Ce fut la dernière période d'abondance que les paysans connurent. Marie et Jean eurent deux autres enfants qui moururent en bas âge à cause du manque de nourriture. Jean avait l'impression de revivre la tragédie de son enfance. Les enfants mouraient les uns après les autres. Heureusement, ils ne furent pas atteints par l'une des épidémies qui ravageaient le pays. Seul Eustache survivait et persuadait sa mère de continuer à être heureuse. Il grandissait et ressemblait de plus en plus à sa mère, le même grand nez fin, les mêmes yeux bruns. La forme de leurs visages étaient très proches.
-On dirait que tu l'as fait sans moi. Riait parfois Jean lorsqu'il était avec Marie.
-Ce n'est pas de moi qu'il tient sa robustesse. Répondait-elle en embrassant son mari.
Il était comme Jean, un survivant. En 1666, alors qu'Eustache avait déjà dix-huit ans, Marie retomba enceinte. Or ce n'était pas du tout le moment. Le temps était catastrophique, et les impôts ne cessaient de s'alourdirent. Ils ne pouvaient se permettre aucun confort. Ce bébé n'allait pas survivre lui non plus. Jean et Eustache étaient tout aussi désespérés qu'elle.
-Il n'y a pas un moyen de gagner plus d'argent ? demanda Eustache un soir, alors qu'ils se partageaient un bouillon de légumes.
-Tu crois que ce n'est pas ce que l'on voudrait ? Répondit Jean.
-Mais les nobles, on ne peut pas leur demander de nous aider ?
Jean avala sa soupe de travers. Il toussa.
-T'as pas tout bien compris, toi. Les pauvres donnent, les riches reçoivent. C'est comme ça.
-Mais il doit bien en exister des gentils ?
-T'es aussi niais que ta mère toi.
-Non, il a raison ! Intervint subitement Marie, les yeux grands ouverts comme si elle venait d'avoir une illumination.
Les deux hommes plissèrent les yeux en attendant une explication. Marie leur parla alors de son amie Françoise Prévost.
-Je lui écrirai une lettre. Peut-être qu'elle te trouvera un travail mieux payé qu'ici.
-Attends, attends, tu veux qu'il aille se jeter dans la gueule du loup ? Tu veux que je te rappelle comment tu t'en étais sortie ? s'énerva Jean.
Marie soutint son regard.
-Être entouré d'hypocrites là-bas ou mourir de faim ici, je lui laisse le choix. Répondit-elle. Et puis si vraiment ça se passe mal, il pourra revenir.
Ils se tournèrent vers Eustache. Celui-ci imaginait déjà les magnifiques châteaux qu'il pourrait découvrir, les fêtes somptueuses qu'il allait voir. Et puis comme disait sa mère, des vipères, ils en avaient à la campagne aussi.
-Tu seras sous la protection de mon amie. Tu n'auras rien à craindre.
Jean se racla la gorge.
-A part tous ceux que tu croiseras.
Eustache regardait ses parents l'un après l'autre.
-Nous respecterons ton choix. Promirent-ils.
Il inspira profondément.
-On a rien sans rien, n'est-ce pas... Je vais aller tenter ma chance là-bas.
Il rentra sa tête dans ses épaules quand son père se leva en soufflant bruyamment.
-Bon, d'accord, mais au moindre problème, tu rentres. Ou tu nous envoies une lettre. Ta mère pourra me la lire.
-D'accord Papa.
-Même s'il n'y a pas de problème, écris-nous, hein ?
-Mais oui, ne t'inquiète pas !
Jean alla passer les bras autour des épaules de Marie.
-Finalement, tu as bien fait de lui apprendre à écrire. Lui chuchota-t-il.
-Je n'en ai jamais douté. Répondit-elle en souriant.
Elle posa sa tête en arrière, sur le buste de Jean. Leur amour avait résisté au temps et aux épreuves. Dès le lendemain, Marie écrivit à son amie. Avec le temps, leurs échanges s'étaient espacés, mais elles prenaient toujours étant de plaisir à se parler. Elle lui demanda si elle ne connaissait pas quelqu'un qui pourrait avoir besoin d'Eustache. La réponse arriva la semaine suivante. Marie revenait de traire sa vache quand en rentrant dans la cuisine elle trouva Jean avec une lettre à la main.
-C'est ce que tu attends, dit-il, Je voulais qu'on la découvre ensemble tous les deux.
-Tu ne me fais pas confiance ?
-Si, mais je veux savoir les choses en même temps que toi.
Marie lui prit la missive des mains et la déplia.
Elle la parcourut rapidement des yeux.
-Elle me donne rapidement des nouvelles. Ça a l'air d'aller.
Soudain, son regard s'illumina.
-Sa dernière fille est à Versailles, et elle me dit qu'elle a une bonne place. Elle pourra trouver un emploi pour Eustache. Elle me donne ses coordonnées pour la joindre directement.
-A Versailles ! Je ne pensais pas que tes relations montaient si haut !
-Me sous-estimerais-tu, mon cher ? demanda-t-elle, taquine.
Pour toute réponse, Jean l'embrassa.
-Et si elle a une bonne place, elle pourra protéger Eustache.
-Oui, certainement.
Sur ce, ils décidèrent de mettre leur fils au courant de la nouvelle. Eustache s'en montra ravit. Il échangea quelques lettres avec la fille de Françoise Prévost pour régler les derniers détails de son arrivée. Louise de la Vallière lui paraissait être une jeune femme comme il faut, et il en était rassuré. Elle avait parlé de lui à un certain André le Nôtre, jardinier du roi, et celui-ci semblait intéressé par un jeune garçon motivé qui connaissait les plantes. La jeune femme avait ajouté que les travaux de cet homme étaient remarquables et avaient séduit tout Versailles, le roi en particulier. La renommée de M. Le Nôtre était devenue internationale. Elle promettait de protéger Eustache du mieux qu'elle pourrait et de faire de son séjour à Versailles un agréable moment qu'elle espérait inoubliable. Elle avait hâte de connaitre le fils d'une ancienne amie de sa mère.
Ce poste était une aubaine pour Eustache. Grâce à ça, sa famille pourrait vivre mieux, et peut-être même accueillir un second enfant. Ses parents le souhaitaient tellement que cela décida le garçon qui donna son accord final. Il frémissait d'impatience de voir le château, les jardins, le roi et toutes les richesses et les fastes de la cour.
Le départ eut lieu quelques semaines plus tard.
-Ne commets pas d'imprudence !
-Promis Maman !
-Ecris-nous souvent !
-Oui Papa.
Ils s'embrassèrent une dernière fois et c'est ainsi que, le cœur confiant, Marie et Jean virent leur fils unique partir pour Versailles.
VOUS LISEZ
Le masque de fer
Historical FictionSous Louis XIII. Une toute petite enfant se voit confiée au premier venu, un certain soldat du roi nommé François. Il décide de l'appeler Marie et de la chérir comme si elle était sa propre fille, se résolvant à garder secret l'identité de sa mère...