Chapitre 9

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Lorsqu'enfin elle eut le droit de sortir, la première chose qu'elle fit, fut de se précipiter vers la chambre de l'abbé Bujol. Le corps n'y était plus. Une idée terrible lui traversa l'esprit. Et si l'enterrement avait eu lieu pendant son enfermement ? Elle aurait pu se remettre à pleurer s'il lui était resté quelques larmes. Elle voulut aller vérifier au cimetière, mais son ventre lui rappela par un grognement qu'elle n'avait rien avalé depuis trois jours. Elle décida de faire un détour par la cuisine. Elle trouva une miche de pain et se servit. C'est alors qu'elle sentit une présence dans son dos.

-Que fais-tu ?

Elle se retourna. Il s'agissait bien du père Renonceau.

-Je mange.

-M'as-tu demandé l'autorisation ? As-tu remercié Dieu pour la nourriture ? Non car tu es une créature ingrate. Tu te comportes comme une voleuse. Tu mériterais de te faire enfermer à nouveau.

-Non !

Prise d'un subit élan de survie, Marie s'empara du reste de la miche de pain, et couru vers la porte. Le père Renonceau resta immobile, sans prendre la peine de la poursuivre. Marie descendit l'allée du village et se rendit au cimetière. Elle trouva sans peine la tombe de son bienfaiteur.

-Oh mon père ! Si vous saviez comme je suis désolée ! Mais il m'a enfermé ! Je ne comprends pas, vous ne pouvez pas avoir la même religion, vous n'avez pas le même dieu, ce n'est pas possible ! Avec vous je l'aimais, avec lui je le déteste !

Elle parlait face à la tombe, grignotant sa miche de pain, et grelottant un peu.

-Voyez ce que je vous disais ! s'exclama une voix derrière elle. Cette voix elle ne la connaissait que trop bien à présent, elle aurait tant aimé ne pas la connaitre.

-Elle s'est effrayée à la vue d'un homme de Dieu, et a rejoint celui qui a été son maître, qui l'a initié au pouvoir de Satan !

Marie ne pouvait pas comprendre d'où il tenait autant de mensonges. De nombreux villageois entouraient le prêtre. Il s'avança vers elle, jusqu'à ce que sa sombre soutane ne soit plus qu'à quelques centimètres de son visage.

-C'est faux ! Cria-t-elle. Vous ne pouvez pas le croire, je suis quelqu'un de bien !

-Tu es la fille du Diable !

-Non, mon père est soldat au service du Roi ! Je vous défends de l'insulter !

-Et ta mère ? Sans doute une créature abandonnée de Dieu que ton père a eu honte de présenter. Il a voulu te sauver, mais les tares se transmettent chez les femmes.

-Je n'ai rien fait de mal ! Hurla-t-elle.

Le père Renonceau l'attrapa par le bras. Marie se débattit farouchement et recula.

-Voyez tous ! Elle ne supporte pas mon contact ! C'est un signe du malin.

Voyant qu'elle n'avait aucun moyen de gagner ce combat, Marie chercha une échappatoire. Elle sentait que si elle tentait la moindre choses, les villageois aideraient le prêtre.

-Veux-tu revenir dans le droit chemin et redevenir une enfant de Dieu?

Marie y voyant la fin de ces humiliations accepta.

Le père fit signe à un villageois derrière lui, qui lui tendit un seau d'eau bénite. Avant qu'elle ait le temps de réagir, le prêtre lui avait renversé le contenu du seau sur la tête.

Elle poussa un cri d'étonnement.

-Tu peux aller te sécher.

Marie hocha la tête et courut au presbytère.

Elle s'était changée quand le père Renonceau rentra.

-Marie... L'appela-t-il. Elle passa la tête par la porte. Il lui fit signe de venir dans la cuisine avec lui, puis de s'asseoir en face de lui.

-Je veux que vous compreniez... Commença-t-il. Je fais cela pour le salut de votre âme. Je veux chasser le démon qui est en vous. Le comprenez-vous ?

Depuis le temps qu'il disait cela, oui, elle avait retenu l'idée.

Elle hocha la tête.

-Peu importe que vous m'aimiez, je fais cela pour vous, même si vous n'en comprenez pas les conséquences.

Il marqua un temps d'arrêt.

-Vous préparerez le souper. En attendant, je vous laisse.

Il se leva et quitta la pièce. Marie soupira. Cela devait être la première fois qu'il lui parlait sans la traiter de sorcière. Pour profiter de son temps libre, Marie décida de monter pour finir de lire un livre que le père Bujol lui avait conseillé plusieurs mois auparavant. Il s'agissait de Gargantua. L'histoire était assez plaisante.

Le père Renonceau frappa à sa porte.

-Il serait temps que vous commenciez à cuisiner.

-Je viens !

Elle passa le pas de sa porte, et regarda le père Renonceau dans les yeux. Elle n'avait jamais vu quelqu'un d'aussi froid.

-Que faisiez-vous ?

-Je lisais.

-Comment ?! Vous savez lire ! Dans quel grimoire étiez-vous plongée ? Vous cherchez à m'empoisonner ?!

-Ce n'est pas un grimoire, c'est Gargantua.

Le père Renonceau entra comme une tornade dans la chambre de Marie, et s'empara de l'ouvrage.

-Ce n'est pas une lecture pour toi ! Il n'y a que les sorcières qui savent lire ! C'est le diable qui t'a inspiré.

-Mais vous aussi vous savez lire !

-Je suis un homme d'église, moi ! Et je ne lis que la Bible !

-Je l'ai lu aussi !

-Menteuse !

Il lui asséna une gifle, et l'attrapa par l'oreille. Il la descendit jusque dans la cave, où il attrapa un fouet.

-Voilà ta punition ! Sorcière ! Je ferai brûler tous tes grimoires!

Marie se remit à pleurer. Elle avait déjà entendu parler des enfants désobéissants qui recevaient le fouet, mais elle n'avait rien fait. Elle détestait cet homme plus que tout au monde. 

Révoltée, elle prononça alors la phrase de trop :

-Je n'ai pas besoin de grimoire pour vous empoisonner!

Cette phrase décupla la fureur de son bourreau qui lui asséna de grands coups de fouets. Elle hurla à s'en couper la respiration. La torture semblait interminable. Elle se sentait impuissante. Ce fut seulement lorsqu'elle gisait sans forces, au bord de l'inconscience que l'homme arrêta et partit, le plus simplement au monde. Seulement, avant de refermer la porte il lui souffla :

-J'espère que vous aurez retenu la leçon. Je fais ça pour vous. 

Le masque de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant