Dès ma plus tendre enfance, j'ai compris la définition du mot survivre. J'ai appris à vivre dans l'ombre des autres, l'ombre de cette famille. Un jour j'ai arrêté de compter les fois où j'avais été marqué au fer rouge parce que cela n'avait plus auc...
Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.
Malgré toutes les fois où j'avais mis les pieds aux portes de l'enfer, je n'avais jamais failli, ni même tressailli. J'acceptai sans broncher les punitions qui, avec le temps, ne me paraissaient plus si atroces que cela. Seulement, je n'étais pas préparée à le voir lui, aux côtés du diable. Et quand j'eus mis les pieds dans cette pièce je sus instinctivement que je risquais de m'en prendre plein à la tête, mais également que je n'allai pas supporter sa présence. Pourtant si Ilyas était ici c'est qu'il avait enfin réussi à s'enfermer dans le cercle le plus proche de James.
- Je m'absente deux jours et tu disparais mystérieusement de la maison.
C'était une affirmation, une constatation de ce que j'avais fait, une affirmation que j'avais enfreint les règles et qu'il pourrait me punir comme bon lui semblerait. Je fermai les yeux un instant, cherchant à chasser le regard bleuté d'Ilyas, debout aux côtés de James qui trônait dans son fauteuil en velours rouge comme un roi. La raison de sa présence me faisait froid dans le dos. Je savais exactement ce que cela signifiait, je savais aussi que James le lui avait révélé, certainement dans la matinée. Et ma conscience me criait de trouver une solution, il ne devait pas voir, il ne devait pas savoir. Je refusais qu'il interfère dans cette partie de ma vie.
- Je ne veux même pas savoir où tu étais, enchaina-t-il, aucune importance, tu en connais les conséquences.
Son ton solennel me fit regretter un peu plus d'être si idiote. J'étais pétrifiée comme jamais je ne l'avais été auparavant. Je ne voulais pas qu'Ilyas voit cela, je ne voulais pas qu'il ait pitié, qu'il me voit comme une petite fille fragile. Toujours assise sur ma chaise, j'osai enfin croiser ses yeux sombres. Immédiatement, je m'en mordis les doigts, j'aurais mieux fait de m'abstenir. Son regard en disait long, un mélange de colère et d'appréhension, ce genre de regard qui vous glace sur place tant il est profond. S'il était en colère, c'était contre moi, je le voyais. Pourtant il était rare de le voir en colère, d'habitude il le dissimulait.
James se redressa de toute sa hauteur, ses cheveux gris lui conféraient un air de vieux fou avec les jeux de lumières des chandelles. Incapable d'effectuer le moindre mouvement, je l'observai se déplacer jusqu'à son armoire fétiche, l'antre du diable. Il échangea des mots avec Ilyas, mais je n'entendais rien, mes oreilles bourdonnaient et seules leurs bouches qui remuaient me confirmaient qu'ils discutaient.
Une poigne ferme me ramena à la réalité, je reconnus instinctivement la bague d'Ilyas. Sa main entourait mon avant bras fermement sans pour autant me faire mal. Je fixai le dos de James pendant que nous marchions tous les trois dans un étroit couloir menant à un escalier de pierre. Une sorte d'initiation, c'était cela pour chaque nouvel associé de James qui se rapprochait de lui. James leur faisait tout découvrir de sa vie, même l'existence de sa fille torturée. Et à chaque fois, je me retrouvais entre les quatre murs de cette cave, bien dissimulée. On y avait accès seulement par le bureau de James.
