-Seriez-vous en danger ? demanda Eustache alors que son hôtesse ramassait les dernières tasses.
Elle le regarda, l'air gêné.
-Non, non, tout va bien.
-Je sais qui vous êtes, enfin je veux dire, par rapport au roi.
Louise ouvrit de grands yeux horrifiés.
-Qui vous l'a dit ?
-Monsieur Le Nôtre.
Elle s'écroula en larme sur le fauteuil le plus proche.
-Mademoiselle, ne pleurez pas...
-J'avais enfin l'occasion de paraître respectable aux yeux de quelqu'un ! gémit-elle.
-Vous êtes toujours respectable à mes yeux, lui assura le garçon.
Lentement, elle essuya ses yeux.
-Vous êtes bien aimable, lui dit-elle enfin.
Ne sachant qu'ajouter de plus, Eustache s'empara des tasses et les déposa sur la desserte.
-Je me suis faite beaucoup d'ennemis à Versailles, en tant que... enfin, vu ma position. On raconte un tas de choses sur moi, poursuivit-elle.
-Je saurais me faire mon propre avis, ne vous inquiétez pas. Et puis vous semblez aussi avoir des amis.
-Oui, monsieur et madame de Lisière sont très gentils avec moi. J'espère qu'ils le resteront... ajouta-t-elle à mi-voix.
-Pourquoi cela devrait-il changer ?
Louise détourna les yeux et se leva.
-Je ne sais pas si je peux vous en parler, pas encore.
La curiosité d'Eustache fut piquée par cette dernière phrase. Il fut tenté d'insister, mais se retint par politesse.
Louise fit un tour de la pièce, claudiquant, en cherchant quelque chose à faire, mais elle sentait le regard intrigué Eustache la suivre. Alors elle s'immobilisa en soupirant et fit face au jeune homme.
-Après tout, je crois que cela me ferait du bien d'en parler...
-Oh, oui, assurément ! insista Eustache, curieux.
-Voilà, dit-elle en se rasseyant, je crois que le roi me délaisse...
-Oh ! lâcha Eustache surpris et navré pour la jeune femme. Comment pouvait-on laisser partir une si belle femme ?
-Il a changé ces derniers temps.
-Ah ? Eustache sentant que Louise allait vider son sac tira une chaise et s'assis à côté d'elle.
-Depuis quelques temps, je sens que le roi n'est plus autant amoureux de moi qu'avant. J'ai peur qu'il ne trouve à Madame de Montespan plus de qualités qu'à moi. Bon, bien sûr, je suis mal placée pour me plaindre, mais cela me fait du mal.
-C'est humain, tout le monde aurait réagi comme vous.
-Je suis plutôt du genre discret, et croyez-moi, ce n'est pas le rang de Louis qui m'attirait. J'aurai mille fois préféré que ce soit un petit seigneur, ou même un simple baron.
-Un simple baron, hum... répéta Eustache à moitié amusé.
-Oui enfin, vous comprenez. J'avais déjà assez honte comme ça de faire cocue Marie-Thérèse d'Autriche. Je me faisais la plus discrète possible. Mais à la mort de sa mère, en 1666 Louis a rendu notre union publique.
-Je vois, ça vous a dû vous gêner.
-Vous n'imaginez même pas. J'en suis malade. A chaque fois qu'il me met enceinte, je viens me réfugier. Je n'oserai jamais croiser la reine dans mon état.
-Je vous comprends. Mais aussi j'aurais...
-Honte ?
Eustache rougit de sa maladresse. Il ne voulait pas la blesser.
-Je suis désolé.
-Ne vous en faites pas. C'est normal. Toute bonne personne aurait honte. Mais les bonnes personnes n'auraient pas succombé à cet amour interdit.
La future mère se remit à sangloter.
-Je suis si faible !
-Mais non...
Eustache voulait à tout prix la réconforter. Il prit la main de la jeune femme dans sa main et la caressa doucement. Elle avait une peau lisse comme il n'en avait jamais senti.
-Je vous admire beaucoup, moi. Vous avez su résister à tous les médisants de la cour, vous êtes forte. Croyez-moi. Vivre dans la richesse et le luxe ne vous a pas perverti. Vous êtes restée droite, fidèle à vous-même, à vos principes.
-Si vous le dites, renifla-t-elle.
-Et ce n'est pas n'importe quelle femme de votre rang qui aurait accepté de venir en aide à un pauvre paysan comme moi.
-Vous n'êtes pas n'importe quel pauvre garçon, votre mère et la mienne étaient amies.
-Vous voulez dire que sans cela vous m'auriez rejeté comme un malpropre ? demanda Eustache en prenant un air faussement offensé.
Sa mimique amusa beaucoup Louise.
-Allons, ne faites pas cette tête, rit-elle, vous me faites penser à Louis.
-Oh, je suis désolé.
-Non, non, je voulais dire à Louis il y a quelques années, quand...
Elle ne termina pas sa phrase, perdue dans ses pensées. Eustache devinait qu'elle allait dire « quand il m'aimait ».
-En tout cas, sachez que comme monsieur et madame de Lisière, je saurais toujours à vos côtés.
-Vous êtes bien aimable.
Eustache se leva et se pencha pour lui faire un baisemain.
-Aimable et surtout sincère, précisa-t-il avant de s'éloigner pour se rendre dans la chambre.
Il se coucha en gardant en tête le visage de la belle Mademoiselle de La Vallière. Elle avait beau être la maîtresse du roi, elle était l'une des plus belles femmes qu'il n'ait jamais vues. Il devait s'avouer qu'il n'était pas insensible à son charme. Seulement, il ne fallait pas qu'il entretienne ce sentiment. Elle était amoureuse du roi, et même s'il la délaissait, elle ne s'intéresserait jamais à un pauvre paysan comme lui. Il était déjà assez surprenant qu'elle fasse de lui son confident. Et puis dans tous les cas, quel avenir aurait cet amour ? Qu'avait-il à lui offrir, à part la misère de la campagne ?
Il se réveilla avec les mêmes pensées qu'il avait laissées en s'endormant. Il se leva doucement pour ne pas réveiller son hôte, mais Louise était déjà levée.
-Je vous ai préparé un petit déjeuné.
-Oh merci, il ne fallait pas ! s'exclama Eustache.
Elle insista pour qu'il s'assit et prennent de la brioche et du chocolat.
-Vous travaillerez mieux avec ça dans le ventre. Ils restèrent un moment silencieux. Elle l'observait manger. Sa ressemblance avec le roi ne pouvait être due au hasard.
-Auriez-vous des ancêtres dans la famille royale ?
Eustache failli s'étouffer. Ses parents avaient insisté pour qu'il garde secret sa véritable ascendance.
-Non, nous sommes paysans depuis des générations.
-Vous ressemblez tellement au roi, pourtant.
Gêné, Eustache se dépêcha de finir sa tasse, attrapa ses affaires, et lui souhaitant une bonne journée, sortit rejoindre son nouveau patron.
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Le masque de fer
Ficción históricaSous Louis XIII. Une toute petite enfant se voit confiée au premier venu, un certain soldat du roi nommé François. Il décide de l'appeler Marie et de la chérir comme si elle était sa propre fille, se résolvant à garder secret l'identité de sa mère...