Élie :son immensité risque bien plus de finir par me noyer

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La main tendue vers la porte vitrée, je suspends mon geste, baisse la tête et oblige mes ongles à pénétrer mes paumes.
Le souffle accélèré, mon mécanisme me dicte d'y aller. Je porte une main à ma poitrine, car il a bien du mal à tourner, et même si c'est au sens figuré, ça fait bien plus mal qu'un cœur physiquement usé.
Ma gorge se serre, au fur et à mesure que ma colère monte. C'est elle qui m'a infligé les coups qui ont brisé chaque roues crantées.
D'abord cet homme qui ne voulait pas m'élever et puis elle qui détournait le regard à chaque fois que j'avais le malheur de le croiser. S'il n'y avait que le sien à elle que j'avais dû éviter, mais ce mec est arrivé et s'en est emparé.
Il s'est emparé de cette fille et de son cœur que j'aurais bien volé.

Mais il a fait pire que ça, son cœur, il l'a cambriolé, comme quand on rentre quelque part sans vraiment demander et qu'on détruit tout ce qui se trouve à l'intérieur.
J' ai toujours soupçonné qu'il devait mal la traiter. Mais je pouvais plus, j'avais plus la force de l'affronter. De toute façon, je ne l'avais jamais vraiment intéressée alors j'allais pas débarquer et tout bouleverser.

Ce soir là, quand il m'a frappé je ne l'ai pas tout de suite reconnu, et puis quand j'ai percuté, un train m'a foncé dessus à la vitesse d'un TGV. Parce que ce soir là, quand j'ai fixé Freya en espérant qu'elle dise quelque chose, j'ai vu sa bague sous ses doigts, tourner. Une que je ne connaissais pas, mais en dessous j'ai vu celle que j'avais mis devant sa porte ce soir là.
J'étais partagée, elle avait gardé ma bague mais elle n'avait rien dit quand j'étais tombée sous les coups d'un abruti qui ne l'avait jamais mérité.

Voilà ce qu'elle est, cette fille avec qui j'ai toujours été partagé. Continuer à espérer ou m'arrêter ? Croire à ce que certains signes pouvaient signifier ou cesser de rêver ? Et puis au fur et à mesure des années, mon mécanisme s'est fatigué.
Fatigué de me battre pour quelqu'un qui après tout ne l'aurait sans doute jamais touché. Et puis chaque fille dans mon lit, l'abimait un peu plus. Parce qu'elles représentaient ce fait que j'étais obligée d'accepter.
Aucune ne le ferait résonner, parce qu'il était déjà gravé avec les lettres d'un seul prénom en doré.
Combien de fois je m'étais levée, laissant l'eau froide de la douche couler :" Pitié, je veux l'oublier, faite moi sortir de cette apnée, faite là s'en aller."

Encore aujourd'hui, face au miroir, j'enclanche l'eau gelée, un sourire narquois marqué :" Je veux l'oublier et toi la vie tu me la mets sous le nez comme pour me torturer ?! Tu t'amuses comme un jeu auquel tu sais que je ne vais pas gagner ?! Mais il se passera quoi samedi quand t'as décidé, que comme il y a des années, je vais devoir affronter son regard à elle et à lui pas loin qui voudra de nouveau se l'approprier ?! "

Un souffle entrecoupé pour tenter de me calmer, mon poing qui se pose sur le placo :" Il se passera que je ne retournerais pas à la case départ de ce jeu truqué, il se passe que cette fois-ci, je ferais tout tomber, quitte à me retrouver seule sur le plateau et être celle qui devra être éliminée."

Le regard noir, dans mon propre reflet, et le sourire prêt à jouer un coup risqué, je cours sans réfléchir.
Elle a avancé de quelques pas pour ne pas être trempée et me regarde, ahurie, arriver à vitesse grand V.

Sans avoir le temps de réaliser, j'attrape ses joues et pose mes lèvres sur les siennes au goût iodé enchaînant les baisers passionnés. Ses mains agrippant ma nuque, elle ne recule pas et semble même en redemander.
Mais je finis par tout arrêter :
_ Je ne peux pas, j'en ai envie mais je ne peux pas continuer. C'est bien trop risqué pour cette partie qui veut accélérer. Parce que si je l'expose trop, elle finira par ne plus exister.

Cette fois, c'est vers ma voiture que je me dirige, enclanchant le moteur. Un regard dans le rétroviseur avant de m'en aller, elle s'est retournée, face à l'océan déchaîné et porte ses mains sur ses joues probablement trempées. Cette fois-ci ce sont ses larmes à elles, qui face à cette eau et son immensité, risquent bien plus de finir par me noyer.

"Trop près de Toi" Où les histoires vivent. Découvrez maintenant