Elie : Comme si j'avais ce droit d'hesiter

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Alors qu'à table, les autres ressassent les souvenirs passés, je fixe derrière mon rempart teinté, son visage changer d'expression et s'empourprer parfois selon les sujets de discussion.
Je peine à respirer, parce qu'elle a emmené avec elle sans le savoir, dans ses valises, un poids bien trop lourd pour moi à porter. Comme intacte après tout ce temps, je me lève sans que personne n'y prête vraiment attention.

Un bip familier pour ouvrir ma voiture mais des gestes tout d'un coup beaucoup moins assurés. Une conduite un peu trop énervée dans des virages un peu trop serrés,me valent deux ou trois fois l'écho de pneu qui doivent chauffer. Ma main cramponnée au levier de vitesse que je passe sans même y penser, je finis par piler et claquer ma paume sur le volant.
Une portière qui se referme dans la nuit beaucoup trop bruyamment et un grognement : le mien, celui de ma colère étouffée, alors qu'on est le premier soir et qu'on ne peut pas vraiment dire qu'on s'est reparlées.
Je m'en veux à moi, de ma putain de vulnérabilité qu'elle va empoigner par le col et secouer.
Je lui en veux à elle d'avoir ce pouvoir de me déstabiliser, alors qu'elle est venue sans se douter que j'y serais aussi.
Alors je grince des dents, sous la douleur physique jamais vraiment passée, de ma mâchoire qui craque et de mon nez.
Ce soir là, c'était pas une claque mais une droite bien assenée. Une chaleur me traverse comme le fantôme de ce liquide amer que j'ai laissé s'imprégner sans même me relever, sans même protester, pour l'enlever aux griffes de cette brute avec qui il lui semblait pourtant mieux de rapartir.
Je cogne dans ce pauvre arbre qui n'a rien demandé, c'est sûr que ce soir là elle était plus en sécurité avec cet abruti violent que quelqu'un comme moi , qui d' après les stéréotypes de certains, aurait pu lui sauter dessus sans lui demander sa permission.

Deuxième coup sous l'ironie de la situation, je reproche à ce mec d'avoir tapé comme un con et moi je frappe ce tronc.
Un dernier coup quand même, parce que je veux revoir ce sang comme l'autre soir, celui que je veux laisser s'écouler comme ce qui résonne et tout ce qu'il a fini par représenter.
Et puis je rentre, même pas un peu épuisée.
Les autres,eux, sont visiblement partis se coucher. Je me fait une infusion comme pour me calmer et remonte sur la terrasse, là où personne ne viendra.

Sauf que bien évidemment, il y a déjà quelqu'un et sur tous les invités c'est celle que je ne voulais surtout pas croiser.
Elle passe ses mains sur ses bras, fixant l'horizon et le ciel éclairé. Je soupire parce que je sais déjà que je vais le regretter, enlève ma veste et la pose sur ses épaules sans un mot échangé.
Et puis, je fais demi-tour, mais trop tard, arrivée en haut de l'escalier, mon cœur se met à cogner, parce que j'ai senti son regard sur moi juste avant de m'éloigner.
Alors, les yeux fermés, je me fige, un pied en suspend comme si j'avais ce droit d'hésiter et puis part me coucher.

"Trop près de Toi" Où les histoires vivent. Découvrez maintenant