"Trop près de Toi"

Freya

Je recule de quelques pas et me laisse tomber sur la panière en bois qui supporte tout juste mon poids.
Ma poitrine se resserre avec la sensation de la perdre à chaque seconde. Que plus rien ne changera, parce que cette soirée est toujours là, entre nous deux comme ce qui ne s'effacera pas.
Pourtant je passe mes doigts sur mes lèvres et m'accroche à ce souvenir là, celui de ce que j'ai ressenti à ce moment-là.

Je m'arrête une seconde sur le pas de la porte, Élie fixe l'horizon et moi tout ce qui se trouve sur la table. Mon cœur menace de s'arrêter, tout y est, le jus d'orange et celui d'airelle que j'étais la seule à réclamer pour nos soirées il y a des années qui paraissent tellement loin à présent.
Alors malgré la froideur dont elle fait preuve, je me raccroche encore une fois à ces petits détails là. Elle n'aurait pas fait tout ça si elle n'y croyait pas.
Alors avant que je ne réalise ce que je m'apprête à faire, ma bouche s'ouvre :
_ Ils s'attendaient à me voir arriver avec...
Je baisse d'un ton comme si parler de lui était devenu interdit :
_... Lui, au mariage je veux dire. Ils ont tout réservé en le comptant. Viens avec moi s'il te plaît.
Mais je regrette aussitôt ma demande, je viens sans aucun doute de lui donner l'impression d'être une pièce de rechange et de second choix.
J'aggripe la porte parce que, ce que je m'apprête à lui confier, je n'en ai jamais parlé.
_ J'ai connu les coups, bien avant lui. Quand je faisais la rentrée couverte de bleus et que j'inventais des vacances d'avanturière, ce n'était pas tout à fait la vérité.
Élie se fige, elle ne me regarde pas mais je sais qu'elle enregistre chacun de mes mots, parce qu'elle finit par se redresser et serre son poing entre son autre main.
_ Disons qu'ils m'envoyaient dans de la famille pas très tendre, en espérant que je reprenne le droit chemin des bonnes notes et du bon comportement.
Les jambes d'Elie se mettent à trembler d'impatience comme si elle voulait se lever.
_ Plus mon oncle me frappait et moins je voulais faire et être ce qu'il attendait de moi. Alors il recommençait, jusqu'à ce que...

Cette fois-ci, ce sont mes jambes à moi qui ne me tiennent plus très bien.
_ Il sera à ce mariage Élie. Je vais devoir faire comme si personne ne savait, je vais devoir... Oublie ce que je viens de te dire. C'est mon histoire, c'est à moi de la porter, je n'aurai même pas dû te la confier et...
Je me retourne pour rentrer mais sans prévenir tout se met à tourner.
_ Freya ? Freya!
J'ai juste le temps de m'agriper, et Élie de resserrer ses bras  autour de moi.
_ Je crois que je ferais mieux de m'en aller Élie, j'en ai assez fait comme ça.
_ Hors de question tu m'entends ! Tu vas commencer par manger.

Alors qu'elle m'aide à m'installer et rapproche les assiettes, je pique ma fourchette dans l'omelette. Le silence s'installe comme pour effacer ce qui vient d'être prononcé et Élie s'en va. Je me dis alors que je n'aurais pas dû, quand la sensation qu'elle créée en posant  la veste sur mes épaules s'empare de moi.
Elle tire la chaise juste à mes côtés et fixe de nouveau l'horizon :
_ S'il débarque là-bas, je ne te promets pas de rester calme. Je ne le toucherais pas, je ne veux pas faire partie de ces gens là. Mais je ne te garentis pas de ne pas élever le ton et de ne pas faire un esclandre.
Je continue de manger alors que mon cœur lui, se met à cogner.
_ D'accord.
Alors dans un geste plus sûr que tous ceux d'avant, Élie pose sa main sur la mienne, en effectuant une légère pression :
_ Je suis désolée de ne pas avoir vu ce qui s'était passé aux rentrées.