Chapitre 5

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Le temps passait vite auprès de l'abbé Bujol. François revenait voir Marie environ une fois par an et l'emmenait visiter la capitale. Marie voyait donc les monuments dont l'abbé lui parlait dans ses leçons. Il lui avait donné l'éducation la plus complète possible. La seule chose qui manquait à Marie était la famille avec qui elle avait passé les premières années de sa vie. Surtout son cousin Jean. Elle aimait imaginer à quoi il ressemblait à présent. Pensait-il toujours à elle ? Elle revoyait ses yeux verts qui lui disaient : « je te reverrai quand tu seras Maman ». Après tout, ce serait peut-être le cas. Une larme coula le long de sa joue. Elle ne pouvait attendre autant de temps sans avoir de ses nouvelles. Une idée traversa son esprit. Elle dévala les escaliers quatre à quatre et courut voir l'abbé.

-Maître ! Est-ce que je peux envoyer une lettre ?

-Oulà ! Calme-toi ! répondit le vieil homme qui lisait. Il regarda Marie dans les yeux.

-A qui veux-tu envoyer une lettre ?

-A ma tante, mon oncle, et mon cousin !

Thomas Bujol se mordit la lèvre.

-Es-tu sûre qu'ils sachent lire ?

Marie fut surprise par cette question. Maintenant qu'elle savait lire, elle avait tendance à oublier que ce n'était pas le cas de tout le monde. Cela remettait toute son idée en question.

-Je... Je ne sais pas... Vous ne pensez pas ?

-Il y a des chances que non.

Marie perdit son sourire, mais celui-ci revint quelques secondes plus tard.

-Je peux toujours essayer ?

-Oui si tu veux. Répondit son maître en haussant les épaules.

Marie ne se le fit pas dire deux fois. Elle courut chercher du papier, une plume et de l'encre dans le secrétaire et se mit immédiatement au travail. Elle passa le reste de l'après-midi à rédiger sa missive. Elle avait tant de choses à dire ! Cinq ans s'étaient écoulés depuis leur séparation. Flocon vint sur ses genoux tandis qu'elle écrivait frénétiquement. Elle implora son maître pour poster la lettre l'après-midi même.

-Un peu de patience mon enfant, après le déjeuner je dois visiter des malades.

Marie savait que l'abbé ne pouvait pas se permettre d'abandonner ceux qui avaient besoin de lui.

-Alors puis-je déposer moi-même cette lettre en ville ?

L'abbé fronça les sourcils.

-Non, à ton âge, une jeune fille bien élevée ne sort pas seule.

-Mais pourquoi !? Je ne risque rien !

-Baissez d'un ton jeune fille. Et si, vous risquez que l'on vous prenne pour une misérable fille des rues à courir toute seule.

-Toutes les créatures, aussi misérables qu'elles soient ne sont-elles pas création de Dieu ? répondit-elle astucieusement.

-J'ai dit non, alors c'est non. Sois-tu viens avec moi sois tu restes dans ta chambre. Fit sèchement l'homme d'église.

Il lui arrivait rarement de se montrer aussi sec, alors Marie n'insista pas.

-Je vais rester ici... bougonna-t-elle.

-D'accord, mais arrête de faire cette tête et sourit. Ce n'est pas pour te punir que je fais ça, c'est pour ton bien.

-Mais ce n'est pas juste.

-La justice n'existe pas en ce bas monde ma petite, souviens en toi.

Elle hocha la tête et monta dans sa chambre.

La lettre ne fut pas postée le lendemain mais le surlendemain. Marie était à bout de patience. Elle le fut d'autant plus lorsqu'il fallut attendre une réponse. Un mois passa, puis un autre, et un suivant. Aucune lettre n'arrivait. Marie décida d'en envoyer une seconde, au cas où la première ne serait pas arrivée. Elle envoya trois lettres à plusieurs mois d'intervalles avant que l'abbé Bujol ne lui fasse comprendre qu'il était inutile d'écrire. François passa les voir quelques temps plus tard et confirma les dires de l'abbé. Sa sœur ne savait pas lire, et lui non plus.

-Tu ne sais pas lire Papa ?

François haussa les épaules.

-A quoi cela me servirai ?

-A lire, à m'écrire, à écrire à ma tante...

-Je n'ai pas le temps, et puis comme je bouge beaucoup, les lettres ne me trouveraient pas. Et écrire à ma sœur est inutile puisqu'elle ne pourrait pas les lire.

Marie comprit qu'il avait raison. Elle soupira. Si seulement tout le monde apprenait à lire, tout serait plus simple.

En ce printemps 1633, François l'emmena se promener dans les jardins de Paris, et la présenta à sa garnison. Il était fier de montrer sa fille, plus éduquée que la plupart des soldats réunis.

-Où veux-tu que nous allions la prochaine fois Marie ?

-Chez ma tante et mon oncle !

-C'est trop loin ma petite. Ils te manquent tant que ça ?

Marie fit oui de la tête et François soupira.

-Nous y retournerons plus tard.

-Quand Papa ? Quand ?

-Quand tu seras plus grande. Il attira Marie contre lui et lui embrassa le front.

Il pensa à lui avouer la vérité sur ses origines, peut-être lui manqueraient-ils moins ? Non, même si ce n'était qu'une famille adoptive, c'était la seule famille qu'elle avait, avec l'abbé Bujol. Il lui dirait tout quand elle sera plus grande. Elle lui semblait si jeune encore ! Heureusement il la savait en sécurité avec l'abbé. Il lui avait donné la meilleure éducation dont il ait pu rêver pour elle, et un caractère des plus doux.

Après ce court voyage à Paris, Marie revint chez l'abbé Bujol. En le voyant, elle courut l'embrasser, ce qui rassura François. Même si la famille de sa sœur manquait à la petite, elle menait une vie heureuse avec le vieil homme, sans doute plus heureuse qu'à la campagne. Lui aussi s'inquiétait pour sa famille, même s'il n'en avait rien dit à Marie, car la peste faisait rage à plusieurs endroits de France, et les épidémies se succédaient. Lui-même craignait pour sa santé lorsqu'il partait en expédition, car les conditions d'hygiène sur les champs de bataille ou dans la garnison étaient mauvaises. Plusieurs de ses camarades perdaient la vie chaque année à cause de cette maladie.

Le masque de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant