Chapitre 41

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Le cœur d'Eustache s'arrêta. Son souffle se coupa et les larmes jaillirent de ses yeux. Il s'était brûlé les ailes, il allait en payer le prix fort. Son père lui avait pourtant conseiller de rester chez eux. Il pensa à tout ce qu'il aurait pu vivre, toutes les années qui l'auraient attendues s'il n'était pas venu à Versailles.

La jeune femme se jeta aux genoux du roi.

-Non ! Je vous en prie ! Non, sire ! hurla-t-elle, désespérée.

-Je ne vous veux rien ! renchérit Eustache.

Il voulut continuer à parler, mais les deux soldats qui le tenaient par les cheveux lui tirèrent la tête vers l'arrière.

-Il sera mis à mort comme tous les traitres.

-Ce n'est pas un traitre ! pleura Louise.

-Si, il veut prendre ma place ! Regardez, il a presque mon visage ! Il a conquis mon amante, à quand mon trône ?

-Louis, vous délirez ! Il ne veut rien de cela !

-Si ! Et je le tiens de source sûre ! Il m'aurait remplacé et personne n'aurait vu la différence ! Tranchez-lui la tête ! Je ne veux plus entendre parler de lui ! J'ai bien fait de me déplacer en personne pour cette affaire.

L'un des soldats avait dégainé son épée et s'apprêtait à assener le coup fatal.

-Si vous le tuez, je me tuerai également ! menaça Louise.

Le roi la regarda en haussant un sourcil.

-Oserez-vous seulement ?

Louise sentit que le roi n'aurait de pitié pour personne d'autre que pour lui.

-Oui, car si vous lui coupez la tête, c'est la vôtre que je verrais rouler sur le sol... vous vous ressemblez tellement, murmura-t-elle.

Le roi marqua un temps d'arrêt. Il observa Eustache et les deux amoureux retinrent leur souffle. Le soldat qui se tenait derrière eux baissa lentement son arme.

-C'est vrai, maintenant que vous le dites... mettez lui un masque avant de l'exécuter.

-Mais il ne vous veut aucun mal, il voulait justement s'éloigner d'ici car n'aime pas ce milieu ! Je vous en prie ! Ne le tuez pas ! Il vous ressemble tellement ! Si vous le connaissiez, vous l'adoreriez !

Une illumination survint alors dans l'esprit d'Eustache.

-Et vous me devez une faveur. Ma mère a aidé la monarchie autrefois !

Le roi fronça les sourcils.

-Comment osez-vous ! Comment osez-vous m'adresser la parole ! Vous n'êtes rien !

-Je suis votre neveu, Monsieur... Et ma mère a aidé à arrêter les coupables de la conspiration de Cinq-Mars en 1642 !

-Vous mentez, je n'ai jamais entendu parler de votre mère ! Vous insultez toute la royauté !

-C'est bien la duchesse de Chevreuse qui m'a dénoncé ?

Le roi ne répondit pas et se contenta de le fixer avec dédains. Il était mal à l'aise de se retrouver face à un sosie pratiquement parfait de sa personne.

-La duchesse de Chevreuse a participé à cette conspiration contre votre père. C'est elle qui devrait être à ma place en ce moment. Monsieur, si comme on le dit, votre justice est divine, vous devriez me remercier.

Le roi resta silencieux comme si dans sa fureur il tentait de rassembler le maximum d'éléments.

-Vous n'allez pas faire exécuter quelqu'un de votre sang ! renchérit la jeune femme.

-Faites taire cet insolent et qu'on l'enferme loin !

-Où cela, loin ?

-Avec Fouquet ! A Pignerol ! Je ne veux plus en entendre parler !

Les soldats le trainaient vers l'extérieur quand le roi les arrêta :

-Attendez ! Mettez-lui un masque ! Je ne veux pas que quelqu'un fasse le rapprochement avec moi.

Il fit ensuite signe de la main d'emmener Eustache. Celui-ci eut juste le temps de dire un dernier « je t'aime » à la jeune femme avant d'être sorti de force. Louise voulu lui courir après, mais le roi la retint par le bras.

-Arrêtez. Soyez reconnaissante que je ne vous en tienne pas rigueur. Oubliez-le.

-Non je ne peux pas ! s'effondra-t-elle en sanglot.

Elle voulut se raccrocher au roi, mais celui-ci se défit de son emprise et quitta la pièce, le pas furieux.

Louise s'écroula sur le sol et pleura plusieurs jours. Elle pensa à sa vie. Elle n'avait été que la maîtresse du roi et elle avait mené Eustache à sa perte. Rien de ce qui s'était passé dans sa vie ne la rendait heureuse. Elle se sentit honteuse et sale. Le mois suivant, elle perdit le bébé qu'elle attendait d'Eustache.

Celui-ci fut envoyé à Pignerol sous bonne garde. Toute libération était inenvisageable.

Louise se démena corps et âme et obtint finalement du roi que ses conditions de détention restent agréables, même si celui-ci ne voulut pas qu'on retire le masque d'Eustache. Louise ne pouvait plus rester à la cour. Chaque jour qu'elle passait près du roi lui rappelait Eustache qu'elle ne reverrait jamais.

Elle décida donc de quitter la cour et de se retirer au très stricte couvent des Grandes-Carmélites du faubourg Saint Jacques. Elle souhaitait y expier sa vie qu'elle considérait comme miséreuse et indigne. Elle fit des excuses publiques à la reine Marie-Thérèse d'Autriche qu'elle avait fait cocue pendant toutes ses années, confia sa fille à la princesse Palatine et entra au couvent sous le nom de Louise de la Miséricorde.

En 1687, Eustache fut transféré dans la citadelle de Sainte Marguerite, au large de Cannes. Il avait un geôlier attitré, Bénigne de Saint-Mars. Grâce à Louise de la Vallière, il ne manquait de rien, sauf de liberté et des appartements étaient aménagés pour lui dans les prisons. En 1698, le geôlier fut nommé comme gouverneur de la Bastille à Paris et son prisonnier le suivit. Personne d'autres ne connaissait l'identité de ce mystérieux homme masqué qui passait ses nuits à composer des vers sur l'amour d'une jeune femme.

En 1703, fut enterré un homme d'une cinquantaine d'années dont tout le monde ignorait le nom, sauf une vieille Carmélite qui pleurait devant son cercueil. Elle s'en retourna silencieusement à son couvent, et le nom d'Eustache Dauger fut définitivement oublié alors que l'homme au masque de fer était de toutes les discussions.

Le masque de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant