Chapitre 30

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Eustache fut déposé devant un pavillon de chasse, aux abords de Versailles. Une jeune femme aux boucles châtaines vint l'accueillir. Cependant, dès qu'elle le vit, elle se figea et rougit.

-Mademoiselle de La Vallière ? demanda Eustache.

-Oui, c'est moi, répondit la belle femme, l'air un peu perdu.

-Tout va bien ? demanda-t-il.

-Oh, oui, oui... C'est juste que vous ressemblez beaucoup à quelqu'un...

Elle l'invita à entrer.

-M. Le Nôtre ne devrait pas tarder. Voulez-vous une tasse de chocolat chaud ?

Eustache la dévisagea, surpris à son tour.

-Pardon, du quoi ?

-Du chocolat chaud, le roi en est très friand.

-Je ne connais pas du tout.

-C'est une boisson qui nous vient du nouveau monde. Je suis sûre que vous aimerez, assura-t-elle en versant le liquide dans une tasse. Elle la tendit à Eustache.

Celui-ci huma d'abord le chocolat chaud, mais le parfum à la fois doux et amer finit de le convaincre. Il ne fut pas déçu. Il trouva la boisson excellente et en remercia son hôtesse.

-Et vous, quel rôle tenez-vous à Versailles ?

Louise de La Vallière sembla réfléchir un peu.

-Je suis une amie du roi, mais en ce moment, je vais un peu moins au château. Je préfère me reposer ici.

Eustache se fit la réflexion qu'elle était la plus belle femme qu'il ait jamais vu de sa vie. Elle dégageait quelque chose de très plaisant. Elle avait le teint frais, les joues rosées, de magnifiques cheveux, les plus beaux cheveux du monde. Cependant, il devina au ventre gonflé de cette dernière que son cœur était déjà pris.

-C'est pour bientôt ? demanda-t-il.

-Oui, octobre.

Il allait demander qui était l'heureux père, mais elle le coupa et lui proposa une autre tasse de chocolat. Il accepta volontiers.

On frappa à la porte. Louise ouvrit à un homme à la longue perruque argentée. Il avait le visage long et sévère.

-M. Le Nôtre, voici M. Eustache Dauger dont je vous ai parlé.

Les deux hommes se saluèrent.

-Ma parole, mais vous êtes le portrait craché du roi avec quelques années de moins ! s'exclama-t-il en l'observant avec attention.

Louise de La Vallière se pinça la lèvre.

-Oui, c'est drôle, hein ? rajouta-t-elle.

-Je ne savais pas, continua Jean, je ne l'ai jamais vu. Je lui ressemble vraiment beaucoup ?

-Assez oui. Mais, bon, ce n'est pas grave. Etes-vous prêt à travailler dur pour moi ?

-Je suis prêt à tout, Monsieur.

-Parfait. Venez avec moi. Je vais vous tester.

Eustache accepta. Il remercia la jeune femme de toute son aide et suivi le jardinier royal. Ils s'arrêtèrent sur un poste, surplombant les jardins, et Eustache fut ébloui. Le jardin s'étendait sur une immense surface de plusieurs centaines d'hectare. Un canal délimitait une partie droite et gauche. Les bosquets formaient des formes géométriques parfaitement symétriques.

-C'est le charme des jardins à la française, expliqua le jardinier devant l'air médusé du jeune homme.

Celui-ci hocha la tête. Il n'avait jamais rien vu d'aussi travaillé, précis, beau.

André Le Nôtre commença par lui détailler l'Orangerie. Située sous le parterre du midi, elle comprenait des centaines d'arbres, de citronniers, d'orangers, de grenadier... Eustache dût avouer qu'il ne connaissait pas ces plantes-là. Son employeur balaya sa remarque d'un geste de la main, il fallait être à Versailles pour connaître de telles raretés. Il lui parla du Grand Canal, des différentes fontaines, et de l'organisation générale du parc. Eustache était fasciné et buvait les paroles du jardinier royal.

-Vous sentez-vous capable de travailler pour moi jeune homme ?

Eustache sorti de sa rêverie.

-Bien sûr Monsieur ! Ce serait un honneur pour moi !

André Le Nôtre lui posa quelques questions techniques sur la taille des arbustes, et les réponses d'Eustache semblèrent lui convenir.

-Bien.

Il tendit sa main et Eustache la serra. L'accord était passé. Il allait pouvoir gagner de l'argent et sa famille allait être sauvée.

-Dites-moi jeune homme, comment connaissez-vous la demoiselle de La Vallière ?

-Nos mères étaient amies. Nous ne nous étions jamais vu avant aujourd'hui.

-Je vous conseille de rapidement trouver un autre logement si vous ne voulez pas attirer les foudres sur vous.

-Pourquoi ? s'étonna Eustache.

-Vous ne le savez donc pas ? C'est la maîtresse du roi ? Et il est très jaloux.

Ce fut un choc pour le jeune homme. Elle était donc un peu plus qu'une amie du roi... Mais elle lui avait paru si simple, si gentille, comment le roi s'était-il intéressé à elle ?

-Mais alors son enfant...

-C'est le bâtard du roi, son troisième.

Eustache avala difficilement sa salive. Il comprenait à présent pourquoi elle avait dévié la conversation avant qu'il ne pose de questions sur le père de l'enfant.

-Où sont les deux autres ?

-Charles et Philippes sont décédés l'année dernière.

-Oh désolé.

Ils marquèrent un temps d'arrêt, puis André le Nôtre reprit :

-Pour tout vous dire, ce n'est pas une méchante fille, elle ne recherche pas la reconnaissance ou les richesses. Tenez, quand le roi a officialisé leur relation à la mort de sa mère, elle en était affreusement gênée. Mais bon, elle est tout de même la maîtresse du roi et il est difficile de la respecter pour cela.

-Je vois.

-Enfin bref, tout cela pour vous prévenir qu'il ne vaut mieux pas rester trop longtemps.

-D'accord, merci.

Les deux hommes se saluèrent.

-Retrouvez moi ici à l'aube ! ajouta André Le Nôtre alors qu'Eustache s'éloignait déjà.

Le jeune homme lui fit signe de la main qu'il avait entendu. Il retourna chez la jeune Louise de La Vallière. Il toqua délicatement à la porte, et la jeune femme vînt lui ouvrir.

-Entrez, entrez, j'ai du monde au salon, venez que je vous les présente.

Eustache se laissa entraîner dans la pièce voisine où un couple prenait du chocolat chaud. La femme, blonde aux yeux bleus semblait surveiller son mari.

-Françoise Hélène, Charles Henri, je vous présente Eustache Dauger. Eustache, je vous présente monsieur et madame de Lisière.

Les intéressés se saluèrent. Puis Madame de Lisière prit la parole.

-Nous allons vous laisser ma chère amie, prenez bien soin de vous.

Les deux femmes s'embrassèrent, elles semblaient être de bonnes amies. Louise les raccompagna jusqu'à la porte. Monsieur de Lisière s'inclina et lui fit un baisemain.

-Souvenez-vous que vous aurez toujours des alliés à Versailles, quoi qu'il puisse vous arriver. Déclara-t-il. Sa femme acquiesça.

Elle les remercia du fond du cœur, et le couple s'en alla. 

Le masque de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant