. Celle-ci s'empressa d'aller la lire à l'abbé Bujol. L'évêque annonçait, sans cacher sa joie, qu'un jeune curé, le père Renonceau, viendrait le remplacer dès la fin de semaine. Il expliquait que ce jeune homme venait de finir son séminaire et qu'il était l'un de ses meilleurs élèves.

L'abbé Bujol bougonna. L'évêque allait lui envoyer un jeune fanatique sans aucune expérience de la vie. Son état de santé sembla s'améliorer jusqu'à la veille de l'arrivée du père Renonceau. La rechute fut impressionnante. Marie ne le quittait plus, et passait son temps à essayer de faire baisser sa température. Elle l'épongeait d'eau fraîche, mais l'esprit de l'abbé semblait déjà ailleurs. Il divaguait, parlait de choses et d'autres, sans qu'il y ait de suite logique. Bientôt, il se mit à pleurer, puis à hurler. Marie paniqua et alla chercher des voisins. Ceux-ci accoururent mais ne purent rien faire pour l'abbé. On appela le médecin qui effectua une saignée. Marie ne pouvait voir l'opération. Elle attendit dans la pièce voisine que le médecin ressorte.

-Il s'est endormi. Fit ce dernier enfermant la porte de la chambre. Marie couru rejoindre le curé, et prit sa main. Elle eut la sensation que son maître tentait de serrer.

-Reposez-vous. Dit-elle doucement tandis qu'une larme coulait sur sa joue. Elle passa la nuit à réciter des prières. Cela la soulageait. Elle espérait que Dieu l'entende et qu'il permette à l'abbé de guérir.

Le chant du coq la réveilla soudainement. Elle s'était assoupie, assise près du lit, la main du curé dans la sienne. Cette main devenue rigide et froide... Son premier réflexe fut de rejeter le cadavre en reculant, horrifiée. Puis de se jeter sur le lit en hurlant.

-Mon père ! Oh non mon père ! Revenez !

Le voisin qui avait appelé le médecin, et qui avait passé la nuit au presbytère, entendit les cris de la jeune fille et devina la tragédie. Il entra dans la chambre et la trouva effondrée en larme sur le père Bujol. Elle tourna la tête vers lui, les yeux gonflés et rougis par les larmes.

-Allons, allons, mademoiselle... tenta-t-il en s'approchant.

Les pleurs de la jeune fille redoublèrent. Elle tenait le bras de celui qui avait presque été son père. Elle venait de prendre conscience que sans lui, elle n'avait plus personne. Il avait été toute sa vie. Plus que François, Anne, René et Jean.

-Il est mort à cause de moi ! répétai-t-elle. Pardon mon père !

Le visage défiguré par les larmes, elle se voyait comme la seule et unique coupable de la mort de l'abbé.

-Allons Mademoiselle, c'est vous qui l'avez soigné...

Un bruit de galop se fit entendre au dehors.

Le voisin s'approcha de la fenêtre et souleva délicatement le rideau.

-Voilà le nouveau prêtre. Annonça-t-il.

Il se retourna vers Marie. La pauvre enfant n'était pas en état d'aller ouvrir au nouveau détenteur des lieux.

-Je vais l'accueillir. Prévint-il. Marie l'entendit mais ne réagit pas. Tout ce qui se passait autour d'elle lui paraissait être un écho lointain.

Le voisin sortit de la chambre et accueilli le nouvel arrivant sur le pas de la porte. C'était un jeune prêtre. Mince, de taille moyenne, le visage fin, des yeux bleus perçants et des cheveux noirs ébène. Il portait un livre sous le bras. Il était le stéréotype du jeune théologien, encore happé par ses lectures.

-Mon père. S'inclina respectueusement le paroissien.

-Bonjour, je suis le père Renonceau. Où est mon prédécesseur ? On m'a dit qu'il était souffrant.

-Il ne souffre plus désormais. Il a rejoint notre père dans la nuit.

L'homme scruta le visage du curé, mais n'y décela aucune réaction.

-La jeune fille qui vivait avec lui est en pleurs, si vous pouvez la réconforter un peu, mon père. Ajouta-t-il.

-Qui est cette jeune fille ?

-Elle s'appelle Marie. Un ami du père Bujol lui avait demandé de faire son éducation. C'est une jeune fille très agréable. Je crois qu'il la considérait comme sa fille.

-Un homme d'église ne doit pas avoir d'enfant. Répondit le père Renonceau sur un ton égal.

-Ce n'était pas sa fille bien sûr, mais je voulais dire qu'ils comptaient beaucoup l'un pour l'autre. D'ailleurs, elle est inconsolable car elle se croit responsable de sa mort.

-Est-ce le cas ?

-Bien sûr que non ! C'était un accident, une chute de cheval !

-Mmm.

Il y eut un blanc.

-Voulez-vous que je vous aide à porter vos affaires ?

-Non, merci, je m'en chargerai.

-Bon, bien si vous avez besoin d'aide, j'habite juste à côté.

Le jeune prêtre hocha la tête, et le voisin retourna chez lui, quelque peu intrigué par ce nouveau prêtre qui ne ressemblait en rien au précédent.

Le masque de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant