Chapitre 13

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Le lendemain, Marie se leva avec le soleil. Elle ne voulait en aucun cas que Jean ne la traite de fainéante. Elle sortit de la maison, et croisa Anne qui revenait de traire la vache.

-Je peux faire quelque chose ? demanda-t-elle à sa tante.

-Tu nous as déjà bien aidé hier. Va manger quelque chose avant de commencer la journée. Tu seras plus efficace.

Elles rentrèrent ensemble. Jean s'étirait en baillant. Marie décida de l'ignorer et attrapa le morceau de pain noir que lui tendait sa tante.

-Merci.

Les deux femmes s'assirent et mangèrent en silence. Lorsqu'elles eurent fini, François et René firent irruption dans la pièce.

-On s'est arrangés avec Simon. Il vient avec nous tantôt pour faire monter la vache. Annonça René.

-Je peux venir aussi ? demanda Jean soudain intéressé.

-Tu n'as pas assez de travail ici ? rétorqua son père.

Jean ne jugea pas utile de répondre.

-Nous partons dès qu'il sera prêt. Repris René. Et nous ne rentrerons pas avant la tombée de la nuit, je pense.

Anne hocha la tête d'un air entendu, puis se leva en déclarant qu'elle avait un tas de chose à faire également.

Les hommes sortirent. Jean se dirigea à son tour vers la porte, et s'arrêta dans l'embrasure. Il regarda Marie :

-Tu viens ?

Enfin il lui adressait la parole. Marie se leva d'un bond, comme si elle avait reçu une décharge électrique, et suivit Jean à l'extérieur. Sans un mot de plus, ils allèrent chercher les outils, et retournèrent aux champs, là où ils s'étaient arrêtés la veille. Ils commencèrent à arracher le blé.

-Pourquoi tu es revenue ? Demanda soudain Jean.

-Parce que je voulais vous revoir. Ça fait plusieurs années que j'essaye de revenir, mais le trajet est long, et le père Bujol n'avait pas les moyens.

-Qu'est ce qui a changé ?

-Il est décédé. Et ma situation avec son successeur n'était clairement plus vivable.

-Pourquoi ?

Marie, ravie que Jean lui manifeste un peu d'intérêt lui raconta en quelques mots ce que lui avait fait subir le père Renonceau.

-Donc le premier il est mort à cause de toi ?

La jeune fille déglutit difficilement, et détourna la tête.

-En quelques sortes, oui...

-T'aurai dû rester avec lui, t'avais une belle vie.

-Mais j'avais envie de vous revoir. Vous me manquiez. Vous êtes ma seule famille.

-Tu ne te rends pas compte. La vie n'est pas facile ici. Après que tu nous aies quitté, mes parents ont eu d'autres enfants. Tous sont morts avant quatre ou cinq ans. On avait faim, ma mère ne pouvait plus faire de lait. Le dernier est mort à la naissance. Et je ne compte plus ses fausses-couches. Si la récolte n'est pas bonne, on ne mange plus à notre faim. Il y a eu une famine il y a quelques années. Ça a été très difficile pour tout le monde.

-Je suis désolée... Je ne savais pas.

-Forcément, puisque chez ton curé, tu mangeais ce que tu voulais, quand tu voulais.

Le ton de Jean était dur et chargé de reproches. Marie eut un pincement au cœur. Comment pouvait-elle ignorer cela. Elle se rendait progressivement compte qu'elle ne connaissait pas ceux dont elle avait rêvé depuis plus de dix ans.

-Tu aurais dû rester là-bas. Même si le curé ne t'aimait pas, tu te serais mariée, et tu serais partie avec un autre. Que vas-tu faire ici ? Mes parents n'ont pas de quoi te doter, et personne ne voudra d'une bourgeoise sans le sou qui ne sait rien faire. Je te laisse imaginer la fin tragique que tu pourrais connaître si tu restes vieille fille. Mes parents ne sont pas assez riches pour te financer le reste de ta vie.

Marie resta pensive un moment. Jean lui donnait tant d'information en si peu de temps qu'il semblait avoir répété son discours toute la nuit. Cela étant, il n'avait pas entièrement tort. Elle avait quinze ans depuis près de trois mois, et avait donc le droit de se marier.

-Je ne veux pas être une charge pour vous.

-Eh bien fait le nécessaire pour ne pas l'être.

Ce fut le mot de la fin. D'autres paysans les rejoignirent. Ils répétèrent les mêmes gestes que la veille, tout en s'accordant quelques pauses au cours de la journée. Colette était là, et n'adressa que quelques mots à Marie. Les autres semblaient s'être habitués à sa présence, et ne la regardaient plus comme une bête curieuse. Ils ne se taisaient plus dès qu'elle était là, ce qui lui permettait d'entendre les conversations, même si elle n'osait pas encore y participer. Les paroles de son cousin résonnèrent en elle toute la journée. Elle retourna la question toute la journée, et à la fin de la journée, sa décision était prise. Elle devait parler à son père.

Au souper, elle trouva la soupe moins consistante que la veille. Elle pensa à ce que Jean lui avait dit. Elle refusait d'être un poids pour Anne et René.

Au moment d'aller se coucher, Marie insista pour attendre le retour de René et François. Jean était déjà enfoui sous la couverture. Elle rassura sa tante :

-Ne t'inquiète pas, demain c'est dimanche, ce ne sera pas un jour très fatigant.

-Mais tu as l'air si fatigué...

-Un peu, mais ça va. Et puis, ils ne devraient pas tarder...

Anne lâcha l'affaire et rejoignit Jean dans le lit familial.

Marie était déterminée. Elle devait parler à François, et ce le plus vite possible.

Sa tête dodelinait lentement sur le côté, quand elle fut réveillée par le grincement de la porte. Elle se releva immédiatement.

-Qu'est-ce que tu fais encore là ? chuchota François en la voyant éveillée au milieu de la pièce.

-Je dois te parler. Affirma-t-elle.

-Maintenant ? Ça ne peut pas attendre !?

-Non.

Elle entraîna son père à l'extérieur, devant les yeux étonnés de René.

-Qu'est-ce qu'il y a ? demanda François une fois à l'extérieur.

-Je veux me marier.

Le masque de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant