Chapitre 6

1.3K 114 7
                                    

Marie avait quatorze ans lorsqu'elle reçut une lettre du supérieur hiérarchique de François. Celui-ci avait attrapé la petite vérole. Marie comprit alors qu'elle ne pourrait plus voir son père avant un certain temps, voire plus du tout, mais elle voulait occulter cette possibilité. Elle ressenti plus qu'à tout autre moment encore, le besoin de rejoindre sa famille, ou tout du moins de leur rendre visite. Elle ne savait pas comment aborder le sujet avec l'abbé Bujol. Il était impossible pour lui de voyager, et elle savait qu'il ne la laisserait pas traverser seule la France. Thomas Bujol voyait bien que Marie semblait soucieuse. Elle n'était plus aussi bavarde que de coutume durant les repas.

-Que t'arrive-t-il mon enfant.

-Rien mon père.

-Allons Marie, pas de secrets...

La jeune fille reposa son couvert sur la table et souffla.

-Mon père me manque. Tout comme le reste de ma famille.

L'homme d'église comprenait son chagrin mais ignorait comment l'apaiser.

-Pourrai-je me rendre chez mon oncle et ma tante ? essaya Marie.

-Je ne peux pas m'absenter. Et ce serait une imprudence immense que tu y ailles seule.

-Je peux trouver quelqu'un pour m'accompagner. Proposa-t-elle.

L'abbé laissa échapper un petit rire nerveux.

-Je crains que tu n'aies pas saisi que je n'étais pas un prince. Un guide coûte cher.

Marie baissa la tête vers ses lentilles. Il fallait pourtant qu'elle y aille. Elle devait trouver une solution. Peut-être trouver de l'argent par elle-même ? Comment ? Elle pouvait travailler chez des personnes. Elle savait faire à manger, s'occuper des bêtes. Elle proposa son idée à l'abbé. Son visage changea d'expression. Il haussa la voix.

-C'est hors de question ! Jamais moi vivant tu ne travailleras comme une pauvre fille de ferme. Et puis ce n'est pas avec ça que tu gagneras de quoi te payer un guide.

Il marqua une pause.

-Attends que ton père rentre. Il pourra t'y emmener.

Mais s'il ne rentrait pas ? Les larmes montèrent aux yeux de Marie, et elle ne put les retenir. Elle explosa en sanglots. L'abbé en fut attendrit. Il se leva, et fit le tour de la table pour prendre sa protégée dans ses bras.

-Allons, ne pleure plus. Aie confiance en notre Seigneur. Je suis sûr qu'il laissera la vie à ton père.

Marie savait que l'abbé ne pouvait pas en savoir plus qu'elle, mais son étreinte la calma. Elle essuya ses larmes.

-Je vais monter me coucher. Décida-t-elle.

Une fois dans sa chambre, elle s'assit sur le rebord de la fenêtre. Elle ne pouvait pas attendre que François revienne. A Paris, elle trouverait sans doute de quoi gagner de l'argent. Elle pensa à couper ses cheveux. L'abbé lui avait déjà parlé de pauvres filles misérables qui n'avaient pas d'autres choix que celui-là. Elle jeta un œil vers la porte. Jamais son maître ne l'acceptera. La fenêtre ouverte lui donna alors une idée. Elle se pencha pour évaluer la hauteur. Flocon miaulait sous sa fenêtre. Si elle se pendait au rebord, ses pieds ne seraient plus qu'à environ un mètre du sol. Elle pouvait le faire. Elle jeta un manteau à l'extérieur, enjamba la fenêtre et se laissa glisser dans le jardin. Elle caressa rapidement Flocon et ajusta sa capeline. Elle était prête. Elle quitta le presbytère et s'avança sur la grande route. Les grillons jouaient, les buissons frissonnaient et la lune jouait à cache-cache avec les nuages. Un hurlement de loup retenti. Marie pensa un moment qu'il pourrait lui arriver quelque incident mais chassa bien vite cette idée. Elle avança d'un bon pas, et traversa plusieurs bourgs jusqu'au petit matin où elle atteignit un bois. Exténuée par cette nuit de marche, elle s'assoupit sous un sapin. Elle fut réveillée par le bruit d'une charrette qui passait sur la route.

-Eh Mam'selle ! l'appela une paysanne.

Marie se frotta les yeux.

-Z'allez bien ?

-Oui, oui merci, je me reposais juste.

-'Devriez faire attention. C'est qu'ya la peste dans l'voisinage.

Marie déglutit. Heureusement, elle n'avait croisé personne cette nuit.

-Oh et vous seriez pas Marie Favigny ? demanda la paysanne après qu'une autre lui ai parlé.

Surprise, Marie confirma.

-Y'a l'curé qui vous cherche.

Marie se mordit la lèvre. C'était l'abbé Bujol qui était parti à sa recherche. Devait-elle continuer ou faire demi-tour ?

-Il risque pas de vous trouver dans son état... poursuivi la paysanne.

-Comment ça ?! s'inquiéta Marie.

-L'est tombé de son cheval en arrivant au village. Il est plutôt mal.

Marie se redressa immédiatement.

-Où est-il ?

La paysanne lui indiqua le village de son index. Marie la remercia et courut dans la direction indiquée. Une fois arrivée, elle n'eut aucun mal à le trouver. Un attroupement s'était formé autour de l'homme d'église. Elle joua des coudes pour arriver près de lui et s'agenouilla à son chevet en fondant en larmes.

-Marie...

-Oh mon père ! Je suis désolée !

Il caressa ses cheveux.

-Non, c'est de ma faute, j'aurai dû mieux contrôler le cheval.

-Oh ! Mon père ! répéta-t-elle en larmes.

-Allons, arrête de pleurer et aide moi à remonter en selle. Tu conduiras le cheval jusqu'à chez nous.

Marie ne se fit pas prier. Surtout qu'elle savait ce bourg infesté par la peste. Elle aida l'abbé gémissant à remonter sur sa jument et prit la bride pour rentrer. Elle s'en voulait terriblement. Tout était de sa faute. Il avait au moins une jambe et une côte de cassées. Les graviers du sol avaient éraflé sa vieille figure amicale. Elle ne voulait plus le regarder dans les yeux. Elle voyait sur son visage l'énormité de sa faute. Juste avant leur arrivée, elle remarqua que l'homme d'église dodelinait sur le dos du cheval. Il avait perdu connaissance. Elle tenta de le réveiller, sans succès. Elle pressa le cheval, et à peine arrivée au presbytère allongea l'abbé au sol. Elle passa un torchon humide sur son front en lui donnant de petites claques sur les joues. Il suait à grosses gouttes, et gémissait dans son sommeil. Une idée la traversa. Et si elle devenait responsable de la mort du curé ?

Le masque de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant