Chapitre 34

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Eustache qui s'était résolu à rentrer à pied arriva au petit matin à Vincennes. Il ouvrit la porte, fatigué et anxieux du déroulement de l'accouchement. Madame de Lisière le fit entrer et mit son index sur ses lèvres pour lui prier de garder le silence.

-Tout va bien, chuchota-t-elle, c'est une fille.

Eustache se dirigea vers la porte de la chambre de Louise.

-Elle dort, mais je pense que vous pouvez entrer, elle sera contente de vous voir. Moi, je rentre à Versailles. Ils doivent penser que j'ai été enlevée.

-Merci pour tout.

Madame de Lisière inclina poliment la tête et sorti. Eustache inspira et poussa lentement la porte qui le séparait de celle qui occupait toutes ses pensées. Le grincement de la porte réveilla la nouvelle mère qui sourit en reconnaissant son ami. Elle l'invita à s'approcher et lui fit signe de s'asseoir sur le côté du lit.

-Regarde, comment la trouves-tu ?

Elle repoussa ses draps pour laisser passer une toute petite tête encore un peu rougie.

-Elle est très belle...

-Je te présente Marie-Anne. Louise sourit tendrement.

Eustache eu subitement l'impression d'être à la place du père de l'enfant, le premier à côté de la jeune mère, assis sur le lit. Mais il ne l'était pas, ne le serait jamais. Une boule se forma dans sa gorge.

Louise admirait son bébé, pensive.

-La pauvre, je ne lui ai pas donné toutes les chances pour réussir...

-Ne dîtes pas cela, je suis sûre qu'elle s'en sortira très bien.

-Sans père ?

-Ma mère était orpheline.

Louise acquiesça d'un haussement d'épaule. Elle n'avait d'yeux que pour sa fille.

-Ma pauvre chérie... Elle l'embrassa.

Eustache quitta la pièce. Il aurait tant aimé épouser Louise, être autre chose que l'ami qui ressemble au grand amour. Il était à la fois heureux pour elle, et en colère. Il ne comprenait pas pourquoi elle s'évertuait à aimer un homme qui, elle le disait elle-même, ne l'aimait pas. Après tout, peut-être avait-elle raison, peut-être ne comprenait-il rien à l'Amour. C'est fatigué et un brin jaloux qu'il retourna à Versailles pour travailler aux jardins.

-Tout va bien, Monsieur Dauger ? lui demanda son patron alors qu'il venait de rater une bouture.

Eustache hocha la tête, peu convaincant.

-Si je pouvais comprendre ce qui passe dans la tête des femmes...

-Si on le pouvait, le monde serait beaucoup moins surprenant... et moins dangereux. Si je peux me permettre un conseil, n'essayez pas de les comprendre.

-De toute manière j'échouerai à deviner les pensées. Bon, ce grenadier me donne du fil à retordre.

M. Le Nôtre lui sourit tendrement et le laissa se remettre au travail.

A la tombée de la nuit, il ne retourna pas à Vincennes où il avait laissé Louise, mais resta dans ses appartements de Versailles. Il était devenu trop douloureux pour lui de la voir avec ce bébé sans père, sans lui comme père. Il y retourna seulement pour son jour de congé. Il trouva un carrosse avec son chauffeur qui patientait devant la petite maison de Louise. Il entra sans faire de bruit. Il y avait quelqu'un dans la chambre de Louise. A sa grande surprise, il entendit la jeune femme rire aux éclats.

-Oh Louis ! Vous avez l'esprit si adroit !

-J'aime que mon esprit vous plaise ma chère.

Le roi ! Louise était avec le roi, son amant. Le peu de bonne humeur qu'Eustache avait s'évapora. Il se rendit dans la pièce la plus éloignée de la chambre de Louise et pesta. Il ne pouvait rien faire d'autre qu'attendre que le roi parte. Il trouvait que cet homme profitait de la crédulité et de l'attachement que Mademoiselle de la Vallière avait pour lui. Enfin, lorsque la nuit fut bien avancée, le roi quitta les appartements de sa maîtresse. Eustache sorti de sa cachette. Louise fut surprise de le voir.

-Oh vous étiez là ? fit-elle, rayonnante.

-Oui, répondit-il sèchement. Mais la jeune femme ne le remarqua pas.

-Il m'a dit qu'il m'aimait !

Eustache fulminait de la voir l'esprit dans les nuages à cause de paroles creuses. Il décida de la faire revenir sur Terre.

-Et qu'a-t-il dit sur Marie-Anne ? Va-t-il la reconnaître ?

-Il a dit que notre amour dépasse les lois humaines, les convenances et toute la paperasse est inutile pour prouver combien l'on s'aime, répéta-t-elle, un sourire béat sur le visage.

Eustache, quant à lui était prêt à se taper la tête contre les murs.

-Donc il ne va pas la reconnaître ?

-Non, il a toute confiance en moi et sait que jamais je ne lancerai un scandale. Il m'a assuré qu'il sera un bon père pour elle, mais que faire des papiers étaient inutiles. Ce sont les gestes d'amour que j'aurais pour elle, pas les papiers qui seront importants, m'a-t-il dit ! N'est-il pas formidable ? Oh comme je l'aime !

-Merveilleux... fit Eustache en grinçant des dents, mais vous disiez que vous vouliez pour elle, pour le regard des autres sur elle que c'était important...

-Mais il m'a rassuré. Je m'en veux de lui avoir prêté de mauvaises pensées...

-L'amour fait parfois faire des choses complètement idiotes, répliqua Eustache, bonne nuit.

Il tourna les talons et parti se coucher sans adresser un mot de plus à Louise. L'état euphorique de la jeune femme dura une petite semaine puis, comme l'avait prévu Eustache, retomba. C'était dans ses périodes d'abattement qu'Eustache voyait une occasion de se frayer un chemin dans son cœur. Ainsi un soir, il agitait un hochet au-dessus de la petite, et Louise arriva dans la même pièce.

-Vous vous occupez d'elle comme si elle était votre fille, sourit-elle, attendrie.

-Cela ne me dérangerait pas qu'elle le soit.

Eustache avait dit cela sans réfléchir. Ils se regardèrent tous les deux, pesant chaque mot de la phrase. Eustache craignit alors qu'elle prenne mal ses dernières paroles. Il ajouta :

-Après tout, je ressemble à son père, peut-être peut-elle nous confondre.

-Il n'y a pas qu'elle qui peut vous confondre...

Le masque de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant