Marie manqua une respiration. Le choc avait été d'une brutalité extrême. Tous regardaient François, les yeux ébahis. Le temps des explications était enfin arrivé. François pris une longue inspiration et commença.
-Tu n'es pas ma fille, tu m'as été confiée à ta naissance par ta mère.
Marie s'effondra en larmes, la tête dans les bras. Elle qui pensait être orpheline avait tenu toutes ses années en se disant que le ciel avait bien voulu lui laisser son père. En moins de deux minutes, elle se sentit sombrer. Elle avait l'impression d'être en chute libre dans le gouffre de l'abandon. Elle n'avait plus aucune famille de sang à qui se raccrocher.
-Tu... Tu m'as menti ! Cria Marie hors d'elle.
-Marie, ma chérie...
-Tais-toi ! Tu n'es pas mon père ! Tu n'es qu'un imposteur !
En une fraction de seconde la main de François lui décocha une gifle.
-Vas-y reproche-moi de t'avoir sauvée d'une mort certaine !
Anne fit le tour de la table pour venir caresser les longs cheveux de Marie, et l'apaiser.
-Chut, chut, ma puce...
Le regard rougit par les larmes de la jeune fille semblait accuser François des pires maux. Celui-ci se mordit la lèvre.
-Pou... Pourquoi m'avoir ga... gardée ? Parvint-elle à articuler entre deux sanglots. Il...il y a tant d'enfants qui meurent dans la rue.
-Tu es la fille de la reine.
Ses paroles furent suivit d'un long silence. Tous eurent besoin de s'asseoir.
Jean fixait tour à tour Marie et François comme s'ils venaient de se métamorphoser.
-De la reine ? Répéta Marie, en essayant de calmer ses sanglots.
-Anne d'Autriche. Confirma François.
Marie resta muette quelques instants, essayant de ranger toutes ses informations dans son esprit.
-Et j'imagine que mon père n'était pas le roi...
-Ça m'étonnerait, en effet.
-Vois le côté positif, intervint Jean, au moins tu as une mère en vie, et ce n'est pas n'importe qui.
-Elle ne me connais pas, et personne ne me croirait.
Jean eut un léger rictus d'approbation.
Marie se tourna vers François :
-Et je pense qu'il vaut mieux que je garde ça pour moi si je veux éviter les ennuis...
-C'est ce que je m'étais dit en effet. Concéda François. J'ai préféré garder le secret.
-C'est une sage décision. Confirma René en se levant. Il s'étira, avant de reprendre :
-Si on en revenait à la discussion initiale, vous pensez partir quand ?
-Je sais où habite l'un de mes frères d'arme, et je voulais présenter Marie à son fils. Le plus tôt sera le mieux. Nous pourrions partir la semaine prochaine.
Marie hocha la tête, et Anne resta muette. Chacun se leva, se déshabilla et entra dans le lit sans dire un mot. Les aveux de la soirée suffisaient.
Marie passa la nuit à se retourner dans son lit. Elle avait déjà imaginé de multiples identités pour sa mère. Jamais elle ne se serait attendue à être une fille cachée de la reine. Devait-elle s'en réjouir ? Elle ne pouvait rien faire de cette information. Elle savait simplement que du sang royal coulait dans ses veines, et au fond d'elle, elle ne pouvait s'empêcher de ressentir un certain orgueil.
Elle profita de la dernière semaine avec sa famille. Jean se montra des plus attentionné à son égard. Arriva finalement le moment tant redouté de la séparation. Jean serra Marie dans ses bras.
-Pourquoi tu ne te comportais pas comme ça avant ?
-Parce que tu serais resté ici, avec nous.
-Et ?
-Je veux mieux pour toi. Dit-il en l'embrassant sur la joue. Trouve un bon mari, et revient nous voir ensuite.
-Tu vas me manquer...
-Toi aussi.
-Pour de vrai ? demanda Marie, se souvenant de l'accueil de Jean.
-Tu es la fille la plus merveilleuse que je connaisse.
Ils se fixèrent, les yeux dans les yeux. Marie inspira. Elle voulait se souvenir de ce moment pendant toute son absence.
Elle embrassa ensuite son oncle et sa tante.
-Je suis prête, Papa.
Elle avait décidé de continuer à appeler François de la sorte. Après tout, elle le considérait comme tel, et elle n'avait personne d'autre à appeler Papa. François sourit, prit sa fille par les épaules et la fit monter sur son cheval. Il monta ensuite derrière elle et ordonna à leur monture de démarrer. Marie fit un signe de la main à sa famille qu'elle quittait pour la deuxième fois. La scène lui rappelait étrangement quelque chose. Elle versa une larme.
-Tout va bien ? lui demanda François.
-Oui, oui. Je suis décidée.
Ils arrivèrent le surlendemain dans un petit bourg au nord d'Orléans. François ne connaissant pas parfaitement l'adresse de son compagnon d'arme, il demanda à un passant où habitait M. Minot. L'homme lui indiqua une ruelle proche. Marie et son père descendirent de cheval et allèrent toquer à l'endroit indiqué. Un homme d'une cinquantaine d'année vînt leur ouvrir.
-François ! s'exclama-t-il avec un accent du sud en reconnaissant son interlocuteur.
-Olivier !
Les deux hommes partagèrent une étreinte avant de se tourner vers Marie.
-C'est ta fille je suppose.
François acquiesça.
-Marie. Précisa-t-il.
L'intéressée salua poliment Olivier Minot.
Il les invita à entrer et les fit asseoir à sa table.
-Mon fils n'est pas encore là. Il rentrera ce soir.
Il leur expliqua que son fils, Charles, était mousquetaire au service de sa majesté. Il avait tiré parti de ses origines gasconnes pour obtenir le poste.
-De combien cette jeune fille est dotée ?
-Justement, grimaça François, je n'ai pas énormément d'argent...
Marie se senti alors observée par cet homme. Il la jugeait de haut en bas. Elle se souvint d'un jour, quand le père Bujol avait vendu une de ses vaches, l'acheteur l'avait examiné de la même façon. Ce regard la gênait, mais elle le savait, c'était ainsi.
-Je vais laisser mon fils en décider. Répondit finalement M. Minot.
Marie se tourna vers François et trouva le regard de réconfort dont elle avait besoin.
-Charles sait beaucoup mieux que moi apprécier les belles choses. Il est très physionomiste, et sait où placer les yeux. Continua l'ancien soldat.
Marie espéra alors que le fils sache surtout mieux tenir sa langue que le père.
VOUS LISEZ
Le masque de fer
Historical FictionSous Louis XIII. Une toute petite enfant se voit confiée au premier venu, un certain soldat du roi nommé François. Il décide de l'appeler Marie et de la chérir comme si elle était sa propre fille, se résolvant à garder secret l'identité de sa mère...