Chapitre 12

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-'Pa, y'a Simon qui veut te voir pour le méteil. Annonça-t-il sans le moindre regard pour sa cousine.

René soupira et se leva. Jean allait le suivre quand François le retint.

-Et toi mon garçon, qu'as-tu fais toute ces années?

-Comme tous les garçons d'ici, je travaille aux champs. Rien de passionnant.

Il se servit un verre d'eau et continua :

-Je n'ai pas eu la vie bourgeoise de Marie, moi.

François jeta un œil à sa sœur qui soulevait ses épaules. Marie baissa les yeux. La jalousie de Jean lui faisait honte. Elle n'avait pas choisi sa vie, lui non plus.

Anne soupira et se leva.

-Bon, je dois vous laisser, on a du travail. Elle épousseta rapidement son tablier.

-Je peux vous aider ? demanda Marie. Le père Bujol m'a appris à travailler la terre.

Le visage d'Anne s'illumina.

-Bien sûr ma puce ! J'ai une faucille en plus dans la grange, tu peux aller te servir. Jean te montrera.

L'adolescent grogna pour montrer son accord. Il conduisit sa cousine là où ils s'étaient disputés quelques minutes auparavant. Il lui tendit l'instrument.

-Je parie que tu te coupes un doigt dans moins d'une heure. Dit-il simplement avant de sortir.

-C'est pas parce que je sais lire que j'ai deux mains gauches ! Lui répondit-elle exaspérée.

Il haussa les épaules et sortit. Elle le suivit aux champs. Ils retrouvèrent une partie du village. Les autres la dévisagèrent.

-C'est qui ? demandèrent-ils à Jean en la pointant du doigt.

-Ma cousine. Répondit Jean d'un ton las. Elle revient de la région parisienne.

Les jeunes, intrigués la scrutèrent, mais n'osèrent pas aller lui parler. Bientôt, ils se mirent à parler entre eux, laissant Marie à l'écart. Heureusement, une jeune fille s'approcha d'elle. Elle avait les yeux verts, rehaussés par des pommettes saillantes. De longs cheveux blonds dépassaient de sa coiffe par endroit. Marie, désireuse de faire bonne impression, replaça rapidement sa coiffe, et lissa sa robe brune. Elle adressa un léger sourire à cette inconnue qui faisait le premier pas vers elle.

-Tu t'appelles comment ? demanda-t-elle à Marie.

-Marie Favigny. Et toi ?

-Colette. T'es la cousine de Jean ? Je suis une de ses amies. Elle marqua une pause puis repris :

-Il ne m'a jamais parlé de toi.

Ces dernières paroles eurent l'effet d'un coup de poing pour Marie, même si d'un côté cela ne la surprenait pas.

-C'est que nous ne nous sommes pas vus depuis très longtemps. Expliqua-t-elle.

-Je vois. Ça ne doit pas être facile.

Marie acquiesça.

Elle observa les gestes des autres avant de les imiter. Tout d'abord, le blé était fauché. Les paysans tenaient d'une main les tiges, en prenant garde à faire tomber le moins de grains possible, puis disposaient leur faucille contre les tiges et tiraient vers eux pour couper le fagot. Ils répétaient ensuite ce geste à l'infini. Les plus jeunes prélevaient une dizaine de brins pour constituer un lien et attachaient les fagots en gerbes. Ils travaillèrent jusqu'à ce que le soleil commence à décliner, ce qui, au mois de juin, avait tendance à se faire attendre.

Marie était exténuée. Ses mains étaient recouvertes de cloques, mais pour rien au monde elle ne se serait plaint. Elle voulait prouver à son cousin, et à tous ceux qui doutaient d'elle, qu'elle n'était pas plus incapable qu'une autre.

-Ça va ? lui demanda Colette en reprenant son souffle, une main sur la taille.

-Oui, oui... Ça faisait longtemps que je n'avais pas moissonné, mais je prendrai l'habitude.

Colette lui adressa un grand sourire. Son expression se changea subitement en un cri de surprise. L'un des garçons du groupe venait de lui pincer la taille.

-Joseph !

Le jeune homme lui sourit, et Colette finit par lui rendre ce sourire.

-Ce que tu peux être bête. Finit-elle par lui dire.

Le jeune homme s'approcha d'elle et chuchota quelques mots à l'oreille de la blonde, qui la firent rougir. Elle le repoussa sans grande conviction, et attrapant Marie par le bras, elle la raccompagna chez le couple Dauger. Sa tante était déjà rentrée. Elle indiqua à Marie qu'il était l'heure de souper. René, Jean et François rentrèrent peu après. Ils s'assirent tous autour de la table. René récita une prière, et Anne leur servit de la soupe. Avec la chaleur du mois de juin et le travail qu'elle venait d'effectuer, Marie aurait préféré quelque chose de plus frais, mais elle se contenta de boire sans un mot. Son cousin persistait à l'ignorer. Il ne lui accordait aucun regard. Elle se demanda combien de temps il allait tenir. Puis, ce fut l'heure d'aller se coucher. Il y avait un lit clos dans le fond de la pièce.

-Il y a la place pour cinq. Déclara René en l'ouvrant. Faites comme chez vous.

Pour Marie qui avait toujours eu son propre lit, cette pratique lui parut bizarre. Elle n'osa pas faire de réflexion, de peur que Jean ne lui rappelle, une fois encore, son éducation de bourgeoise.

Ils enlevèrent leurs vêtements de la journée, pour ne garder que leur chemise.

Le lit était haut. Marie s'aida du marchepied pour y rentrer. Son cousin rentra à son tour, et à peine allongé, lui tourna le dos.

-N'empêche que je ne me suis pas coupée. Lui souffla Marie.

-Mouais. On verra demain.

Marie s'allongea et ferma les yeux.

-Tu peux pas te tourner de l'autre côté ? Tu me souffle dessus, c'est insupportable. Râla Jean.

-Pourquoi ferai-je cela ? demanda Marie, déterminée à être d'aussi mauvaise fois que son cousin.

-Parce que c'est mon lit, et que tu es dedans. Alors tu obéis. Répondit-il d'un ton sans appel.

Marie ne bougeant pas assez vite à son gout, il se retourna vers elle et la bouscula pour la faire changer de côté.

-Comme ça, et tu bouges pas, sinon tu finis la nuit dehors.

Décidément, il ne rigolait pas.

Quelques minutes plus tard, François entra dans le lit, bientôt suivit du couple Dauger.

-Enfin tous réuni ! Sourit François. Ça fait vraiment plaisir.

Le masque de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant