Chapitre 32

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Eustache passa la journée à tailler des buissons pour qu'aucune feuille ne dépasse et que les motifs d'arbustes soient aussi parfaits que possible. André le Nôtre paru satisfait de lui.

-Vous travaillez bien et vous ne vous fatiguez pas, ça me plait, lui dit-il.

-Merci, c'est l'habitude de la campagne, répondit Eustache.

L'homme acquiesça.

-Sans doute... Autrement, je voulais vous demander si vous aviez réfléchi à un nouveau logement.

-Pas encore, mais mademoiselle de la Vallière me paraît être quelqu'un de très bien, je resterai peut-être chez elle.

M. Le Nôtre fit une grimace.

-Vous allez vous attirer des ennuis mon petit.

-Cela m'est égal ! déclara Eustache d'un ton assuré.

-Vous ne connaissez encore rien de Versailles, ne parlez pas trop vite. Et même si cela vous est égal, ça ne l'est pas pour moi. J'exige de mes employés une parfaite réputation. Si l'on me rapporte de mauvaises choses à votre sujet, je serai au regret de vous congédier.

Eustache baissa les épaules. Il ne pouvait pas prendre le risque de perdre cet emploi. Ses parents et l'enfant qui devait naître en avaient besoin. Il sentait que son patron n'était pas quelqu'un de mauvais mais il comprenait que pour ses affaires, il fallait mieux évier les commérages. Surtout dans un lieu comme Versailles où tout était basé sur l'apparence et la réputation.

-Je vais y réfléchir, alors... accepta-t-il en baissant la tête.

-Bien.

Eustache se demanda qui allait accepter de loger un jeune paysan comme lui. Il ne connaissait personne et Louise ne semblait pas vraiment être appréciée des courtisans. Une idée vint à son esprit.

-Connaissez-vous Monsieur et Madame de Lisière ? demanda Eustache à son employeur.

-Mmm oui, ils sont mariés depuis peu, mais je n'ai jamais eu l'occasion de leur parler.

-Ce sont des amis de mademoiselle de la Vallière, pensez-vous qu'ils accepteraient de me loger ?

André le Nôtre haussa les épaules.

-Je ne sais pas.

Puis il ajouta :

-Bon, je dois vous laisser. Essayez de faire vite.

Le jardinier royal réajusta sa perruque et disparu derrière un citronnier. Eustache ramassa sa binette en soupirant. Il fallait qu'il parle de tout cela à Louise. Lorsqu'il rentra, son hôtesse l'attendait avec un gâteau encore tout chaud dont le fumet se répandait dans tout le pavillon. Elle en coupa une part à Eustache et ils s'assirent tous les deux autour de la petite table.

-Il ne faut pas vous donner tout ce mal pour moi, vu votre état...

-Ne dîtes pas de sottises, vous êtes ma seule compagnie, et puis que voulez-vous que je fasse d'autre ici ?

-Vous ne recevez pas ? demanda Eustache en mordant dans sa part de gâteau.

-Pour exposer ce ventre immonde et gonflé à toute la cour ? Sûrement pas !

La bouchée de gâteau resta en travers de la gorge d'Eustache. Il n'avait jamais entendu une femme enceinte parler de la sorte. Il pensa à sa mère qui avait perdu tant d'enfants.

-Même Louis ne vient plus me voir, continua-t-elle, mes enfants vont être connus toute leur vie comme les bâtards du roi. Vous aimeriez, vous ?

Eustache dut admettre que non et une certaine colère contre le roi commença à gronder en lui. Il lui en voulait de faire souffrir Louise à ce point.

-Enfin, mes deux aînés n'ont même pas été reconnus... Elle s'empressa de mordre dans une part de gâteau et Eustache devina que c'était pour étouffer un sanglot.

Ils ne parlèrent plus, et restèrent un long moment à observer les détails de la vaisselle. Eustache ne savait comment aborder le sujet de son logement. Il avait peur qu'elle le prenne mal. Enfin, il tenta :

-Euh, mademoiselle ?

-Oui ?

-C'est assez délicat mais...

-N'ayez crainte, vous pouvez vous confier à moi.

-Monsieur Le Nôtre souhaiterai que j'habite ailleurs qu'ici...

Le pâle sourire de Louise s'affaissa.

-Il a peur des commérages, expliqua Eustache.

-Mais qui sait que vous êtes ici, à part lui, moi et vous ?

-Et le couple de Lisière, ajouta Eustache.

-Oui et eux, mais ils ne diront rien, j'ai confiance en eux. Hein ? Qui est au courant ?

-Personne...

-Oh, restez mon ami ! S'il-vous-plaît ! Je m'ennuie tellement ici !

Eustache sentait qu'il n'allait pas résister très longtemps à la jeune femme, surtout qu'une partie de lui insistait pour qu'il reste avec elle. Il essayait de refouler ses sentiments pour cette femme qui en aimait un autre, mais ce n'était pas aussi simple.

-Nous serons discrets, assura-t-elle, et puis vous n'aurez qu'à dire que vous habitez un pavillon à côté.

Eustache soupira et céda. Comment pouvait-il refuser de tenir compagnie à une femme si malheureuse, et qui de surcroît, lui avait offert une chance à Versailles. S'il était là, c'était grâce à elle. Satisfaite de sa victoire, Louise fit un grand sourire en joignant ses deux mains.

-Formidable, formidable ! s'écria-t-elle.

-Mais je vous en prie, il ne faut pas que cela se sache. Je ne peux pas me permettre de perdre ce travail.

Louise lui promit que pas une personne de plus ne serait au courant de son hébergement, et ils restèrent tous les deux. Tout se passa bien. Les jours se ressemblaient tous. Eustache partait travailler de bon matin et lorsqu'il rentrait, Louise l'attendait avec une gourmandise ou un chocolat chaud, ce qui devenait de plus en plus agréable au fur et à mesure que les jours refroidissaient. Deux ou trois fois, le roi rendit visite à Louise dans la journée. Eustache s'en apercevait immédiatement lorsqu'il rentrait car il trouvait Louise en sanglots au milieu du séjour. Une fois, alors qu'il l'avait accompagné dans ses appartements à Vincennes pour se promener, elle lui dit avoir l'impression que le roi venait la voir par convenance, en souvenirs des doux moments qu'ils avaient passés ensemble, mais pas par amour. Eustache essayait de la réconforter comme il pouvait.

-Allons, ne pleurez pas...

Louise reniflait mais ses larmes repartaient de plus belle.

-Je ne suis plus rien, j'ai abandonné ma fierté pour lui, j'ai quitté le droit chemin ! Je ne vaux pas mieux qu'une prostituée de la cour des miracles !

-Ne dites pas de sottises, voyons... Pourquoi ne pas arrêter de le voir, dans ce cas ?

Louise le regarda de ses grands yeux humides.

-Mon cher Eustache, savez-vous seulement ce qu'est l'amour ? 

Le masque de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant