Eros

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Les jours passaient. Les jours passaient et petit à petit, Nathaniel s'ouvrait de nouveau à moi. Son sourire se faisait encore discret, comme un rayon de soleil timide du petit matin hésitant mais il était là. Son regard turquoise profond osait enfin se poser sur moi et c'était tout ce qu'il me fallait pour savoir que je redevenais petit à petit le centre de son monde.

La journée, il allait au travail et de temps en temps, lorsque j'avais envie de faire une pause dans ma traque du Papillon, je m'ennuyais à lire un livre que j'avais pris au hasard dans sa petite bibliothèque. Il y avait des ouvrages d'architecture, de mode, des livres de photographies, des atlas géographiques... Des tas de bouquins qui devaient très certainement lui servir de références pour son travail, et quelques romans, bandes-dessinées, comics et manga. Seulement, au bout de quelques semaines, j'avais fini de tout lire... Et traîner sur internet n'était pas vraiment dans mes idées. Tous les jours, je sortais un peu pour me familiariser à nouveau avec la ville, le quartier où il habitait. Je suis allée jusqu'à la Cathédrale pour voir dans quelle état notre belle grande dame de pierre était...

Seulement aujourd'hui, il pleuvait. J'avais demandé à Nathaniel s'il ne pouvait pas rester et travailler à la maison, mais malheureusement pour moi, mon compagnon avait des dossiers à boucler et une réunion qui risquait de s'éterniser : Il ne rentrerait que tard dans la soirée.

Depuis une semaine déjà, un endroit en particulier attirait mon attention dans la pièce principale de son modeste appartement. Dans un petit renfoncement sombre au coin de la pièce, derrière le bureau de Nathaniel se trouvait une grosse bâche sale et poussiéreuse en toile plastique blanche. J'ai tenté de résister le plus longtemps possible, mais plus les jours passaient et plus la tentation grandissait. J'étais intrigué. Je savais que je ne devrais certainement pas toucher à ce qui se trouvait en dessous, mais c'était plus fort que moi. J'étais comme appelé par cette masse informe. C'était la fin de la matinée... Nathaniel ne rentrerait pas avant longtemps. Les nombreuses taches de peintures qui recouvraient la toile me donnaient des indices quant à ce qui pouvait se cacher là-dessous. Je me sentais l'âme d'un explorateur pénétrant dans un lieu sacré. J'avais déjà pu éprouver cette sensation de nombreuses fois au cours de mes voyages, mais cette fois, mon cœur battait encore plus fort dans ma poitrine car ce que j'allais découvrir était pour moi encore plus précieux que toutes les merveilles de ce monde réunies. Je pénétrais dans le sanctuaire de mon partenaire.

Je suis resté figé quelques secondes devant ce tas immense, réfléchissant aux conséquences de mes actes. L'instant était mystique et solennel. Ni une, ni deux, j'ai soulevé l'immense bâche en faisant bien attention à ne rien renverser sur le bureau, ce qui aurait pu laisser des traces de mon délit.

J'avais raison! Il y avait bel et bien un trésor caché.

J'étais bouche bée. Tout le matériel de peinture se trouvait là. Son vieux chevalet, auquel était suspendu un masque à gaz, était posé contre le mur du fond avec quelques châssis de bois et d'aluminium de tailles variable ; dans le coin, un énorme rouleau de toile trônait fièrement ; une grosse boite de brosses, pinceaux, couteaux à peinture ainsi que des pots de peinture entamés et des bombes aérosols dégoulinantes de peinture séchée jonchaient le sol devant un énorme tas de toiles entassées grossièrement et sans soin, ainsi qu'un carton de carnet de croquis tous remplis et abîmés jusqu'à la tranche. Des toiles, il y en avait une bonne quarantaine, de toutes les tailles.

Ma curiosité était grande. Je voulais voir le travail de mon dessinateur. Quand nous étions adolescents déjà, Nathaniel n'aimait pas laisser ses toiles et ses carnets de croquis exposés aux yeux de tous. Il les rangeait toujours au fond de son grand placard où personne ne pouvait les voir. C'était son intimité comme mon moleskine était mon cœur. J'avais déjà cédé à la tentation à l'époque et, au milieu de peintures et de crayonnés standards de paysages de la capitale ou de portraits de ses amis ou de passants, j'avais découvert une vingtaine de planches et toiles, crayonnées, peintes... toutes me représentant. Ce n'était pas les croquis que j'avais eu l'occasion de voir dans son petit carnet quand il me demandait de poser pour des références anatomiques. Non, c'était bien plus. C'était des vrais portraits de moi, des vrais peintures en pieds, moi grandissant : à 14ans, à 15ans, à 16ans... Je vivais sur ces toiles et ces planches : Mon sourire, mon rouge à lèvres, mon regard, mes mains, mes postures... J'étais heureux... J'étais beau... J'avais du mal à croire que c'était moi. Mon cœur avait manqué un battement. Je vivais dans l'esprit de Nathaniel, j'étais dans son cœur. J'étais sa muse. J'avais découvert un trésor à un moment où je me sentais mal dans ma peau. Ses dessins, ses peintures m'avaient sauvées. Nathaniel m'avait sauvé.

Parmi toutes ces toiles entassées devant moi, je reconnaissais une partie des toiles que Nathaniel avait déjà postées sur Instagram. Grâce à elles, mon rouquin était d'ailleurs rapidement populaire, et j'aimais aller l'encourager d'un commentaire. Elles étaient toutes très colorées, certaines abstraites, d'autres plus figuratives. Il peignait le monde comme si un aveugle retrouvait la vue. A l'aide de ses pinceaux, il transformait les choses les plus insignifiantes en merveille. Je reconnaissais l'évocation de certains de nos souvenirs au milieux des taches de peintures. Il essayait de faire renaître le monde au milieu de l'horreur. Il peignait tout ce qu'il avait dans la tête, c'était magique. Voir ces tableaux en vrai était encore plus impressionnant que sur son Instagram. Je voyais ces peintures prendre vie sous mes yeux et s'échapper de leur toile, dont elles semblaient prisonnières. Il y avait du sang et des larmes. Des fleurs et des insectes, la vie et la mort, des cris, de la musique... Sur celle-ci, Nathaniel riait ; sur celle-là, il était en colère ; ici, il était nostalgique ; là, il pleurait. Je ne sais peut-être ni dessiner, ni peindre, mais je sais lire... Et je connais Nathaniel par cœur. Combien de fois l'avais-je déjà vu m'échapper alors qu'il dessinait ou qu'il peignait. Il oubliait le monde autour de lui pour se plonger tout entier dans un univers qui m'était inconnu. J'avais essayer de l'atteindre plusieurs fois, sans succès, alors avec le temps, j'avais appris à lire ce qu'il disait avec la peinture... Et son jardin secret était merveilleux, j'avais envie de le pénétrer et ne plus jamais le quitter.

Nathaniel était fou. Non pas qu'il était dérangé ou dangereux. Le timide garçon était en réalité habité. Il cachait en son for intérieur tout un univers merveilleux, flamboyant qui ne demandait qu'à rayonner. Nathaniel avait toujours eu du mal à exprimer ses sentiments. Soit il ne les montrait pas et les digérait, soit il était dans l'excès et les laisser exploser au grand jour, faisant quelques dommages collatéraux au passage. Et c'est avec la peinture, puis moi, qu'il réussit à apprendre à se canaliser. C'est un homme extraordinaire pour moi, et toutes ses toiles en était la preuve.

Parmi tout ce qu'il avait peint, d'autres toiles inconnues se révélèrent. J'avais décidé de les trier, distinguant par la même occasion quatre séries bien distinctes : deux séries de portraits sur petits châssis peintes à l'aérosol noire grâce à des pochoirs sur des fonds bariolés et graphés où des morceaux de pages de magazines collés disparaissaient sous la peinture. l'une représentaient Ladybug, Chat Noir et leur équipe, l'autre nous représentaient nous et nos amis. A côté, il y avait les toiles qu'il avait postées sur Instagram et que tout le monde voulait s'arracher pour une fortune et enfin ; une quinzaine d'autres toiles, très différentes.

J'ai pris le temps de les arranger au milieu du salon pour pouvoir contempler son œuvre dans son ensemble et ce que je vis sous les yeux me transcenda. Toutes était peintes dans un même style. Un fond monochrome en diverses nuances : Certaines toiles bleues, d'autres rouges, d'autres noires, d'autres roses... Et au cœur de ces toiles, on pouvait apercevoir des corps apparaître dans la lumière. Des parties de corps. C'était Nath, c'était moi, c'était nous deux. Ce n'était pas explicite, mais je savais au fond de mon être que c'était nos deux corps sur ces toiles : Des mains qui se tenaient, aux doigts entrelacés ; nos nez qui se frôlent ; mes lèvres qui cherchaient les siennes ; mes mains qui tenaient mon visage renversé en arrière tordu par le plaisir, avec mon auriculaire dans la bouche ; ses mains qui recouvraient ma bouche et mes yeux ; mes lèvres parcourant son corps ; son corps nu se cambrant d'extase ; mon dos nu ; une épaule ; sa bouche remplie de désir ; une langue ; ses mains caressant son torse ; ses mains explorant mon torse ; ses mains m'agrippant le dos ; ma langue dans son cou ; mes dents mordillant le lobe de son oreille... Jamais on ne distinguait nos visages lorsqu'il peignait... Il ne représentait que les parties du corps qui l'intéressaient. C'était émouvant, c'était érotique et intime... Nos corps apparaissaient et disparaissaient dans la couleur, dans des nuances de blancs plus ou moins teintés de la couleur du fond. Il avait peint le plaisir, le désir charnel... C'était notre amour. Nous cherchant désespérément à ne faire qu'un.

J'en avais des frissons dans tout le corps. C'était intense. Nous étions dépendant l'un de l'autre. Nous n'étions rien l'un sans l'autre.

Nathaniel ne m'avait jamais oublié. Toutes ces années d'absence, j'étais là, partout autour de lui, en lui. Nathaniel m'aimait.

J'ai oublié de te dire je t'aimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant