François revint souvent chez l'abbé Bujol les six premiers mois, un peu moins les six suivants, et ses absences se firent ensuite de plus en plus longue. L'éducation de Marie se faisait pratiquement exclusivement par le vieil homme. Il commença par lui apprendre des choses simples, il lui faisait observer la nature.
-Marie, dit-il, trouve-moi une feuille de chêne identique à celle-ci.
La petite observa la feuille un moment. Les bords ondulés, dont un cassé, la feuille était entièrement verte. Elle partit en courant vers l'arbre au fond du jardin et, quelques minutes plus tard, revint avec une seconde feuille. Son maître lui sourit tendrement.
-Sont-elles identiques ?
La petite hocha la tête. L'homme prit les deux feuilles et les superposa. Les bords ne coïncidaient pas.
Marie se mordit la lèvre.
-Ce n'est pas la bonne. Dit-elle, prête à y retourner. Le vieil homme la retint.
-Tu ne trouveras pas une autre feuille identique, Marie.
Elle le regarda d'un air interrogatif. Il prit une inspiration, et s'accroupissant pour la regarder dans les yeux, lui expliqua :
-Dieu a créé chaque chose de manière unique. Ainsi, chaque feuille de chêne est unique, même sur un même arbre. Chaque fleur est unique, chaque animal, toi aussi... Il n'y a aucune petite fille exactement comme toi. Peut-être une qui te ressemble, mais pas une qui soit identique.
-Dans tout le monde entier ?! s'exclama-t-elle.
-Oui, Dieu a voulu que chacune de ses créations soit unique.
Il marqua un temps d'arrêt avant de sourire :
-Autrement tu imagines, si une autre Marie comme toi était une vilaine fille, il pourrait vous confondre et te punir à sa place !
-Oh ce serait dommage ! Heureusement que je suis toute seule ! Vous aussi vous êtes unique ?
-Oui, tout le monde. Même les jumeaux ne sont pas exactement pareil.
La petite ouvrait de grands yeux.
Elle apprenait des choses tous les jours. Elle apprît ensuite les jours de la semaine. Le dimanche, où elle devait se faire belle et aider son maître à préparer la messe. Puis le lundi. C'était le jour où ils cuisinaient ensemble. Elle apprenait à faire de bonnes soupes, parfois des ragoûts et même de délicieux gâteaux. Le mardi, ils fabriquaient des petits objets en laine ou en tissus, l'abbé lui apprenait à coudre. Le mercredi, ils visitaient les pauvres de la région et leur apportaient des choses à manger, ou ce qu'ils avaient confectionné la veille. Le jeudi elle pouvait aller voir les différents animaux de l'abbé. Il montra à Marie comment traire une vache, ce jeu lui plaisait beaucoup. Elle prenait un grand plaisir à attendre le jeudi, et restait des heures à l'étable ou à la bergerie. Le vendredi, elle pouvait jouer toute la journée. Elle s'occupait donc en fonction du temps, et le samedi, ils préparaient l'église pour les messes du soir et du lendemain. Elle avait donc un emploi du temps complet et ne s'ennuyait presque jamais. L'abbé veillait à ce qu'elle ait une éducation complète afin qu'elle puisse aussi bien se débrouiller à la campagne, que briller en ville. Un vendredi, alors qu'elle jouait avec des morceaux de bois, il l'appela.
-Marie, maintenant que tu connais l'alphabet, je vais t'apprendre à lire. Tu veux bien ?
-Oui ! s'exclama-t-elle ravie.
Son maître lui présenta un vieux livre de lecture.
-C'était le mien. Lui expliqua-t-il.
La petite hocha la tête.
-Il y a marqué quoi, là ? demanda-t-elle en pointant l'une des premières lignes.
-BA, BE, BI, BU... lu-t-il.
-Mais c'est des mots de bébé ! Je veux apprendre à lire de vrais mots ! se plaignit-elle, déçue.
-C'est par là qu'il faut commencer ma puce.
-Non, ça ne sert à rien, je veux des vrais mots de grande ! s'énerva-t-elle, vexée. Elle pensait que le vieil homme la prenait encore pour une toute petite fille alors qu'elle avait presque sept ans.
-Ce ne sont pas des mots de bébé, ce sont des syllabes. Expliqua-t-il. Et avec des syllabes, tu fais des mots.
Comme Marie restait silencieuse, il poursuivit :
-Je prends la syllabe « Ma » et la syllabe « Ri ». Si je les colle, ça fait « Marie ».
Le visage de la concernée s'illumina alors.
-Et vous ? c'est quoi vos syllabes ?
-Moi, c'est la syllabe « To » et la syllabe « Ma ». Ça fait Thomas.
-Vous avez la même syllabe que moi ! s'écria Marie. Elle venait de comprendre l'utilité des syllabes. La leçon de lecture pu commencer. Désormais, le vendredi devint le jour de l'apprentissage. Marie s'avéra être une assez bonne élève, même si certains jours elle aurait préféré rester dehors. Heureusement, le début de ses leçons coïncidait avec le début des mauvais jours, elle eut donc moins de mal à se priver du grand air.
Noël approchait à grand pas. Elle passait de plus en plus de temps à préparer de petits objets en tissus, et des plats chauds pour les moins fortunés.
-Tout ce que tu donnes maintenant, Dieu te le rendra en mille fois plus au paradis. Lui expliqua l'abbé Bujol.
-Je vais beaucoup grossir au paradis alors. Répondit-elle innocemment, en léchant une cuillère pleine de pâte à gâteau.
Son maître éclata de rire.
Enfin, ce fut le soir de la veillée. L'abbé avait fait un bon feu dans la cheminée, et Marie buvait son bol de soupe.
-Marie, viens voir. J'ai quelque chose pour te remercier de ton aide.
Marie se leva immédiatement et sorti à la suite de son maître. Elle trouva alors un chaton tout blanc dans la cour.
-Il est à toi.
-A moi !? Marie n'en croyait pas ses oreilles. Son maître avait vu le soin qu'elle accordait aux animaux, et à défaut d'un mouton qu'elle n'aurait pas pu garder à l'intérieur, il avait choisi un chaton.
-Comment vas-tu l'appeler ?
-Flocon !
-C'est très beau. Va vite le chercher, et ramène-le à l'intérieur. Il doit avoir froid avec toute cette neige. Marie obtempéra et prit son petit protégé dans les bras pour le ramener près du feu.
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Le masque de fer
Historical FictionSous Louis XIII. Une toute petite enfant se voit confiée au premier venu, un certain soldat du roi nommé François. Il décide de l'appeler Marie et de la chérir comme si elle était sa propre fille, se résolvant à garder secret l'identité de sa mère...