Chapitre 37

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-Tu ne l'ouvres pas ? lui demanda sa mère.

En vérité, il en mourait d'envie, mais la peur de ce qu'il pourrait y trouver lui retournait l'estomac.

-Si, si...

Tremblant, il décacheta la lettre et quitta la pièce précipitamment.

« Mon très cher ami,

Je ne vous vois plus dans les jardins, et le patron de l'auberge où vous dormiez m'a dit que vous n'y étiez plus retourné depuis plusieurs jours. J'ai peur qu'il vous soit arrivé quelque chose ! Si le fait d'avoir révélé votre existence à la duchesse de Chevreuse vous avait apporté un quelconque ennui, je m'en voudrais éternellement !

Par pitié, répondez-moi dès que cette lettre vous parviendra ! Je suis morte d'inquiétude !

Je me rends compte que je vous appréciais plus que je ne voulais l'admettre. Votre compagnie me manque, et je dépéris chaque jour un peu plus de ne point vous voir !

Etre avec le roi me rappelle à chaque instant combien nos moments partagés me manquent. Je pense à vous sans arrêt. Mais vous n'êtes pas là.

J'ai appris que vous aviez quitté Versailles, et j'ignore où vous êtes. J'envoie cette lettre chez vos parents en espérant que vous y serez et que vous la lirez.

Revenez à Versailles, revenez à moi, je crains ne pas m'être avoué assez certaines évidences...

Louise, vôtre amie qui attend avec impatience un signe de votre part. »

Eustache s'assit, le souffle court. De quelles évidences parlait-elle ? Allait-elle encore le faire espérer ? De toute façon, il devait y retourner, mais était-il sage de ré-approcher la belle demoiselle de La Vallière ? De vivre cet amour ? Après tout, si elle l'aimait, peut-être allait-elle pouvoir aider directement ses parents... Il secoua la tête, il se faisait encore des idées, en aucun cas, elle ne pouvait l'aimer. Il devait mal interpréter ses mots.

Sa mère entra dans la pièce.

-Tout va bien Eustache ? demanda-t-elle en voyant son air défait.

Il hocha la tête en tentant de chasser ses mauvaises idées, sans pour autant réussir à tromper sa mère. Il ne voulait pas qu'elle vienne rajouter de la complexité à son histoire. Elle vint s'asseoir près de lui et le pressa contre elle.

-Que se passe-t-il mon petit ?

-Rien... Maman, lâche moi, tout va bien.

-Tu sais que si tu n'es pas heureux à Versailles, cela ne nous gêne pas que tu reviennes vivre avec nous.

-Tout se passe bien je te dis ! s'énerva-t-il. 

Il se leva et partit. Marie le regarda s'éloigner les yeux plein de larmes. Elle ne comprenait pas pourquoi son fils la repoussait de la sorte. Avait-il des problèmes ? Protégeait-il quelqu'un ? Qui était cette femme qui lui avait écrit ? Il lui avait semblé reconnaître l'écriture de Mademoiselle de la Vallière, la fille de son amie, mais n'en était pas sûre. C'est le cœur serré qu'elle retourna dans la pièce principale pour préparer le dîner. Elle savait qu'un simple problème pouvait prendre une ampleur considérable à Versailles et être très dangereux. Quand Jean revint, elle lui raconta le changement de comportement d'Eustache. Celui-ci fut surpris.

-Il est venu me voir, en milieu d'après-midi. Il n'a pas dit grand-chose. Il est juste resté à me regarder.

Il se regardèrent en haussant les épaules. Ils ignoraient d'où venait cette subite mélancolie. Ils attendirent qu'Eustache rentre. La nuit était tombée. Ils commencèrent à s'inquiéter. Marie berçait la petite Anne en regardant nerveusement par la fenêtre.

-Bon, je vais le chercher, déclara Jean.

-Je viens aussi !

-Non, pas dans ton état. Reste avec Anne.

Il attrapa un manteau et sortit. Le froid des nuits de février lui brûlait les joues. Eustache ne pouvait pas être très loin par ce temps. Il commença par se rendre chez sa mère, la vieille Anne. Il la trouva recroquevillée près du feu.

-Maman ! As-tu vu Eustache ?

-Je voulais le voir une dernière fois avant de mourir, fit la vieille édentée en souriant faiblement.

-Il est venu ?

-Oui, plusieurs fois...

-Mais, ce soir ? s'énerva Jean.

-Oh ? Je croyais qu'il était déjà parti.

-Où ça ?

-A Versailles.

-Non, il ne devait repartir que dans une semaine...

Une peur traversa Jean. Il n'était quand même pas reparti seul au milieu de la nuit glacée ! Il courut chez des voisins pour leur demander s'ils n'avaient pas aperçu Eustache. Personne ne l'avait vu, mis à part un vieil homme qui avait cru voir une silhouette quitter le village en début de soirée. Jean rentra chez lui en catastrophe. Il avait cherché par tout le village si quelqu'un avait un cheval, mais à cette heure, il ne trouva personne pour lui en prêter un.

-Il est parti ! déclara-t-il à sa femme.

Marie ouvrit de grands yeux effarés.

-Où est-il allé ?

-Sans doute à Ovrain. Ce n'est pas si loin que ça.

Ils se regardèrent dans les yeux. Ils espéraient tous les deux que leur fils avait trouvé de quoi s'abriter pour la nuit.

Le lendemain, à l'aurore, Jean se rendit à Ovrain. Il questionna tous les aubergistes. L'un d'eux lui répondit qu'en effet, il avait hébergé un jeune homme brun d'une vingtaine d'année.

-Où est-il ?

-Je ne sais pas, il est parti tôt ce matin. Je n'étais moi-même pas encore levé.

-Et avez-vous une idée d'où il pourrait se trouver ?

-Hier soir, il discutait avec un de ces charlatans qui vont de ville en ville. Il a dû partir avec lui ce matin.

-Mais où ?

-Oh vous savez, ces gens-là, on ne sait jamais où ils vont, quand ils arrivent, ni quand ils partent. Je serais vous, j'attendrai qu'il revienne par lui-même... Vous savez, les jeunes ça veut découvrir le monde mais quand leur bourse se vide, ils retournent vite chez eux.

Jean le remercia et sorti. Il continua à interroger les passants mais dû vite se rendre à l'évidence. Eustache était parti, et il n'avait aucun moyen de le rattraper. Il rentra penaud chez lui. Marie fondit en larmes lorsqu'elle le vit revenir seul. Sans en parler, ils s'étaient compris. Ils se prirent l'un dans les bras de l'autres et restèrent ainsi en pensant à leur fils.

-Prions pour qu'il ne lui arrive rien.

Le masque de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant