Alcée : Ne pas penser à elle mais bien plutôt à cette réalité

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Avancer, ne pas penser, et retenir ma respiration comme si tout allait s'arrêter.
Pourtant ce tic tac continue de marteler ce rythme que cette fille à le don de dérégler.
Ne pas penser à elle mais bien plutôt à cette réalité quand je vais récupérer mes clés et rentrer. Des soucis bien plus importants que mes joues qui se mettent à chauffer et mon pied à cogner dans une cannette de rage de devoir y retourner pour récupérer ce que j'ai fait tomber.

Me racler la gorge et fixer le sol comme si ça allait l'effacer, comme si par miracle, mes clés étaient tombées plus loin sur le chemin et pas dans son étui.

Ne pas décompter, ne pas imaginer les derniers grains d'un sablier s'écouler avant d'arriver. Ne pas remarquer que le son s'amplifie parce que ça y est, elle est en train de jouer.
Et surtout, surtout ne pas me figer parce qu'autour de ses doigts qui courent sur son instrument bien accordé, il y a mes clés solidement attachées.

Ne pas pâlir parce que je ne pourrais pas l'éviter, parce que je vais bien devoir rester et l'aborder. Ne pas sursauter quand mon téléphone se met à sonner :
" T'es où ? Pourquoi la porte est toujours fermée ? Où t'a mis les clés ? Dépêche toi, j'ai froid et j'aimerai manger."

Ne pas passer ma main dans ma nuque trempée, ne pas jurer entre mes dents serrées. Un accord avec ces notes vibrant d'intensité et mes résolutions se sont évaporées.

Parce qu'elle vient de lever la tête et ouvrir les yeux pour me sourire et me regarder.
Alors recommencer, ne pas trembler, ne pas faire semblent de n'avoir rien remarqué, simplement me retourner pour m'assurer que c'est moi qu'elle a dévisagé.
Mais la nuit commence à tomber et le froid à engourdir mes mains et rougir les siennes qui pourtant jouent de plus en plus vite. Comme pour se réchauffer, comme pour ne pas plier sous le poids de ce que le temps aurait voulu imposer.

Je n'oserai pas, je n'y arriverai pas. Alors je fouille dans mes poches, il me reste assez pour faire illusion et acheter un repas préparé.
Mais comment expliquer à celle qui m'attend qu'on va devoir passer la nuit ailleurs parce que je n'aurais pas osé récupérer ce qui m'appartient à cause de cette foutue manie de ne pas vouloir parler ?
Elle me comprendra ou pas, mais en attendant je m'apprête à faire demi-tour quand la musique s'arrête brusquement :
_ Attends !
Mais mon silence et mon dos lui répondent, non je ne peux pas attendre. Parce que les mots eux, risquent bien de rester coincer si je devais lui parler.

Courir en petite foulée, retenir ce qui veut remonter, il y a assez d'eau avec cette pluie glacée pour que je vienne en rajouter. Foutue manie de ne pas affronter ce qui me gâche la vie.
Respirer et me dépêcher de trouver ce que je vais bien pouvoir dire à celle devant notre porte qui m'attend et compte sur moi pour lui amener ce qui nous a tant manqué pendant plusieurs années.

"Trop près de Toi" Où les histoires vivent. Découvrez maintenant