Chapitre 8

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Le père Renonceau poussa la porte de la chambre où reposait la dépouille mortuaire. Marie se leva et le salua poliment, essayant tant bien que mal de retenir ses larmes.

-Merci Mademoiselle, pouvez-vous m'indiquer ma chambre ?

-Il y a la chambre du père Bujol que vous pourrez prendre plus tard. Expliqua-t-elle entre deux hoquets. En attendant, vous pouvez dormir dans la chambre d'amis, en face de la mienne, je vais vous montrer.

-Vous dormez ici ? s'étonna-t-il.

-Oui mon père.

Il se signa et récita quelques mots en latin. Marie fronça les sourcils.

-Souhaitez-vous rentrer dans les ordres, au moins ?

-Je n'y ai pas encore réfléchi, mon père.

Elle précéda le nouvel arrivant pour lui montrer sa chambre. Or la porte de la sienne était légèrement entr'ouverte. Le père Renonceau y jeta un œil.

-Vous avez la plus grande chambre à ce que je vois.

-En effet...

-Mon prédécesseur ne vous enseignait donc pas la pauvreté ? Les invités devraient avoir la meilleure chambre.

Marie réfléchit quelques instants. Elle avait toujours été très gâtée par le père Bujol, mais le nouvel arrivant n'avait pas tort. Elle lui céda donc sa chambre, et lui offrit de refaire un lit pour lui. Il accepta. Refaire le lit permit à Marie de penser à autre chose que le décès du père Bujol pendant quelques instants. Elle prit ensuite l'initiative de préparer à manger pour le nouveau propriétaire des lieux. Lorsqu'il fut à table, elle le servit, s'assit pour lui tenir compagnie.

-Vous allez rester là à me regarder manger ? demanda-t-il en levant un sourcil.

-Je n'ai pas faim. Avoua-t-elle. Cette perte est insurmontable pour moi. Continua-t-elle en sentant les larmes monter. Il était comme mon père... et puis je me sens responsable de sa mort.

-Dans ce cas, il faut que Dieu vous pardonne. Et son pardon se mérite.

-Comment puis-je l'obtenir ?

-Vous avez tué un homme d'église, vous êtes donc damnée.

Les mots de ce dernier firent réagir Marie. Certes, elle se sentait coupable, mais les qualificatifs dont l'affublait le père Renonceau lui paraissaient un peu durs.

-Je ne l'ai pas vraiment tué... protesta-t-elle.

-C'est pourtant ce que l'on dit de vous, et ce que vous me disiez à l'instant.

Marie fondit en larmes. D'où tenait-il ces informations ? Les paroissiens la tenaient-ils pour responsable de la mort de leur curé ?

-Dieu vous puni. Vous devez expier vos pêchés.

Jamais l'abbé Bujol ne lui avait parlé de la sorte. Le Dieu bienveillant qu'elle avait cru connaître toute son enfance, à qui elle avait confié ses peurs et ses secrets devenait, dans la bouche du père Renonceau, un mauvais génie, prêt à tout pour se venger.

-Saint Augustin se flagellait avec des ronces tous les matins.

Marie ouvrit de grands yeux. Il ne voulait quand même pas qu'elle s'auto-flagelle ?!

-Le père Bujol m'a toujours appris que Dieu pardonnait aux pécheurs.

-Les pêcheurs oui, mais pas les pêcheuses. Les femmes ont été maudites par notre Seigneur depuis la faute originelle. Vous portez toutes le diable en vous.

Marie ne répondit rien. Elle commençait à se méfier du nouvel arrivant. Il n'avait pas du tout le même discours que l'abbé Bujol à propos de la religion. Elle se leva et sorti de la pièce. Elle retrouva Flocon dans la cour. Le petit chaton était devenu un beau chat, aux grands poils lisses. Marie le caressa, et le chat commença à ronronner.

-Nous ne sommes plus que tous les deux, maintenant mon Flocon. Lui glissa-t-elle à l'oreille. Je crois que l'on va devoir se serrer les coudes. Le père Renonceau ne m'a pas l'air aussi amical que l'abbé Bujol. Flocon miaula et frotta sa tête contre la jupe de la jeune fille.

L'abbé l'aperçu par la fenêtre. Il l'ouvrit et cria à Marie :

-Rentrez immédiatement !

Devant l'air effrayé de l'homme, Marie s'inquiéta de ce qui pouvait le mettre dans un état pareil et retourna à l'intérieur. A peine avait-elle franchit le seuil que le père Renonceau l'attrapa par l'oreille.

-Aïe !

-Sorcière ! Lui cria-t-il. Vous discutiez avec le diable !

-Ce n'est qu'un chat... gémit-elle.

-Vous lui parliez. Un simple chat ne pourrait pas vous comprendre !

Il la secoua par l'oreille.

-Que lui disiez-vous ?

-Rien !

Il la gifla. C'était la première fois que l'on portait la main sur elle. Sa joue la brulait. Elle éclata en sanglots. Que pouvait-elle répondre ? Dans tous les cas, il trouverait moyen de l'accabler de nouveaux maux.

Il la gifla à nouveau.

-Répond sorcière !

-Je ne suis pas une sorcière !

-Si ! Le père Bujol est mort de t'avoir hébergé !

Marie n'en croyait pas ses oreilles. Les paroles du père Renonceau étaient tellement absurdes !

-Vous mentez !

-Et tu oses critiquer un homme de Dieu !?

Il reprit l'oreille déjà rougie de la jeune fille et la conduisit jusqu'à sa chambre. Il l'y jeta et ferma la porte à double tour.

Marie se précipita sur la porte et tambourina.

- Laissez-moi sortir ! A l'aide !

-Tu dois passer trois jours sans manger pour te faire pardonner de tes paroles.

Marie s'effondra au pied de la porte. Non seulement elle perdait la personne avec qui elle avait passé la plus grande partie de son temps mais en plus elle se retrouvait avec le pire prêtre qu'elle eut pu imaginer. Une idée lui traversa l'esprit. Pourvu qu'il ne fasse rien à Flocon !Elle jeta un œil par la fenêtre. Le chat n'était plus dans la cour. Elle espérait qu'il soit parti gambader dans les champs. Elle massa son oreille endolorie, et alla s'asseoir à son écritoire. Elle allait passer trois jours dans cette pièce. La lecture et l'écriture allaient être ses seules distractions pendant ces trois longs jours. Si seulement l'abbé était toujours en vie, et si seulement François pouvait venir la sortir de ce pétrin. Mais était-il seulement encore vivant ? 

Le masque de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant