Mon premier Noël

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Les lumières de la ville scintillent plus que d'habitude. Tellement que mes rideaux peinent à la filtrer et pour ne rien arranger, la lune est pleine cette nuit. Une lumière bleutée immerge ma chambre et la plonge dans un royaume enchanté. Le temps s'est arrêté autour de moi. Je n'arriverai pas à dormir.

L'hiver est là et c'est bientôt Noël. Comme d'habitude, je le célébrerai pas. Je ne l'ai jamais célébré. Faisant partie d'une famille de confession juive, chaque année pendant une semaine, nous allumons huit ménorahs pour Hanoucca avec maman. Mais cette année, je ne me joindrai pas à la fête malheureusement. Mon cœur est encore trop lourd.

Quand j'étais jeune, cette atmosphère irréelle m'enchantait. La ville de Paris était transformée, parée de milliers de bijoux de lumière. Les gens déambulaient heureux dans les rues de la capitale. À la maison, ma mère m'apprenait la tradition familiale et j'étais content d'allumer chaque soir une nouvelle bougie du candélabre. Pendant ce temps, tous mes amis à l'école parlaient de sapin, de décorations de Noël et de leur cadeaux à la rentrée de janvier. Moi je n'en ai jamais vraiment reçu. Il faut croire que je n'étais pas sur la liste du Père-Noël. Est-ce que c'était à cause du nom de mon père? Est-ce que c'était parce que ma mère était juive et qu'elle m'apprenait les croyances de ses ancêtres? J'étais très jeune et je ne comprenais pas très bien le monde qui m'entourait.

En grandissant, mon père voyait que je me posais des questions. Alors avec maman, chaque année, quand les vacances étaient là, il m'emmenait voir les illuminations en ville et le grand sapin de Noël décoré près de Notre-Dame. Nous allions à la patinoire en plein air et il m'expliquait ce qu'était Noël, au grand désarroi de maman. Mais elle comprenait malgré tout. Il avait remarqué que j'aimais barbouiller des toiles à côté de maman lorsqu'elle peignait dans son atelier, alors chaque année, j'avais le droit à mon petit cadeau. Il m'avait offert mes premiers feutres, mon premier cahier de coloriage, mes premiers crayons de couleurs et chaque fois, j'aimais impressionner ma mère avec ce nouveau matériel et lui montrer que je pouvais être professionnel comme elle. J'étais fier et maman souriait. Ça la faisait rire, en fait. Et surtout, je pouvais enfin en discuter avec les copains à l'école des cadeaux que j'avais reçu. Certes, ce n'était pas aussi imposant qu'une figurine action man ou qu'une voiture téléguidée. En grandissant, cependant, mon besoin de cadeau diminua à mesure que ma compréhension du monde s'approfondissait. Nous avons tous des croyances différentes.

Je mens quand je dis que je n'ai jamais célébré Noël. Il y a bien eu cette année-là où tu m'avais invité chez toi... Tu avais demandé à ma mère quelques semaines avant si je pouvais passer le réveillon chez toi. À ma grande surprise, elle avait accepté. Elle t'adorait vraiment parce que l'année d'avant, elle avait refusé que j'aille au dîner de Noël de Gabriel Agreste avec mes autres camarades de classe. Elle n'aimait l'homme qu'elle trouvait effrayant et mauvais.

Le 24 décembre au soir, je sonnais chez toi! Je m'étais bien apprêté : un col roulé noir, l'écharpe en cachemire, le bonnet et les gants que tu m'avais offerts et mon plus beau blazer. Quelle ne fut pas ma surprise quand tu m'ouvris ta porte affublé d'un horrible pull tricoté de laine verte, rouge et blanche avec ces motifs immondes, d'un bonnet de père noël, d'une guirlande en guise d'écharpe sur tes épaules et de ton plus beau sourire. J'avais déjà l'habitude de tes extravagances vestimentaires, capillaires et esthétique que je trouvais fort charmantes. Tu étais toujours haut en couleur, mais là! J'étais profondément déconcerté, voire même outré par tant de mauvais goût. Où était le Marc excentrique que je connaissais? Mon Marc. J'étais médusé.

Tu m'avais tiré à l'intérieur avec enthousiasme, j'ai salué ta mère qui terminait de préparer le repas au passage et nous sommes allés directement dans ta chambre. La première chose que tu m'avais demandé de faire, c'était de me changer pour que je colle à l'ambiance. Tu m'avais alors donné un de ces horribles pulls à porter, ainsi qu'un bonnet rouge. C'était pour qu'on soit assortis tous les deux. C'était laid, tu le savais, mais c'était la tradition chez toi. J'avais voulu jurer, mais tu m'as pris de court :

J'ai oublié de te dire je t'aimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant