Chapitre 35

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Eustache releva la tête vers Louise. Comprenait-il mal ? Elle aussi les confondait-elle ? Son amour lui faisait-il déformer les dires de son hôte ? Lui donnait-il de faux espoirs ? Non, elle ne parlait pas d'elle.

Louise s'assit sur une chaise et il vint près d'elle après avoir ajouté une bûche dans la cheminée.

-Qui donc peut nous confondre ? voulu s'assurer Eustache. 

-Tout le monde.

Il soupira. Non, il ne prendrait pas la place du roi dans son cœur. Comme il restait silencieux, Louise prit la parole.

-Et cette jeune fille que vous aimiez, êtes-vous toujours en contact avec elle ?

-Oubliez cette fille.

-Mais pourquoi donc ?

-Je n'y pense plus, elle n'est pas pour moi.

Louise parut déçue, puis hocha la tête en prenant un air compréhensif.

-Vous êtes sage. Vous arrivez à oublier les personnes qui ne sont pas pour vous. Je suis incapable de me décrocher du roi.

Eustache la regarda, hésitant entre la colère, la pitié ou la tendresse. Selon lui, elle ne faisait aucun effort pour ne plus penser au roi alors qu'elle-même répétait à longueur de journée que leur relation s'étiolait. Il souffla.

-Vous devriez essayer de voir du monde, et pourquoi pas vous faire courtiser par d'autres gentilshommes, proposa-t-il.

-Aucun ne sera comme lui...

Eustache roula des yeux, prêt à lui faire une réflexion, mais on sonna à la porte. Il se leva d'un bond, on ne devait le voir chez Mademoiselle de la Vallière.

-Cachez-vous vite ! souffla son hôte, les traits subitement tirés.

Eustache couru vers la pièce qui lui servait de chambre et s'y enferma. Il regarda par la serrure ce qui se passait dans la pièce qu'il venait de quitter. Une vieille femme entra, toute voûtée et habillée de noir.

-Madame La duchesse ! Quelle surprise ! s'exclama Louise, se forçant à sourire.

-Bonjour mon enfant, répondit la vieille femme, je suis venue voir si votre troisième bâtard se portait bien.

Eustache manqua de s'étouffer. Quel personnage assez odieux pouvait dire une chose pareille ! Il aurait tant voulu être avec Louise pour lui témoigner son soutien.

-Ne me regarde pas comme si tu allais me sauter dessus, même notre cher Louis ne me fera rien si tu te plains de moi. Après tout, il n'a pas reconnu l'enfant, et je suis une vieille amie de sa défunte mère. Il ne me fera rien.

Eustache reconnu alors la duchesse de Chevreuse, l'une des pires intrigantes de Versailles quelques années auparavant. Il resserra les poings en fulminant.

-De toute façon, qu'il agisse ou pas, vous n'avez plus longtemps à vivre. Avec toutes vos casseroles, ce n'est pas le roi qu'il vous faut craindre, mais le ciel.

Eustache fut fier de la répartie de Louise. Il attendait impatiemment ce que la vieille mégère allait répliquer.

-Si vous aviez vécu à mon époque, vous n'auriez pas fait long feu non plus, je connaissais une très bonne empoisonneuse. Mais bon, cessons de nous quereller pour rien mon bijou.

En disant cela, la vielle duchesse avait attrapé un siège et s'y était assise.

-Il vous reste assurément un peu de chocolat pour une vieille femme comme moi.

Comme Louise hésitait à répondre, la duchesse de Chevreuse décida de la mettre en confiance.

-Allons, ne m'en voulez pas mon enfant, vous savez comme je peux être désagréable. Je ne nierai pas que je ne vous apprécie pas, mais je ne vous déteste pas. Alors faisons comme tout le monde ici et faisons semblant d'être très amies. Je viens vous raconter les derniers potins de la cour. Cela fait si longtemps que vous êtes éloignée de nous que la mode a déjà changé trois fois.

Louise sembla se détendre. Elle sourit.

-Le nœud que j'avais mis à la mode l'est-il toujours ?

-Plus vraiment, mais certaines femmes le portent toujours.

La jeune femme décida d'apporter du chocolat chaud pour son aînée. Elle débarrassa les tasses qu'elle avait utilisé avec Eustache et lui en apporta une propre. Elle servit la boisson, et la vieille femme s'empressa de la porter à ses lèvres.

-Vous aviez de la visite ? Je vous ai peut-être dérangé.

-Oh non, non, je suis seule !

-Dans ce cas, pourquoi aviez-vous deux tasses de sorties ? Votre bâtard n'est quand même pas déjà friand de chocolat ?

Les cœurs de Louise et d'Eustache marquèrent un arrêt. La duchesse de Chevreuse avait beau être vieille, elle avait encore toute sa tête.

-Oh euh, c'est une amie qui est passée dans l'après-midi.

-Allons mon agneau, fit la petite vieille, vous ne croyez quand même pas que je vais croire qu'il s'agit d'une amie alors que vous essayiez de me le cacher.

Elle prit la main de la jeune femme dans la sienne.

-Ma chère, je crois que vous avez plus de potins à me raconter que moi !

-Oh non, ce n'est pas du tout ce que vous pensez !

-Dois-je retourner tous vos appartements pour trouver cet amant qui succède au roi ?

Louise devint rouge pivoine.

-Non, non, c'est seulement un ami que j'héberge !

Eustache avala sa salive. La pire intrigante de Versailles allait bientôt connaitre sa cachette.

-Pourquoi donc le cacher ?

-Il craint pour sa réputation.

-Existe-t-il quelqu'un avec une réputation impeccable à Versailles ? répliqua la vieille en riant.

-Il n'est pas vraiment de Versailles, expliqua Louise. Mais sa mère connaissait la mienne, et c'est comme cela que nous nous sommes connus.

-Ah bon ? Qui était sa mère ?

-Madame Dauger. Mais je crois que quand elle est venue, et qu'elle a pu vous croiser, elle n'était pas mariée. C'était une certaine mademoiselle Favigny, son père était soldat.

Eustache qui écoutait derrière la porte, cru défaillir lorsqu'il entendit Louise décliner son identité et celle de sa mère. Il pensait pourtant s'être mis d'accord avec elle que sa présence devait rester secrète, et surtout pas dévoilée à une intrigante comme la duchesse de Chevreuse !

-Cela ne me dit rien, déclara la Duchesse.

Les deux femmes prirent leur chocolat en discutant hypocritement des derniers potins de la cour, puis la plus vieille prit congé en souhaitant une bonne nuit à Louise. 

Le masque de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant