Etoile Filante

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Aujourd'hui, c'est la nuit des étoiles. J'ai quitté Paris pour me retrancher dans notre maison familiale à la campagne, afin de pouvoir observer le ciel dans les meilleures conditions possibles. C'est avec beaucoup de nostalgie que je reviens ici. Je nous vois encore enroulés dans les couvertures, sur le toit de la grande maison, scrutant les cieux pour tenter d'apercevoir les rares étoiles qui tombaient.

Je n'y suis pas allé l'année dernière. L'annonce de ton départ était encore trop fraîche dans mon esprit. Je n'avais vraiment pas le cœur à retourner sur l'un de ces nombreux lieux que tu hantes encore aujourd'hui.

"Je souhaite que Marc revienne."

C'est la prière que je fais tous les jours, mais je ne suis plus un enfant maintenant. Je sais très bien que les chances que celle-ci se réalise sont proche du néant. Alors à quoi cela sert-il que je continue de prier pour des pacotilles ?

Je ne devrais pas dire quelque chose comme ça. Je ne devrais même pas le penser... Maman serait tellement déçue si elle m'entendait...

Tu es venu deux fois avec moi dans la maison de mes grands-parents. Et à chaque fois, c'était pour cet événement rare et magique. Nous nous réfugiions sur le toit, jouions, attendant patiemment que les premières pluies d'étoiles filantes ne se manifestent au milieu de la nuit. C'était un peu dangereux. La demeure était très vieille et mes parents ne venaient que très rarement l'entretenir. Les tuiles se délogeaient, mais nous faisions bien attention à ne pas tomber. La chute aurait été terrible. Nous installions des couvertures, le télescope de mon grand père, ainsi que l'appareil-photo de tes parents pour prendre des photos et nous attendions que le temps fasse son œuvre.

Cette soirée unique était toujours l'occasion pour nous de nous retrouver hors du monde et hors du temps. Il n'y avait que toi et moi au milieu de cet océan d'étoiles. Ce ciel-là était bien différent du ciel de Paris. Noir océan, bercé par les myriades de lumière de la ville. Cette petite escapade était alors l'occasion de nous rappeler que nous n'étions que de minuscules créatures dans cet univers infini. Notre existence n'est rien parmi ses monstres tranquilles de lumières qui trônent au loin dans le vide de l'univers.

Je pourrais parler de ces deux soirées extraordinaires que nous avons passées ensemble, mais celle dont je souhaite garder une trace indélébile est la première. Celle où tu n'es pas venu avec moi. C'était un premier rendez-vous manqué. J'avais voulu t'inviter. J'avais tout préparé en amont pour que tout se déroule sans anicroches. J'avais demandé l'autorisation à tes parents pour que tu viennes avec moi, j'avais demandé l'autorisation à mes parents. J'avais vérifié la météo, regardé les billets de trains. Il ne me restait plus qu'à t'inviter. Je t'offrais déjà Paris et ses secrets, mais je voulais t'offrir bien plus encore. Le monde, l'univers.

Je ne saurais pas vraiment dire si j'avais déjà des sentiments pour toi à l'époque, mais tout ce que je sais, c'est que tout ce que je voulais faire, je voulais le partager avec toi. Tu étais déjà devenu quelqu'un d'indispensable dans ma vie. Une partie de moi.

Cependant, rien ne s'était passé comme je l'aurais voulu et je me souviens encore de la sensation de vide que j'ai ressenti quand tu as répondu à ma question : "Qu'est-ce que tu fais samedi soir ?". Tu allais à un concert des Ogres de Barback avec Luka. C'était un événement que tu attendais depuis longtemps. Je le voyais bien dans tes yeux et ton sourire. Tu avais l'air tellement heureux. Je ne pouvais pas t'en vouloir, tu avais ta vie toi aussi. Je n'avais pas le droit de te monopoliser et on ne pouvait pas passer tout notre temps ensemble. J'avais donc décidé de ne pas m'imposer et de ne pas te faire ma proposition. Alors je suis allé à cette nuit des étoiles seul, comme à mon habitude. Je ne voulais pas manquer l'événement. Ce serait l'occasion de retrouver l'inspiration.

Même si nous étions loin l'un de l'autre, les mots que nous avons échangés ce soir-là étaient assez forts pour résonner encore en moi aujourd'hui. Je n'ai plus mon téléphone pour recopier le contenu exact de notre échange, mais je m'en souviens en substance.

Il faisait doux ce soir-là. Les grillons chantaient et rendaient l'atmosphère de la campagne assez magique et unique. Tout était endormi autour de moi. Plus rien ne bougeait. J'avais l'impression d'être le dernier survivant sur Terre. J'étais assis seul sur le toit de la maison, baigné dans l'obscurité la plus totale, avec pour seul éclairage la voie lactée et la lune. Alors que j'observais les étoiles à travers le télescope de mon grand-père, j'avais reçu un message de toi, me rappelant ainsi ton existence et par la même occasion, que la vie se poursuivait ailleurs. Tu m'avais envoyé une photo de toi en train de t'amuser à ce fameux concert. J'étais heureux pour toi, mais aussi égoïstement pour moi, car tu pensais à moi, même dans tes moments à toi. Tu souhaitais qu'on se voit le lendemain.

Comme seule réponse, je t'avais envoyé la meilleure photo du ciel que j'avais pu faire avec mon téléphone, accompagnée de ces quelques mots :"J'aurais adoré, mais je ne suis pas sur Paris." Nous avons discuté un peu. Je t'ai alors révélé ce que j'étais en train de faire. Tu étais surpris et un peu déçu que je ne t'aie pas invité. Tu aurais sacrifié ta soirée pour venir avec moi. Mais je n'étais pas d'accord, tu avais payé ces billets, je ne pouvais pas te laisser gaspiller de l'argent et cette occasion que tu avais attendue si longtemps. Tu m'avais alors promis que tu te joindrais à moi la prochaine fois. Mon cœur avait manqué un bond. Sauf que pour que la fois suivante arrive, il fallait attendre une année. Étais-tu prêt à me supporter un an complet ? Est-ce que notre amitié résisterait aussi longtemps ? Tu y croyais tellement, alors que j'en doutais. "Pour toute la vie" tu disais. Je m'étais alors laissé tombé en arrière pour me retrouver coucher sur le toit. Le ciel n'existait plus, seuls tes mots sur l'écran de mon portable comptaient. J'étais tellement heureux, mais je ne pouvais pas te le dire. J'avais trop peur de passer pour quelqu'un de trop romantique. Mais je n'étais pas satisfait... "Toute la vie" c'est long, mais ce n'était pas assez pour moi. J'en voulais toujours plus, j'étais gourmand.

"Toi et moi pour l'Éternité !"

Heureusement que nous étions loin l'un de l'autre, car je me serais mal vu avoir cette discussion en face à face avec toi. Nous envoyer des messages nous permettait d'ouvrir nos cœurs un peu plus facilement sans avoir à en rougir.

"Toi et moi pour l'Éternité !" avais-tu alors répété avec un smiley.

Je me souviens du vœu que j'avais fait ce soir-là pendant que des étoiles filantes tombaient du ciel : "Je souhaite que Marc et moi restions ensemble pour toujours."

Aujourd'hui, avec le recul, je vois en cette soirée un rendez-vous manqué. Un mariage raté où l'un des deux époux ne viendra jamais à la cérémonie et où les vœux échangés n'ont eu aucune résonance dans le vide infini de l'univers. Ils s'y sont perdus. Ce rendez-vous présageait ce futur sans toi. Je dois me rendre à l'évidence. Tu ne reviendras probablement jamais. J'ai été trop gourmand. J'ai l'impression d'avoir été puni pour t'avoir désiré si fort. Comment ai-je pu croire un seul instant que toi et moi pourrions durer pour l'éternité ? Marc, comment je fais pour me débarrasser de ton fantôme ?

Tu me manques tellement que les larmes continuent de couler comme au jour de ton départ. Ton existence aura été comme l'une de ces nombreuses étoiles filantes dans ma vie : belle, unique et éphémère.

J'ai oublié de te dire je t'aimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant